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Le loup des steppes

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Message par Vargas Lun 31 Mar 2008 - 10:53

il y aurait beaucoup de chose à dire de ce classique du XXème siècle qui date de 1927.

- Il avait déjà été question ailleurs de la dimension nietzschéenne de l'oeuvre (Apollon/Dyonisos et Société/Individu).

- Le rapport de Hesse à la pensée de Jung est aussi déterminant (le traitement personnel basé sur une dialectique entre le Moi et l'inconscient, qui dégage une dynamique, une rythmicité de construction propre à chacun).
J'en parlerai surement plus tard au sujet d'une autre oeuvre : Siddharta.

- Enfin, il est aussi question de genre :
Ce roman est un roman d'apprentissage. Il se rattache au Bildungsroman (roman de formation), dont le principal représentant a été Goethe, l'une des références de Hesse.

En fait, la majorité des oeuvres de Hesse se compose de romans à visée pédagogique.
Mais il s'agit plus d'autoformation que d'apprentissage.
C'est bien l'individu qui s'interroge lui-même.
Avec une portée et une insistance différente, d'un roman à l'autre (par exemple, entre Demian et Le jeu des perles de verre)



Je voudrais ici prendre un peu le contre-pied d'une certaine réception du livre.

Il est certes brillant. Mais dans l'ensemble de l'oeuvre hessienne, je l'ai lu - d'une part pas en premier, et cela a son importance dans l'avis que j'en donne - comme la gestation d'un seuil, comme un retour qui se porte en négatif sur le chemin jusque-là parcouru.
Je m'explique :

Nous avons un personnage, le loup des steppes, profondément solitaire, siègeant sur des hauteurs, en rupture avec l'extérieur.

Et pourtant, il cherche constamment le contact de l'autre, le sociable.
De ce point de vue, j'ai été intéressé par le fait que le style était basé sur la représentation d'une distance, mais aussi sur les affirmations négatives :

c'est-à-dire sur le fait que le loup exprime là où il n'est pas, ce à quoi il n'est pas sensible, sa gaucherie, et ses jugements sur le monde (entre autre sur les années folles d'entre-guerre, sur l'intuition d'un retour de la guerre, ce qui en fait aussi un document d'époque précieux).
Mais par affirmation, par constatation.

Or cette constatation à le goût et le poids d'une introspection, d'une synthèse, d'un retour sur soi, du bilan d'une gestation personnelle.
En somme, le roman penche vers la société, l'apollinien, l'acceptation travaillée tandis qu'il parle la langue de l'individu, la mémoire du dyonisiaque.
En témoigne l'évolution du roman, et une superbe phrase au sujet du rapport entre Mozart et la TSF, entre l'artistique et le technologique.
Certainement une image qui correspond au message du roman.


Alors je n'irai pas jusqu'à dire que cette distance critique pèse sur le roman, en atténue la qualité ou la sincérité.
Mais cela me parait être souvent éludé, car il peut être plus plaisant de se sentir loup parmi les hommes.
Et ainsi, plus humain parmi les hommes que ces loups pour l'homme.

Au contraire, elle me parait en être la sensibilité même, l'intelligence de Hesse, après (plus de 20 ans qu'il écrit aux moments du Loup des Steppes) l'avoir mené à un rapport au monde plus riche, plus en rapport aux profondeurs, avec l'expérience, l'analyse et le deuil fait des oppositions artificielles, des tensions psychologiques qu'on se forge et qui donnent à s'exprimer énergiquement, réellement.

Parce qu'elles sont aussi notre identité, plus ou moins transitoire, car se recontruisant sans cesse.

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Message par lekhan Lun 31 Mar 2008 - 13:41

le style était basé sur la représentation d'une distance

Or cette constatation à le goût et le poids d'une introspection, d'une synthèse, d'un retour sur soi, du bilan d'une gestation personnelle.

Ne peut-on pas voir également l'idée d'une sortie de l'Ephoké, de la rétention? Une concordance avec la pensée d'Husserl en quelque sorte. Idée que l'on pourrait couper avec la thématique du récit initiatique, du voyage, des seuils, etc.
Thématique déjà présente dans Narcisse et Goldmund il me semble.
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Message par Vargas Lun 31 Mar 2008 - 15:24

Epoché ?

Aucune idée :)

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Message par lekhan Lun 31 Mar 2008 - 17:41

On va faire raccourci, mise en suspension du monde? :o
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Message par Vargas Lun 31 Mar 2008 - 18:32

En réduisant à la simple définition de l'époché, absolument pas.

Cette distance critique est ici avant tout trace, propre à l'écriture.
Bref, le style, la forme, la sensibilité qui colore l'oeuvre.

Ensuite, c'est le contenu, le thème, le genre, puis la méthode (qui a plus à voir avec la psychologie jungienne des profondeurs qu'avec la sensibilité phénoménologique)

Enfin, last nut not least, le rapport de l'oeuvre au réel : un rapport intime, biographique.
Distance de temps entre Hesse se sentant loup, et Hesse ayant fait peau neuve et retour sur cela.

Ce sont donc bien ces thèmes que tu évoques qui sont en jeu, mais pas dans cet ordre là.
Il n'y a jamais de suspension complète du monde chez Hesse.
Au contraire, la réalité à ouvrir à soi ; qui s'avère toujours plus éloignée de nous qu'on ne le crois ; car on est soi-même refermé, pas réceptif.
Parce qu'il reste encore à se parcourir ouvertement, l'oeil toujours fixé sur le monde.

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Message par lekhan Lun 31 Mar 2008 - 21:38

En fait je crois qu'il faut penser l'épokhè comme outil nécessaire à la rétention. Or j'ai eu l'impression, et je ne pense pas trop me tromper, que Hesse se regarde être le loup des Steppes. Il y a quand même ce jeu formidable qui va le ramener dans la palpabilité de ses actes, la lecture du Traité sur le Loup des Steppes si ma mémoire est bonne. Il va falloir passer par cet épisode pour qu'il vive pleinement son cheminement.
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Message par Vargas Lun 31 Mar 2008 - 21:48

Oui, tout à fait, mais ce n'est pas une coupure.

Quand il écrit, il ne l'est déjà plus. C'est consommé et il en reste la trace.

Les 1ers mots du roman nous parlent déjà de ce qui va être énoncé (sous la forme du manuscrit laissé) comme advenu, passé, difficile à croire, venant d'ailleurs, d'un point de vue extra-ordinaire.
En tout cas pas présent.

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Message par lekhan Lun 31 Mar 2008 - 22:40

Je viens de re-feuilleter rapidement pour retrouver la structure du texte et je me trompe effectivement puisque c'est un enchainement de divers récit. Préface, carnet, traité, carnet. La structure narrative est vraiment complexe. Il y a un enchevêtrement de narrateurs et de focalisations, je ne m'en souvenais pas du tout.
Ça met donc à l'eau l'épokhè^^.

Je crois qu'un problème intéressant à traiter peut être l'agencement des strates narratives. Enfin il faut que je le relise avant de dire des bêtises :)
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Message par Bergame Ven 4 Avr 2008 - 20:42

Vargas a écrit:
il peut être plus plaisant de se sentir loup parmi les hommes

Voila, tu as sans doute mis le doigt sur le point précis qui me restait en travers de la gorge et me rendait difficile à avaler l'idée selon laquelle il existe une filiation Nietzsche-Hesse -idée longuement défendue sur Philautarchie.
Je ne le remets plus en cause, mais peut-être que si Le Loup est un roman de la maturité, c'est aussi pour cela.
Non, non, il n'est pas plaisant d'être un Loup parmi les hommes. Oh ! bien sûr, il faut de la fierté, et il faut bien faire bonne figure -ne serait-ce qu'à soi-même. Mais je ne crois absolument pas à cette idée très romantique que la solitude est une joie, et surtout, un choix. Ce n'est pas ce que tu dis, toi, Vargas, mais il y en a qui le disent, beaucoup, des "nietzschéens" parait-il. Poses ! Poses que tout cela ! Et surtout, vaine tentative de s'illusionner soi-même, ce pourquoi d'ailleurs l'élitisme m'a toujours semblé profondément pathétique.
La vérité est que quiconque a déjà éprouvé la solitude, la véritable solitude, sans rémission, sans ouverture, ce sentiment effarant que tout et tous, constamment, vous renvoient toujours à vous-même, seulement à vous-même, uniquement à vous-même, cet enfermement dans la pensée qui rend toute parole vide de sens aussitôt qu'elle est prononcée, quiconque a vécu cela ne serait-ce que peu de temps, ne peut pas, je le pense sincèrement, trouver plaisant de se sentir "autre". Car alors il sait que ce n'est pas à être loup parmi les hommes qu'il faut apprendre, mais à être homme parmi les loups.
En fait, la vérité, c'est qu'il faut être profondément conformiste pour s'enorgueillir de sa singularité.

Non, pour ma part, il est clair que c'est au contraire l'une des grandes forces du roman que de se situer toujours à la lisière, sur le fil, dans l'ambivalence (bien sûr !) mais de ne jamais sombrer dans le byronisme. Harry est un "suicidé", ce n'est pas un fat qui se joue à lui-même la farce du Surhomme.
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Message par lekhan Sam 5 Avr 2008 - 0:28

Aprés tentative de divulgation par message privé d'un "humour" et de références douteuses, et sur l'insistance de Bergame lui même je poste ici le jeu d'association de mon inconscient à la lecture de son message:

Je voulais faire de l'humour un peu véreux sur ton message concernant le loup des steppes qui est d'une profonde justesse, j'ai estimé au dernier moment que ça l'en dénaturerai et je te fais l'exclusif déplaisir de mon mauvais goût.

Voilà ce qui m'est venu dans la tête quand j'ai lu solitude (sentiment pesant de constante rétention s'il en est):

Tant de fois j'ai tenté
D'aller toucher les étoiles
Que souvent en tombant
Je m'y suis fait mal

Tant de fois j'ai pensé
Avoir franchi les limites
Mais toujours une femme
M'a remis en orbite

Tant de fois j'ai grimpé
Jusqu'au plus haut des cimes
Que je m'suis retrouvé
Seul au fond de l'abîme
Seul au fond de l'abîme

Celui qui n'a jamais été seul
Au moins une fois dans sa vie
Seul au fond de son lit
Seul au bout de la nuit

Celui qui n'a jamais été seul
Au moins une fois dans sa vie
Peut-il seulement aimer
Peut-il aimer jamais

Tant d'amis sont partis
Du jour au lendemain
Que je sais aujourd'hui
Qu'on peut mourir demain

On a beau tout avoir
L'argent, l'amour, la gloire
Il y a toujours un soir
Où l'on se retrouve seul
Seul au point de départ

Celui qui n'a jamais été seul
Au moins une fois dans sa vie
Seul au fond de son lit
Seul au bout de la nuit

Celui qui n'a jamais été seul
Au moins une fois dans sa vie
Peut-il seulement aimer
Peut-il aimer jamais

Tant de fois j'ai été
Jusqu'au bout de mes rêves
Que je continuerai
Jusqu'à ce que j'en crève
Que je continuerai
Que je continuerai

Celui qui n'a jamais été seul
Au moins une fois dans sa vie
Seul au fond de son lit
Seul au bout de la nuit

Peut-il seulement aimer

Jamais, jamais
Je continuerai
Je continuerai

Peut-il jamais aimer
Mes excuses, bien bas, je tenterai un commentaire quand j'aurai fini la relecture du roman au lieu de me remémorer le souvenir des transports accompagnés de lectures et de musiques radiophoniques plus ou moins délicieuses

Plus tard dans un autre message:

Je viens de comprendre le jeu d'association de mon inconscient, qui est pourtant clair.

Loup des Steppes-> Loup garou-> Garou
Solitude-> Seul-> Seul + loup garou-> Chanson de garou.

Mon dieu...

Je m'excuse d'avance pour les lecteurs émotifs ou nostalgiques Laughing .
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Message par Vargas Sam 5 Avr 2008 - 1:33

Bon, au moins, on est à la hauteur du nom du forum Laughing

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Message par Bergame Sam 5 Avr 2008 - 13:50

lekhan a écrit:
sur l'insistance de Bergame

Laughing

Ah t'en fais pas, va, on est avec toi dans ce moment sans doute un peu difficile, ce genre de moments terribles où l'on se découvre différent de ce qu'on croyait, trahi par l'autre dans le miroir.

Wink

Plus sérieusement, tiens, et pour retrouver le sujet : En même temps que j'écris cela, je me dis que je n'ai pas le souvenir d'une quelconque résistance de Harry lorsqu'il rencontre Hermine, apprend à danser et s'ouvre aux sens. En y réfléchissant, c'est étrange comme il s'abandonne, pas un moment où, découvrant qu'il est multiple, il se sente trahi, justement, voire même seulement surpris. Bien entendu, c'est sans doute une autre force du roman, que l'atmosphère magique de la rencontre, et cette confiance avec laquelle le Loup s'abandonne immédiatement et absolument en elle, et obéit. Mais y a-t-il un seul moment où Harry, resté seul, s'interroge et s'inquiète ? Voire résiste ? Je n'en ai pas le souvenir. C'est un loup qui s'apprivoise finalement un peu facilement, non ?
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Message par lekhan Sam 5 Avr 2008 - 18:27

Bergame a écrit:
Plus sérieusement, tiens, et pour retrouver le sujet : En même temps que j'écris cela, je me dis que je n'ai pas le souvenir d'une quelconque résistance de Harry lorsqu'il rencontre Hermine, apprend à danser et s'ouvre aux sens. En y réfléchissant, c'est étrange comme il s'abandonne, pas un moment où, découvrant qu'il est multiple, il se sente trahi, justement, voire même seulement surpris. Bien entendu, c'est sans doute une autre force du roman, que l'atmosphère magique de la rencontre, et cette confiance avec laquelle le Loup s'abandonne immédiatement et absolument en elle, et obéit. Mais y a-t-il un seul moment où Harry, resté seul, s'interroge et s'inquiète ? Voire résiste ? Je n'en ai pas le souvenir. C'est un loup qui s'apprivoise finalement un peu facilement, non ?

Oui d'autant plus frappant que dès le début ce trait du personnage apparaît. Il y a déjà ce jeu ambigu dans la préface de l'éditeur. C'est assez marrant de voir le décalage entre les intrusions dans l'espace de Harry par l'éditeur et l'ouverture même d'Harry, qui l'invitera à rentrer chez lui, qui discutera avec lui sur les marches, et de bon cœur avec sa tante qui loue l'appartement. On trouve déjà cet éveil aux sens. Il y l'animalisation de son entrée et puis le: "Oh, cela sent bon ici". Plus loin il s'arrête sur les marches (dans un seuil, il n'y a qu'un pas pour faire un lien avec cet éveil au sens) pour sentir l'odeur d'une azalée et d'un araucaria(la fleur est une image de la femme). Je ne crois pas que ça soit le seul fait d'un anthropomorphisme, ou d'une volonté de caractériser le loup par des stéréotypes sensoriels.
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Message par Pierre Rivière Sam 5 Avr 2008 - 21:00

En lisant ce livre, il m'a toujours semblé y voir le contraire d'une apologie de la solitude. Ce livre est plutôt le récit d'une ouverture envers les autres. Vous souvenez-vous qu'au début du livre, il erre seul dans une ruelle et que l'entrée du théâtre magique lui est interdite - la porte étant verrouillé? Tandis qu'à la fin il y est invité après avoir vécu son apprentissage de la vie en communauté. Ce théâtre magique m'avait semblé symboliser le théâtre des apparences, tout à l'opposé de cette pureté ascétique se plaignant de l'imperfection des hommes (à réaliser un idéal, probablement). C'est au niveau de l'acceptation de la vie comme apparence, que Hesse dans le Loup des Steppes, m'avait semblé rejoindre Nietzsche.

Pour ce dernier, sa critique de la philosophie et de la religion reposait sur le refus de cette distinction selon laquelle les hommes devrait avoir honte de leur état présent et se sacrifier en vue d'un bien supérieur (Dieu, la Vérité, la Liberté, une Société idéale, etc.). Selon cette perspective, ces idéaux se réduisaient à des valeurs (et la valeur d'une valeur se mesure au nombre d'hommes prêts à se sacrifier pour elle).

Ainsi, selon moi, il y avait une filliation Nietzsche-Hesse dans la mesure où l'individu retrouve le sens des réalités et s'ouvre à l'acceptation de cette dure constatation que les autres n'ont pas à incarner la perfection. Ce devoir-être parfait étant le lot du moraliste. Souvenez-vous que Harry, lorsqu'il passe la soirée chez son ancien professeur, est outré de ce que la peinture de Goethe n'est pas telle qu'il la conçoit et donc que la représentation que la femme de son professeur se fait de Goethe diffère de la grandeur avec laquelle il se le représente. Ce passage représentait bien cette pureté de cristal à partir de laquelle ce solitaire s'autorisait à juger la bassesse d'autrui. C'est de cette façon que l'oeuvre de Nietzsche est proche de ce livre de Hesse puisque tous deux inities à un retour à la vie conçue comme apparence. Toutefois, la solitude nous rend plus profond disait Nietzsche. C'est cette profondeur que la femme principale du livre (désolé, je ne me souviens plus de son nom) recherchait chez Harry, malgré le caractère désagréable de celui-ci.

Donc, loin de cette idéalisation de la solitude et de l'apologie deleuzienne de la différence. Conceptions que je considère hautement prétentieuse pour la première, et, au mieux, partielle pour la deuxième ou, au pire, ridiculement mutilatrice. Vous aurez compris que je désapprouve la philosophie de Deleuze. Profitez-en, car vous ne verrez pas souvent quelqu'un qui aime Nietzsche et hait Deleuze :).

Bref, c'était afin de vous présenter ma lecture du Loup des Steppes. Sentez vous libre de me relancer.
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Message par Bergame Dim 25 Mai 2008 - 15:40

Oui, je n'ai pas la même interprétation de Nietzsche, d'abord. Selon moi, le propos de Nietzsche n'est absolument pas quoique ce soit qui se rapproche d'une acceptation (que ce soit de la vie comme apparence, ou de quoi que ce soit d'autre). Nietzsche, selon moi, est toujours au-delà, ou en-deça, mais en tous cas, il n'est jamais . Et c'est d'ailleurs sa grandeur, à mon sens, que de ne jamais s'être arrêté dans la recherche -sauf...
Bref, peut-être pourrons-nous discuter de cela dans le forum réservé à Nietzsche -si tu le souhaites.

En revanche, oui, je comprends Le Loup comme toi. Toute l'oeuvre de Hesse ne tourne qu'autour d'un seul thème : La quête de soi-même. Les personnages de Hesse sont constamment en quête, ils apprennent, ils essaient, ils rencontrent un Maitre (et se rendent alors compte qu'ils le cherchaient) puis s'en séparent, ils expérimentent des situations différentes, des vies différentes, jusqu'à, éventuellement, se trouver. Je suppose d'ailleurs qu'on a pu écrire des études sur ce que veut dire "se trouver soi-même" chez Hesse, car mon sentiment est que ses héros ne se trouvent jamais de la même façon.
Je note d'ailleurs ce qui m'apparait comme une très belle analyse : "[Harry] s'ouvre à l'acceptation de cette dure constatation que les autres n'ont pas à incarner la perfection." C'est vrai, c'est très juste, je crois. Mais je vais tout de suite être bien plus ras-des-paquerettes. A mon sens, et comme je le disais précédemment, il y a quelque chose de bancal dans la rencontre Harry-Hermine : Tout se passe beaucoup trop simplement, beaucoup trop facilement. Et en même temps, c'est ce qui fait toute la beauté de la scène : Ils se reconnaissent. Ou plutôt, Harry reconnait Hermine, immédiatement ; elle, elle le connait, car elle en a connu d'autres dans son genre. Il n'empêche sans doute qu'elle éprouve rapidement de l'affection pour lui, mais dans leur rencontre, leur positions réciproques sont totalement dissymétriques : Elle le teste, et il passe les tests avec succès ; lui vit une révélation dans une atmosphère de magie.
Selon moi, ce qui est suggéré dans le texte est clairement quelque chose qui a plus à voir avec une figure maternelle qu'avec quoique ce soit d'autre. Une figure maternelle ambigüe, bien sûr, mais clairement une figure maternelle, l'ouverture vers le monde de la sensualité. D'ailleurs les personnages de mère sont tout à fait étonnants, chez Hesse, ce sont de quasi-déesses, ou des magiciennes, en tous cas des personnages mystérieux, doués de facultés surprenantes et d'un savoir issu d'un autre monde, à la fois exigeants et bienveillants, particulièrement pénétrants et compréhensifs, sensuels, capables d'un amour confiant, je pense par exemple à l'Eve de Demian également. Et ce sont aussi des personnages ambigus : Eve est inacessible, mais Hermine ne l'est pas -totalement.
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Message par Pierre Rivière Dim 25 Mai 2008 - 17:30

Est-ce que tu penses au complexe d'Oedipe? Il me semblait plutôt que c'était toi qui avait mentionné que Hesse avait passé entre le bras de Jung. Je connais mal Jung, mais je me souviens que la séparation Freud Jung avait eu lieu au sujet de la libido comme énergie fondamentale. Freud poursuit dans son pansexualisme comme disait Jung (indépendamment de savoir si la critique de Jung est fondée) alors que Jung va ailleurs (où?). Ceci devrait avoir des répercutions sur l'Oedipe dans la mesure où j'ai lu chez un disciple de Jung que l'accusation principale contre Freud était celle de machisme (soit de la prédominance du sexe masculin (et de sa vision du monde?) sur le sexe féminin). Ce qui aurait encore plus de sens dans la perspective d'Otto Weiniger sur la bisexualité fondamentale des êtres humains.
Donc, j'aurais du mal à croire que Jung ait pu axer la psychanalyse d'Hesse autour du complexe d'Oedipe. Ce qui me porte à croire que ce n'était pas là ton arrière-pensée lorsque tu parles de la figure maternelle chez Hesse.

Faut-il plutôt y voir la figure de l'éternel féminin, la quête de la complétude. L'homme, sur le plan physique, désire la femme pour s'accomplir et atteindre la plénitude -positivité complète (je laisse consciemment de côté le symbole de la procréation). Je pense ici au discours de Xénophane dans Le banquet. Tandis que sur le plan spirituel l'homme cherche la vérité positive qui atteindrait l'être en-soi pour, encore une fois, accomplir ce qu'il ressent comme une carence dans son être et atteindre ainsi la plénitude, c'est-à-dire son achèvement -la résorption de la dichotomie sujet/objet par laquelle l'être humain est étrangé à son monde et qu'il ne fait qu'habiter. Dès lors, par le symbole du féminin, le parcours qui va de l'inaccessibilité dans Demian vers l'accessibilité partielle dans Le loup des steppes témoignerait d'un accroissement de la conscience de soi dans sa quête, puisque l'objet est, en définitive, inaccessible. Plutôt que d'une possession de l'objet recherché c'est une meilleure conscience de son propre mouvement vers cette quête. Ce qui rejoint le thème de la quête de soi par la voie de la conscience plutôt que par celle d'un soi subsistant (ou d'un inconscient).

C'est probablement pas ton arrière-pensée, mais je lance l'hypothèse comme ça.
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Message par Bergame Dim 25 Mai 2008 - 17:43

Ah ben, non, ce n'est pas moi qui ai parlé de Jung (c'est Vargas) mais, pour le peu que j'en sais, tu as tout à fait raison de me renvoyer à lui, car ce que j'ai décrit est effectivement un archétype. Du moins, je crois, et c'est peut-être là la porte d'entrée de l'interprétation jungienne de Hesse, non ? Vargas ?

(ouh, dis, tu as lu Weininger ? bon, je ne vais peut-être pas discuter de Nietzsche avec toi, alors, je vais me contenter de te lire Wink )
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Message par Vargas Dim 25 Mai 2008 - 18:04

Oui, enfin, disons que Hesse a surtout employé à bon escient la psychologie des profondeurs de Jung en terme de composition et d'analyse dynamique.
Par opposition avec un certain manichéisme, un systématisme (système et répétition).

Symboles, interprétations, univocités insuffisantes.
Les dualités sont présentes, mais ce sont les passages, les tensions entre les termes qui intéressent.

Plutôt recherche de synthèses, mouvance, équilibre et surtout une plus grande part laissée à la singularité, à l'individu se cherchant lui-même.

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Message par Pierre Rivière Dim 25 Mai 2008 - 18:36

Je me demandais surtout ce que tu voyais dans la figure maternelle chez Hesse.
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Message par Bergame Dim 25 Mai 2008 - 19:14

Et bien je te l'ai dit : Un archétype. Tu l'as bien caractérisé en le nommant "Eternel féminin".
D'ailleurs, à nous deux, on vient de donner de la consistance à la théorie jungienne, en faisant effectivement référence, dans le travail interprétatif, et sans le vouloir/savoir, à un archétype jungien.

En deux mots, si je suis les analyses de Jung dans Dialectique du Moi et de l'Inconscient : Chez Jung, l'inconscient est collectif, et formé d'un matériel archaïque résultant de la phylogenèse. Il tend à s'exprimer en des formes que le sujet "connait" ou "reconnait", les archétypes. Par exemple, alors que pour Freud, la situation de transfert consiste en la projection de fantasmes sur la surface du traitant (le sujet reconnait dans son psychanalyste la figure du père aimé), selon Jung, le patient "tend à trouver un Dieu", Dieu étant une "image collective", et le traitant va incarner cette image pour le patient.

Jung avance en effet que l'ontogenèse "refait" la phylogenèse -un schéma explicatif classique, que Freud utilise d'ailleurs également dans Totem et Tabou. Par conséquent, le patient du XXIe s. est venu au monde avec un cerveau qui fonctionne "probablement" comme fonctionnait n'importe quel cerveau de n'importe quel homme de l'histoire. Les archétypes constituent ainsi des formes inconscientes, constitutives du cerveau humain. Seule la matière des croyances diffère d'une culture à une autre. Cela implique d'ailleurs, comme chez Freud, une sorte de matrice originelle :

Jung a écrit:
Certes, à un niveau antérieur et plus profondément enfoui du développement psychique, où il est impossible de trouver des différences entre les mentalités aryenne, sémitique, chamitique et mongolienne, toutes les races humaines ont une psyché collective commune. Mais avec l’apparition des races, naissent des différences essentielles dans la psyché collective.
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