Natura naturans et Natura naturata

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Message par Grégor Lun 24 Oct 2022 - 10:39

Comment passe-t-on de la substance aux modes, de l’infini au fini.
Le terme « passage » est déjà problématique en soi, car il charrie avec lui le sens de cause et de conséquence, un sens temporel.
Or, la substance infinie est hors du temps. Elle ne peut donc pas « causer » les modes dans le sens temporel du terme.
Pourtant, par exemple, Spinoza emploi le terme sequuntur dans la proposition XXI de son Éthique :

Omnia quæ ex absoluta natura alicujus attributi Dei sequuntur, semper et infinita existere debuerunt sive per idem attributum æterna et infinita sunt.
« Tout ce qui suit de la nature absolue d’un certain attribut de Dieu a nécessairement existé toujours et comme infini, autrement dit est, de par cet attribut, éternel et infini.
»

Nous voyons donc qu’au sein même d’un attribut infini et éternel, quelque chose peut suivre d’infini et d’éternel.
L’exemple que prend Spinoza est celui de la pensée de Dieu.
Pourquoi ce terme « suivre » (sequitur) ?
Nous avions un jour donné à un élève cette réponse, qui vaut ce qu’elle vaut, mais que nous trouvons assez intéressante : si l’on construit un triangle, avec une règle et un compas, la propriété d’avoir la somme de ses angles égale à 180° suivra nécessairement. De même que d’autres propriétés telles que a^2 = b^2 + c^2 - 2bccos suivront aussi nécessairement. Mais il n’y a pas de causalité temporelle entre ces diverses propriétés, la construction du triangle implique déjà que la somme de ses angles fasse 180° et que le carré d’un de ses côtés soit égal à b^2 + c^2 - 2bccosÂ. Ces propriétés découlent les unes des autres sans que nous ayons besoin pour cela de faire appel à la temporalité.
Il en va de même pour tout ce qui suit ou découle de la nature de la substance infinie.
Si l’on se place du point de vue de l’éternité, ou de l’infini, alors toutes les propriétés sont reliées les unes aux autres, immédiatement.
Ce n’est que de notre point de vue, fini, que les propriétés des choses vont se séparer et se temporaliser. Soit que l’une soit l’effet de l’autre, soit que, comme dans l’exemple du triangle, une fois la figure construite, nous devions mesurer ses côtés ou ses angles, dans un temps donc différent. Mais cet exemple du triangle nous fait sentir comment des propriétés peuvent découler les unes des autres, sans pour autant qu’il y en ait une qui soit première dans le temps et les autres secondes. On aurait même pu construire différemment la figure, en ayant la longueur d’un seul côté et les deux angles correspondants par exemple, ou en ayant la longueur de deux côtés et un angle permettant de construire le troisième côté. Peu importe, ce serait le même triangle et il aurait les mêmes propriétés. Nous voyons bien avec cet exemple que la nature du triangle particulier que nous avons construit est identique mais que nous pouvons la concevoir selon différents aspects, qui chacun peu permettre de l’identifier comme triangle en général (somme des angles égale à 180° par exemple) ou même comme le triangle particulier qu’il est (la longueur d’un côté et deux angles correspondants, les longueurs des trois côtés etc.). Chaque méthode de construction est pertinente et permet de réaliser effectivement notre figure. Or, nous sentons que toutes sont concomitantes et s’impliquent les unes les autres dans l’idée que nous pouvons nous forger de ce triangle. L’idée même, générale, de triangle implique certaines propriétés (somme des angles égale à 180° et théorème d’Al-Kashi) qui ne peuvent en être séparées. C’est bien cette idée de non-séparation qui prévaut dans la substance infinie et éternelle, c’est-à-dire en Dieu. En effet, celle-ci est unique, indivisible et tout ce qui est, est en elle de la même manière que les propriétés du triangle sont dans le triangle. Même les modes particuliers, qui semblent séparés dans l’espace et le temps, ne sont tels que pour notre imagination, mais d’un autre point de vue, celui de Dieu, ils ne sont qu’un.
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Message par Vanleers Mar 25 Oct 2022 - 9:26

gregorirlande@hotmail.fr a écrit:Comment passe-t-on de la substance aux modes, de l’infini au fini.
Le terme « passage » est déjà problématique en soi, car il charrie avec lui le sens de cause et de conséquence, un sens temporel.
Or, la substance infinie est hors du temps. Elle ne peut donc pas « causer » les modes dans le sens temporel du terme.

Merci pour ce post stimulant qui donne à penser.

Spinoza pose que chaque chose est un mode d’une Substance unique qu’il appelle Dieu.
Concevoir que nous sommes des modes, c’est prendre conscience que nous sommes « branchés » sur la Source de vie que Spinoza appelle Dieu.
Quand Spinoza écrit que « Nous sentons et expérimentons que nous sommes éternels » (E V 23 sc.), je traduis par :
Nous sentons et expérimentons que nous sommes branchés sur la Source de vie éternelle.
De cette expérience naît la plus grande joie (béatitude) car nous comprenons que quoi que nous fassions, que nous éprouvions joie ou tristesse, nous « suivons » (sequitur) de la Vie éternelle à laquelle nous ne pouvons que rendre grâce.
Nous rendons grâce car nous éprouvons un extraordinaire sentiment de sécurité intérieure (acquiescentia) : la Source est là, éternellement.

Dans un langage imagé et anthropomorphique, l’Évangile ne dit pas autre chose en annonçant qu’un homme est un « fils de Dieu » et que, quoi qu’il fasse et qu’il ait fait, il le reste.

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