Le paradis et l'enfer
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Le paradis et l'enfer
Le paradis et l’enfer
Le paradis et l’enfer sont-ils des représentations dépassées dans un monde désenchanté ? Pouvons-nous vivre sans ce couple d’idées qui a longtemps structuré nos vies et imprégné notre imaginaire ? Comment en faire des notions séculières qui soient spirituelles et éducatives ? Le paradis et l’enfer peuvent-ils encore nous apprendre des choses et nous aider à vivre en ce monde ? Mais au lieu de les interpréter en les opposant, nous essaierons de les relier et de les penser ensemble. Les paradis terrestres peuvent-ils être infernaux ? Inversement, l’enfer, sous certaines formes, peut-il ouvrir la porte du paradis ?
Si l’on ne croit plus à l’au-delà ni à la résurrection lors du Jugement dernier, nous devons nous contenter des paradis terrestres. Parmi eux, les paradis artificiels imitent le paradis céleste à l’aide de la chimie ou du virtuel. C’est ainsi que la drogue et les jeux vidéo (ces derniers étant aujourd’hui assez puissants pour créer de nouveaux mondes) peuvent nous faire oublier nos problèmes et la médiocrité du réel en nous plongeant dans l’extase, le rêve et le divertissement. On trouve aussi des paradis terrestres naturels, comme l’amour et la luxure, comparables à l’état de grâce et à la félicité céleste.
Tous ces paradis terrestres peuvent rapidement devenir infernaux, en nous dépravant et en nous abrutissant. Le jeu nous détourne du travail et des relations sociales, la drogue est toxique et addictive, l’amour rend paresseux et esclave, le libertinage attire les maladies, etc. A ces paradis infernaux, on préférera des paradis terrestres sains et durables : un petit coin de paradis où vivre (cela peut être simplement une résidence à la campagne ou en ville dans un quartier tranquille), une passion productive, etc.
Nous avons parlé des paradis et des enfers personnels, mais le paradis et l’enfer peuvent aussi être collectifs. En politique, les régimes promettant le paradis (criminalité nulle, nation parfaitement homogène, règne millénaire, etc.) constituent en général des Etats criminels qui réinventent l’enfer. La société la plus proche du paradis est paradoxalement celle qui se sait et se reconnaît imparfaite, a renoncé à la perfection immédiate et accepte les compromis, comme la démocratie libérale (qui est spirituellement le régime le plus médiocre). Le paradis sur terre est un projet mégalomane qui transforme le monde en enfer. En étant moins absolus et en renonçant à l’absolutisme, nous édifierons une société plus souple et plus stable.
Le paradis et les valeurs associées (le bonheur, la paix, etc.) doivent-ils être notre seul idéal et sont-ils suffisants pour nous rendre heureux ? Poursuivre directement le bonheur est-il utile et nécessaire au bonheur ? Le fait même d’être heureux nous rend-il vraiment heureux ? Le bonheur continu ennuie, angoisse, rend léthargique ou mélancolique. Plus notre bonheur est grand, plus, en le réfléchissant, nous souffrons de sa perte future, qui est inévitable. Nous avons besoin du fouet de la douleur et de l’épreuve pour être stimulés et nous sentir vivre. Nous avons besoin d’une guerre à mener, d’épreuves à surmonter, de dangers à braver et d’ennemis ou d’adversaires auxquels nous mesurer. Nous devons comme Enée faire un séjour en enfer pour en sortir plus forts, plus vivants, plus déterminés et plus heureux. Combattre le mal en soi et à l’extérieur de soi est une condition essentielle du bonheur humain. C’est donc en conjuguant le paradis et l’enfer que nous serons heureux.
L’enfer (l’horreur en général) est par ailleurs un thème essentiel de l’art, sans lequel le sublime (qui est un sentiment plus profond que le beau) n’existerait pas. Le sublime naît en effet de la sublimation de l’horreur. Certains genres artistiques consacrés à ce thème (la tragédie et le fantastique), n’existeraient pas non plus. Des mouvements comme le symbolisme et le surréalisme se sont également inspirés du mal. La représentation de l’horreur nous libère de nos peurs (c’est l’effet cathartique de l’art, théorisé dans la Poétique d’Aristote) et réalise nos fantasmes. L’art conjure l’enfer en le transformant en paradis (le sentiment du sublime est un délice). Le mal doit faire partie de l’art parce qu’il fait partie du monde, mais aussi parce qu’il nous habite. Nous portons en nous le paradis et l’enfer, c’est pourquoi ce sont des idées éternelles. L’art fait mieux que la religion, qui nous demande d’être patients, d’endurer le mal en gardant la foi, et de refouler nos désirs. L’art transfigure le mal (en transformant la laideur en beauté et la peur en délice) et sublime nos désirs interdits.
Kokof- Digressi(f/ve)
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