In memoriam Pater Emmanuel Son.
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In memoriam Pater Emmanuel Son.
In memoriam Pater Emmanuel Son.
Par respect, que dis-je ?, par amour pour ma grand-mère qui avait la foi ( Et puis mon grand père, que je n'ai pas connu, avait fait son séminaire, à l'époque où une famille décidait sans autre forme de procès qu'elle aurait un curé, ou encore façon de caser un des garçons, etc. ), j'ai été enfant de choeur, j'ai effectué mon parcours de catéchumène, etc.
L'abbé qui a eu la très lourde charge de mon catéchuménat avait minutieusement, d'ailleurs il faisait tout minutieusement, fabriqué des petits bons points carrés frappés d'un tampon, dont j'ai oublié le motif. Dix bons points, une image. Et bien avant les vignettes de dinosaures, qui me rendront maboul à six ans, ou celles de footballeurs ( Aucun intérêt à titre personnel. ), ça marchait très bien, l'Image, c'est quelque chose : la boite en fer blanc des bons points même soigneusement planquée devait régulièrement déménagée suite à la requête d'un cancre chevronné : " Ça y est m'ssieu l'abbé, ça m'en fait dix ! " L'abbé levait la tête, regardait l'escroc, plissait les yeux à l'extrême, serrait les mâchoires, on voyait littéralement le doute, la suspicion, le statufier, puis, en silence, il prenait une image bien pourrie, décevante, dans la boite et la donnait, toujours en silence, au réclamant et embrayait direct. Ensuite la boite à bons points changeait de cachette. Dans le cas d'une image méritée, franchement réjouis lui-même !, l'abbé ouvrait la boite, choisissait 4 ou 5 images où le méritant pouvait à son tour faire son choix. Et franchement, un saint céphalophore, lorrain, du cru, qui se balade la tête sous le bras, c'est bien mieux, impressionnant, que Saint Pierre ( Bernadette Soubirous, c'était déjà mieux, jusqu'à l'effraction brutale des " Bernadettes " de Playboy ! ). Et puis un jour, un petit cahier fit son apparition sous la boite à images posée comme à son habitude à un coin du bureau réservé à la catéchèse, c'est à dire la même table d'écolier de récupération que nous et bien trop petite pour lui, assis, chaque genou dépassait très largement sur les cotés ! L'abbé triomphait en silence. Il irradiait tellement qu'on l'a toute suite regardé en coin ! Bien sûr, le petit cahier était destiné à l'impeccable comptabilité des bons points. Et la boite à images put ainsi rester sur la table.
Notre abbé n'avait pas daigné accuser réception de Vatican II, était traditionaliste. Mais ça je ne l'ai appris que longtemps après son décès. Malgré cet éclairage rétrospectif, troublant ( Je n'arrive pas à faire coller cette étiquette à l'homme de mes souvenirs. ), cet homme conserve mon plus éminent respect, on l'aimait bien ! C'était également un immense lettré. Sa bibliothèque demeure l'une des plus importantes bibliothèques privées que j'ai connu. J'en ai connu et j'en connais d'autres d'hommes d'église, aucune qui ne lui arrive à la cheville. Il était musicien, organiste, chanteur grégorien et compositeur ( Textes et musiques. ) de cantiques et motets traditionnels en latin. Je le vois encore, totalement absorbé, composer, testant les notes sur l'orgue et corriger une partition.
L'abbé Emmanuel Son, sic !, le très bien nommé donc, avait très fermement refusé Vatican II. Donc, entre autres, messe en latin, les femmes à droite, les hommes à gauche ( Quand le curé dos à l'autel fait face aux fidèles. ), etc. Et apparemment personne des 3 micro-patelins qui constituaient sa paroisse n'y voyait tellement rien à redire que c'est bien étonné que je l'ai appris seulement de nombreuses années après son décès. Et donc, beaucoup, beaucoup, de musique et de chant ! Encore aujourd'hui je m'en étonne, feu mon père, bon athée, pour ne pas dire anticlérical, qui venait à l'office tous les 36 du mois, si ce n'est un flingue sur le tempe, pour ménager des susceptibilités ( On peut avoir des convictions et rester un être civilisé ! ), lors de circonstances précises, etc., chantait bien volontiers. Gamin, je me suis dis : " Ça cloche, il est athée et il chante ". Maintenant que je suis un tout petit peu plus grand, je me dis " charme et mystère " de la musique, d'autant plus que l'abbé était un passionné.
Il était curé c'est à dire prêtre titulaire d'une cure, ancien terme pour paroisse, mais lui, c'était " l'abbé ", " monsieur l'abbé ", il signait ses compositions " Abbé Emmanuel Son ", etc. Pour les curés des villages voisins, on disait bien " monsieur le curé ". En plus de lui, j'ai connu ou connais significativement encore trois autres hommes d'église ( Un décédé, les autres à la retraite. ) : l'un, curé, vivait avec sa bonne, un autre, curé, vit aussi avec sa bonne dont il a eu un fils qui à la quarantaine bien sonnée, c'est très naturellement qu'elle sert l'apéritif dans un magnifique petit service en argent, etc !, et le troisième qui est l'archétype du modeste curé de campagne, très très proche de ses paroissiens, à commencer par sa condition, il leur ressemble. Pour lui aussi on dit " abbé ", mais ici dans un des sens très précis, clair, parfaitement défini, du terme " abbé " : seconder le curé titulaire au sein d'une paroisse conséquente donc. Ce qui n'était pas le cas du mien, pleinement curé, s'occupant seul de sa paroisse, qu'on appelait " abbé " ! Manifestement, Il doit y avoir une ou des distinctions qui m'échappent encore. En fait je me rends tout simplement compte que je ne m'étais jamais sérieusement posé la question : pourquoi notre curé se faisait ou était appeler abbé ? Je n'en sais rien ! C'était comme ça et pis c'est tout ! Du coup, je poserais la question à l'abbé suscité la prochaine fois que je le verrais, ils se sont plus que très bien connus, leurs paroisses sont contiguës.
On comprend que l'automobile a été une révolution pour ces curés et certains de leurs paroissiens qui pour suivre les offices, cérémonies, devaient faire plusieurs kilomètres à pied, toute l'année, par tous les temps, deux fois le dimanche quand il y avait encore des vêpres, etc. On voyait des gens excuser l'absence d'autres de la même façon que le fait un parent d'élève ! C'était le lot des paroisses éclatées, avec hameaux, fermes isolées, etc. Les curés de ces coins ont été les premiers à avoir une voiture. Je ne lui ai connu que des deux chevaux, et un Diane, je crois. Pour lui, la voiture était un consommable, pour une très bonne raison, son détachement pour les biens matériels, mais pas prioritairement dans ce cas ! L'abbé et la voiture, c'était quelque chose. Il a conduit très tôt. Mais avec l'âge, sa vue était devenue basse, très très basse, et manifestement ses lunettes n'arrangeaient rien, il avait cette conduite typique des gens qui ne voient les choses qu'au dernier moment, brusque et par à coups. Après d'innombrables sorties de route ( Il attrapait le premier gamin venu, le chargeait de battre le rappel, on le sortait du fossé, et il repartait aussi sec. ), deuches définitivement irrécupérables, en plein jour il a tout de même fini par ramasser une vache sur le capot. Bien sûr la clef de contact de sa deux chevaux ne quittait jamais son emplacement. De là, on en conclut facilement qu'on est un certain nombre à avoir fait nos premières expériences automobiles avec la caisse de l'abbé. Il suffisait que d'autres lascars l'occupent de façon certaine. Mais une grenouille de bénitier a cafardé aux gendarmes. Un jour c'est deux pandores qui se sont pointés au catéchisme avec deux " absents " ! Il faudrait une plume pour le décrire s'écrasant sur le dossier de sa chaise et attraper les deux coins de sa table d'écolier ! En plus il tutoyait les deux mètres et avait un gabarit d'armoire à glace. Indéniablement, il se décarcassait pour cultiver les petits monstres confiés, organiser des sorties, les promener sur les lieux remarquables, historiques, religieux, etc., du coin, en plus un curé connait un monde fou, a ses entrées partout ( Édifices religieux forcément, fermes, usines, châteaux, noblesse locale, évêché, archives départementales, etc. ). Il avait désossé sa deuche, viré tous les sièges sauf le sien, pour charger un maximum de mômes. Des fois des garçons, toujours en mal de conneries, c'est bien connu, ouvraient le coffre ( En été on prétextait la chaleur pour rouler avec le hayon levé. ), s'asseyaient au bord et " s'amusaient " à toucher le bitume en roulant avec la pointe des godasses ( Avec le talon, on ne le fait qu'une fois, la jambe est violemment projetée vers le haut, le genou n'apprécie pas du tout. ). Mais le coup de la vache a été un déclic pour les gendarmes qui n'ignoraient bien sûr absolument rien. Devant une catastrophe annoncée, cette fois ils ont dû bien l'entreprendre, lui expliquer que désosser une voiture, c'est mauvais pour la carte grise, que le " chargement " c'est 5 personnes, pas plus, qu'on roule le coffre fermé, etc. Passons le fait qu'il roulait un fuel rouge ( Qui est fiscalement, légalement, réservé aux professionnels pour ceux qui ne savent pas. ), de toute façon, il faisait le plein gratos chez les paysans !
Un jour, un ineffable mystère a frappé notre église : toutes les gamines se sont pointées suffisamment tôt pour pouvoir occuper le premier et le second rang des femmes. Mon souvenir le plus précis, c'est la tête des paroissiens arrivant un par un, en couple, etc., découvrant la chose et se creusant la cervelle devant cette énigme bien manifeste. J'avais fait un pari avec les filles ... (Courage !) : trouver le moyen de montrer ma nouille pendant qu'on s'époumonerait sur un truc en latin que seul le curé comprenait. A un moment de la messe les enfants de choeur était très proches du premier rang, immobilisés pour un chant, c'était le moment où jamais ! Une fille placée devant moi devait même valider la performance par un hochement de tête pour les plus éloignées. Il devait y avoir un truc comme au moins 10 francs en jeu !
La sacristie de mon église, petite pièce unique, est à l'arrière gauche de l'autel et n'a que cette porte, donc pour en ressortir il faut repasser devant l'autel et donc génuflexer, c'était très pratique pour le catéchumène bordélique qui fuit un très symbolique coup de trique : le fuyard ne va pas génuflexer, le curé si, facile. La trique étant posée sur le bord droit de son " bureau " de catéchèse ( Il en avait un autre, un vrai. ), on peut en captant son attention de l'autre coté, par touche successive réduire discrètement la trique à la portion congrue, et ceci fait provoquer l'ire de l'abbé qui va brandir un truc de 15 cms. Il y a le complot intra-paroissial : les mômes d'un des patelins vont dégonfler les pneus pendant leur office, quand ce truc revenait à la mode il garait le carrosse devant la porte, quand les lieux le permettaient, ou le faisait surveiller. A cause des talus, et une foule de raisons, l'abbé était souvent en retard, mais je n'ai jamais vu quelqu'un tailler la route et l'abbé ne pas arriver pour accomplir sa messe, fin prête, qui n'attend plus que lui. L'abbé était observateur : il avait bien compris que si il y avait bien un endroit où je me tiendrais à carreaux, c'était la bibliothèque du presbytère, et elle était ouverte à qui en faisait la demande, " Tu lis quoi ? ", " Quand tu as finis, tu n'oublies pas de remettre le livre à sa place " et il partait. Des fois les " débats " entre mômes du patelin entre vacheries à faire ou ne pas faire étaient plus que vifs, âpres, à chacun ses lignes jaunes et rouges. Montrer ma nouille aux filles, oui, pirater la quête, non, c'est compliqué tout ça ! Une fois on a ôté le calice de sa petite armoire fermée à clef sur le centre de l'autel. Préparant la communion donc, dos aux paroissiens, il ouvre, rien. Il est resté scotché. Cohorte d'anges. Un enfant de choeur qui a soudainement compris la gravité de la situation ou plutôt soudainement saisi par une indicible trouille s'est spontanément levé, a pris le calice simplement caché derrière l'armoire et l'a placé devant le curé, qui a repris. Là, rien que d'y penser, je déglutis. Et si personne ne s'était levé ? Je pense qu'une pluie de calamités bibliques se seraient abattues sur nous sur le coup là. Je ne sais plus si l'idée était de moi ou pas. Je ne crois pas. Pas mon genre. Rien que d'y penser, je frémis encore. Une fois il a fait semblant de faire la messe, impeccable, tous les paroissiens n'y ont vu que du feu : faute de vin dans la fiole prévue à cet effet l'eucharistie, la transsubstantiation, ont un peu souffert ! Par contre, une fois, j'arrive en pleine bataille à coups de Missels, qui ne me fait pas rire du tout, j'ai fais cesser vite fait. Je les ai ramassé et remis à leur place sur les bancs, déplorant les dégâts, remisant et remplaçant les plus esquintés. Les livres, depuis longtemps. C'est incroyable ce qu'on a pu lui faire ! Avec émulation, compétition, inter-patelins ! Ça me fait penser au sort fait aux professeurs. Je pense très sincèrement que s'occuper des mômes relève de la vocation, et celui là il avait cette fibre, cultiver l'intelligence, capter l'attention, générer une ambiance, susciter l'intérêt, etc..
Un jour, je discutais avec ma grand-mère, et puis elle sort : " Il est où le temps là ? " Et j'ai pensé sans le dire : " Englouti ". Et ce sans nostalgite, angélisme. Ma grand-mère bondissait quand elle entendait le " bon vieux temps ". Ce monde là aussi, à sa façon, était dur, féroce. Il faut se méfier de la nostalgie : elle a la mémoire singulièrement sélective ! La preuve ici même. C'est bien volontiers que j'ai parlé de cet homme. J'ai du respect, de l'estime, pour lui. Peut être même de l'affection. Salut l'abbé.
Par respect, que dis-je ?, par amour pour ma grand-mère qui avait la foi ( Et puis mon grand père, que je n'ai pas connu, avait fait son séminaire, à l'époque où une famille décidait sans autre forme de procès qu'elle aurait un curé, ou encore façon de caser un des garçons, etc. ), j'ai été enfant de choeur, j'ai effectué mon parcours de catéchumène, etc.
L'abbé qui a eu la très lourde charge de mon catéchuménat avait minutieusement, d'ailleurs il faisait tout minutieusement, fabriqué des petits bons points carrés frappés d'un tampon, dont j'ai oublié le motif. Dix bons points, une image. Et bien avant les vignettes de dinosaures, qui me rendront maboul à six ans, ou celles de footballeurs ( Aucun intérêt à titre personnel. ), ça marchait très bien, l'Image, c'est quelque chose : la boite en fer blanc des bons points même soigneusement planquée devait régulièrement déménagée suite à la requête d'un cancre chevronné : " Ça y est m'ssieu l'abbé, ça m'en fait dix ! " L'abbé levait la tête, regardait l'escroc, plissait les yeux à l'extrême, serrait les mâchoires, on voyait littéralement le doute, la suspicion, le statufier, puis, en silence, il prenait une image bien pourrie, décevante, dans la boite et la donnait, toujours en silence, au réclamant et embrayait direct. Ensuite la boite à bons points changeait de cachette. Dans le cas d'une image méritée, franchement réjouis lui-même !, l'abbé ouvrait la boite, choisissait 4 ou 5 images où le méritant pouvait à son tour faire son choix. Et franchement, un saint céphalophore, lorrain, du cru, qui se balade la tête sous le bras, c'est bien mieux, impressionnant, que Saint Pierre ( Bernadette Soubirous, c'était déjà mieux, jusqu'à l'effraction brutale des " Bernadettes " de Playboy ! ). Et puis un jour, un petit cahier fit son apparition sous la boite à images posée comme à son habitude à un coin du bureau réservé à la catéchèse, c'est à dire la même table d'écolier de récupération que nous et bien trop petite pour lui, assis, chaque genou dépassait très largement sur les cotés ! L'abbé triomphait en silence. Il irradiait tellement qu'on l'a toute suite regardé en coin ! Bien sûr, le petit cahier était destiné à l'impeccable comptabilité des bons points. Et la boite à images put ainsi rester sur la table.
Notre abbé n'avait pas daigné accuser réception de Vatican II, était traditionaliste. Mais ça je ne l'ai appris que longtemps après son décès. Malgré cet éclairage rétrospectif, troublant ( Je n'arrive pas à faire coller cette étiquette à l'homme de mes souvenirs. ), cet homme conserve mon plus éminent respect, on l'aimait bien ! C'était également un immense lettré. Sa bibliothèque demeure l'une des plus importantes bibliothèques privées que j'ai connu. J'en ai connu et j'en connais d'autres d'hommes d'église, aucune qui ne lui arrive à la cheville. Il était musicien, organiste, chanteur grégorien et compositeur ( Textes et musiques. ) de cantiques et motets traditionnels en latin. Je le vois encore, totalement absorbé, composer, testant les notes sur l'orgue et corriger une partition.
L'abbé Emmanuel Son, sic !, le très bien nommé donc, avait très fermement refusé Vatican II. Donc, entre autres, messe en latin, les femmes à droite, les hommes à gauche ( Quand le curé dos à l'autel fait face aux fidèles. ), etc. Et apparemment personne des 3 micro-patelins qui constituaient sa paroisse n'y voyait tellement rien à redire que c'est bien étonné que je l'ai appris seulement de nombreuses années après son décès. Et donc, beaucoup, beaucoup, de musique et de chant ! Encore aujourd'hui je m'en étonne, feu mon père, bon athée, pour ne pas dire anticlérical, qui venait à l'office tous les 36 du mois, si ce n'est un flingue sur le tempe, pour ménager des susceptibilités ( On peut avoir des convictions et rester un être civilisé ! ), lors de circonstances précises, etc., chantait bien volontiers. Gamin, je me suis dis : " Ça cloche, il est athée et il chante ". Maintenant que je suis un tout petit peu plus grand, je me dis " charme et mystère " de la musique, d'autant plus que l'abbé était un passionné.
Il était curé c'est à dire prêtre titulaire d'une cure, ancien terme pour paroisse, mais lui, c'était " l'abbé ", " monsieur l'abbé ", il signait ses compositions " Abbé Emmanuel Son ", etc. Pour les curés des villages voisins, on disait bien " monsieur le curé ". En plus de lui, j'ai connu ou connais significativement encore trois autres hommes d'église ( Un décédé, les autres à la retraite. ) : l'un, curé, vivait avec sa bonne, un autre, curé, vit aussi avec sa bonne dont il a eu un fils qui à la quarantaine bien sonnée, c'est très naturellement qu'elle sert l'apéritif dans un magnifique petit service en argent, etc !, et le troisième qui est l'archétype du modeste curé de campagne, très très proche de ses paroissiens, à commencer par sa condition, il leur ressemble. Pour lui aussi on dit " abbé ", mais ici dans un des sens très précis, clair, parfaitement défini, du terme " abbé " : seconder le curé titulaire au sein d'une paroisse conséquente donc. Ce qui n'était pas le cas du mien, pleinement curé, s'occupant seul de sa paroisse, qu'on appelait " abbé " ! Manifestement, Il doit y avoir une ou des distinctions qui m'échappent encore. En fait je me rends tout simplement compte que je ne m'étais jamais sérieusement posé la question : pourquoi notre curé se faisait ou était appeler abbé ? Je n'en sais rien ! C'était comme ça et pis c'est tout ! Du coup, je poserais la question à l'abbé suscité la prochaine fois que je le verrais, ils se sont plus que très bien connus, leurs paroisses sont contiguës.
On comprend que l'automobile a été une révolution pour ces curés et certains de leurs paroissiens qui pour suivre les offices, cérémonies, devaient faire plusieurs kilomètres à pied, toute l'année, par tous les temps, deux fois le dimanche quand il y avait encore des vêpres, etc. On voyait des gens excuser l'absence d'autres de la même façon que le fait un parent d'élève ! C'était le lot des paroisses éclatées, avec hameaux, fermes isolées, etc. Les curés de ces coins ont été les premiers à avoir une voiture. Je ne lui ai connu que des deux chevaux, et un Diane, je crois. Pour lui, la voiture était un consommable, pour une très bonne raison, son détachement pour les biens matériels, mais pas prioritairement dans ce cas ! L'abbé et la voiture, c'était quelque chose. Il a conduit très tôt. Mais avec l'âge, sa vue était devenue basse, très très basse, et manifestement ses lunettes n'arrangeaient rien, il avait cette conduite typique des gens qui ne voient les choses qu'au dernier moment, brusque et par à coups. Après d'innombrables sorties de route ( Il attrapait le premier gamin venu, le chargeait de battre le rappel, on le sortait du fossé, et il repartait aussi sec. ), deuches définitivement irrécupérables, en plein jour il a tout de même fini par ramasser une vache sur le capot. Bien sûr la clef de contact de sa deux chevaux ne quittait jamais son emplacement. De là, on en conclut facilement qu'on est un certain nombre à avoir fait nos premières expériences automobiles avec la caisse de l'abbé. Il suffisait que d'autres lascars l'occupent de façon certaine. Mais une grenouille de bénitier a cafardé aux gendarmes. Un jour c'est deux pandores qui se sont pointés au catéchisme avec deux " absents " ! Il faudrait une plume pour le décrire s'écrasant sur le dossier de sa chaise et attraper les deux coins de sa table d'écolier ! En plus il tutoyait les deux mètres et avait un gabarit d'armoire à glace. Indéniablement, il se décarcassait pour cultiver les petits monstres confiés, organiser des sorties, les promener sur les lieux remarquables, historiques, religieux, etc., du coin, en plus un curé connait un monde fou, a ses entrées partout ( Édifices religieux forcément, fermes, usines, châteaux, noblesse locale, évêché, archives départementales, etc. ). Il avait désossé sa deuche, viré tous les sièges sauf le sien, pour charger un maximum de mômes. Des fois des garçons, toujours en mal de conneries, c'est bien connu, ouvraient le coffre ( En été on prétextait la chaleur pour rouler avec le hayon levé. ), s'asseyaient au bord et " s'amusaient " à toucher le bitume en roulant avec la pointe des godasses ( Avec le talon, on ne le fait qu'une fois, la jambe est violemment projetée vers le haut, le genou n'apprécie pas du tout. ). Mais le coup de la vache a été un déclic pour les gendarmes qui n'ignoraient bien sûr absolument rien. Devant une catastrophe annoncée, cette fois ils ont dû bien l'entreprendre, lui expliquer que désosser une voiture, c'est mauvais pour la carte grise, que le " chargement " c'est 5 personnes, pas plus, qu'on roule le coffre fermé, etc. Passons le fait qu'il roulait un fuel rouge ( Qui est fiscalement, légalement, réservé aux professionnels pour ceux qui ne savent pas. ), de toute façon, il faisait le plein gratos chez les paysans !
Un jour, un ineffable mystère a frappé notre église : toutes les gamines se sont pointées suffisamment tôt pour pouvoir occuper le premier et le second rang des femmes. Mon souvenir le plus précis, c'est la tête des paroissiens arrivant un par un, en couple, etc., découvrant la chose et se creusant la cervelle devant cette énigme bien manifeste. J'avais fait un pari avec les filles ... (Courage !) : trouver le moyen de montrer ma nouille pendant qu'on s'époumonerait sur un truc en latin que seul le curé comprenait. A un moment de la messe les enfants de choeur était très proches du premier rang, immobilisés pour un chant, c'était le moment où jamais ! Une fille placée devant moi devait même valider la performance par un hochement de tête pour les plus éloignées. Il devait y avoir un truc comme au moins 10 francs en jeu !
La sacristie de mon église, petite pièce unique, est à l'arrière gauche de l'autel et n'a que cette porte, donc pour en ressortir il faut repasser devant l'autel et donc génuflexer, c'était très pratique pour le catéchumène bordélique qui fuit un très symbolique coup de trique : le fuyard ne va pas génuflexer, le curé si, facile. La trique étant posée sur le bord droit de son " bureau " de catéchèse ( Il en avait un autre, un vrai. ), on peut en captant son attention de l'autre coté, par touche successive réduire discrètement la trique à la portion congrue, et ceci fait provoquer l'ire de l'abbé qui va brandir un truc de 15 cms. Il y a le complot intra-paroissial : les mômes d'un des patelins vont dégonfler les pneus pendant leur office, quand ce truc revenait à la mode il garait le carrosse devant la porte, quand les lieux le permettaient, ou le faisait surveiller. A cause des talus, et une foule de raisons, l'abbé était souvent en retard, mais je n'ai jamais vu quelqu'un tailler la route et l'abbé ne pas arriver pour accomplir sa messe, fin prête, qui n'attend plus que lui. L'abbé était observateur : il avait bien compris que si il y avait bien un endroit où je me tiendrais à carreaux, c'était la bibliothèque du presbytère, et elle était ouverte à qui en faisait la demande, " Tu lis quoi ? ", " Quand tu as finis, tu n'oublies pas de remettre le livre à sa place " et il partait. Des fois les " débats " entre mômes du patelin entre vacheries à faire ou ne pas faire étaient plus que vifs, âpres, à chacun ses lignes jaunes et rouges. Montrer ma nouille aux filles, oui, pirater la quête, non, c'est compliqué tout ça ! Une fois on a ôté le calice de sa petite armoire fermée à clef sur le centre de l'autel. Préparant la communion donc, dos aux paroissiens, il ouvre, rien. Il est resté scotché. Cohorte d'anges. Un enfant de choeur qui a soudainement compris la gravité de la situation ou plutôt soudainement saisi par une indicible trouille s'est spontanément levé, a pris le calice simplement caché derrière l'armoire et l'a placé devant le curé, qui a repris. Là, rien que d'y penser, je déglutis. Et si personne ne s'était levé ? Je pense qu'une pluie de calamités bibliques se seraient abattues sur nous sur le coup là. Je ne sais plus si l'idée était de moi ou pas. Je ne crois pas. Pas mon genre. Rien que d'y penser, je frémis encore. Une fois il a fait semblant de faire la messe, impeccable, tous les paroissiens n'y ont vu que du feu : faute de vin dans la fiole prévue à cet effet l'eucharistie, la transsubstantiation, ont un peu souffert ! Par contre, une fois, j'arrive en pleine bataille à coups de Missels, qui ne me fait pas rire du tout, j'ai fais cesser vite fait. Je les ai ramassé et remis à leur place sur les bancs, déplorant les dégâts, remisant et remplaçant les plus esquintés. Les livres, depuis longtemps. C'est incroyable ce qu'on a pu lui faire ! Avec émulation, compétition, inter-patelins ! Ça me fait penser au sort fait aux professeurs. Je pense très sincèrement que s'occuper des mômes relève de la vocation, et celui là il avait cette fibre, cultiver l'intelligence, capter l'attention, générer une ambiance, susciter l'intérêt, etc..
Un jour, je discutais avec ma grand-mère, et puis elle sort : " Il est où le temps là ? " Et j'ai pensé sans le dire : " Englouti ". Et ce sans nostalgite, angélisme. Ma grand-mère bondissait quand elle entendait le " bon vieux temps ". Ce monde là aussi, à sa façon, était dur, féroce. Il faut se méfier de la nostalgie : elle a la mémoire singulièrement sélective ! La preuve ici même. C'est bien volontiers que j'ai parlé de cet homme. J'ai du respect, de l'estime, pour lui. Peut être même de l'affection. Salut l'abbé.
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" Tout Étant produit par moi m'est donné (c'est son statut philosophique), a priori, et il est Mien (cogito, conscience de Soi, libéré du Poêle) ". " Savoir guérit, forge. Et détruit tout ce qui doit l'être ", ou, équivalents, " Tout l'Inadvertancier constitutif doit disparaître ", " Le progrès, c'est la liquidation du Sujet empirique, notoirement névrotique, par la connaissance ". " Il faut régresser et recommencer, en conscience ". Moi.
C'est à pas de colombes que les Déesses s'avancent.
neopilina- Digressi(f/ve)
- Nombre de messages : 8364
Date d'inscription : 31/10/2009
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