SOARES-Le livre de l'intranquillité
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SOARES-Le livre de l'intranquillité
Le livre de l'Intranquillité
Comme des enfants, il a ouvert une porte à l’intérieur de soi.
Différemment des enfants, il s’est enfermé seul.
Ennui, indifférence, somnolence, renoncement.
Il s’est enfermé seul dans sa tour d’ivoire dont nous sommes les heureux contrebandiers.
Sa Babel ontologique se remonte comme une montre donnant l’heure du non-être.
En fait de tour, son œuvre est kaléidoscope.
Et chaque porte à laquelle nous frappons est un interstice ouvert sur le monde.
Le ton funèbre de Soares est évocation minutée de la vie-songe.
L’autre y est simple paysage. L’altérité, elle, voyage simplement.
Gloire ensevelie, tous les césars qui sont tout le monde pour eux-mêmes sont le garçon de bureau, le patron Vasquez, le collègue Moreira, les paysannes de Lisbonne, les césars de l’histoire.
La vie est un intervalle entre soi et soi, entre vie et mort, entre une sensation imaginaire et le départ qu’elle opère.
Dès lors, qu’agir soit une nécessité est comédie nécessaire ; que vivre sa vie puisse signifier quelque chose est incompréhensible au rêveur.
A moins que cela ne lui soit arrivé, comme malgré soi, qu’en rêve.
Comme un symbole.
Indécision de celui construit, blotti entre vie et rêve.
Insignifiance de l’action auquel on accole un sens.
Bernardo Soares, simple aide-comptable, fatigué de tout, repu de lui et reposé dans son sommeil éveillé d’écrire cette autobiographie sans évènement, ce journal de bord sans cap ; sinon celui indéfini d’échouer.
« Je gis ma vie ».
D’évènement, le seul dans tout ceci est l’œuvre qui en est surgie, écrite en marge de ses livres de compte, au travail. La prose de ces limbes a renoncé au papier du poète.
Il n’y a de gloire que périssable, de succès que dans l’échec.
Renoncer s’est vaincre. Se vaincre.
Reste à se perdre en s’explorant, à écrire le naufrage d’une non-œuvre, à se sentir major retraité siégeant dans un hotel sans vécu.
C’est se haussant sur le « poids de sa vie morte », Roi de notre Bavière, qu’il – personne au masque retourné- se peuple, se penche et se fait Soares, frère de condition inconnue de Joseph K., demi-Hyde de il-Pessoa, exègete résiduel d’une constellation de personnalités qui sont autant d’intervalles atomisées à une œuvre unique, perdue, éclatée, vagabondant jusqu’à nous, hypocrites lecteurs, surprendre.
Eduardo Lourenço écrit : « le Livre de l’intranquillité est le livre de la non-vie de Bernardo Soares, autant dire de la « vraie » vie de Fernando Pessoa ».
Ombre portée de son projet et au sein de laquelle, pour une fois, le jeu se fait, en fait, sans fard ni mise en scène.
Comme un acteur quittant la pièce en plein milieu. Pour mieux rester. Car tout est planché de théâtre.
L’enfant est un pervers polymorphe, disait Freud.
Tout le drame humain, c’est qu’on joue ensuite à l’oublier ; puis qu’on s’en offusque.
Sans se retourner sur soi, dans la tombe de son inexistence.
Cela n’est même pas une autobiographie, pas même un livre mais des fragments retrouvés et scotchés maladroitement entre eux au gré des éditions.
Offrant chacune des entrées multiples. (Cette expression a un sens pour l’éditeur. Elle en a un autre ici.)
L’intranquillité de la conscience est ce qui l’amène à danser, quand les autres se précipitent en césars, jusqu’au-dessus de l’abime final.
Vivre le sommeil / songer des existences.
Ceci n’est pas un point final.
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