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Message par cedric Jeu 21 Mar 2013 - 16:15

Plusieurs choses m'interpellent dans cette posture de Socrate.

D'une part, la vertu, en tant qu'elle est incarnée, est quelque chose, en ce sens, de personnel. Ca me fait penser à la critique de Nietzsche du christianisme, et de toutes les doctrines qui se situent dans une mortification de l'ego. Nietzsche qui préfère en revenir aux présocratiques, selon lui, pour faire une apologie de l'ego. Or, il me semble qu'on n'a pas besoin de faire un retour aux présocratiques pour ça, on trouve encore cette posture, cette apologie de la personnalité, de la grandeur de la personne, chez Socrate, précisément car seule un individu peut dire, énoncer, ce qui est. Partant, il me semble que Nietzsche est injuste dans sa critique de Socrate en ce sens. Mais bon, sans doute Nietzsche veut-il faire l'apologie des instincts, ce qui évidemment est contraire à Socrate.

D'autre part, et là c'est plus intéressant d'un point de vue philosophique, ça concerne la posture épistémologique de Socrate vis à vis de l'écriture. En effet, Socrate ne fait pas autre chose que mettre en garde contre la prétention de l'écriture à refléter la réalité, tandis qu'elle n'en est en fait qu'une image. Et là, si je ne m'abuse, il me semble qu'on se trouve en présence de la première critique philosophique des médias dans le rapport au savoir ! Ce qui n'est pas rien, excusez du peu ! L'écriture elle-même, dont toutes nos bibliothèques sont tartinées et dont on ne pense même plus à remettre en cause l'évidence selon laquelle le savoir s'y trouve, eh bien, cette évidence, Socrate nous met en garde contre. Ce qui veut dire, excusez du peu, que Socrate est le premier, le précurseur à opérer une critique de l' Histoire comme accumulation de "données", d'histoires qui au fond ne nous concernent pas !

Pour finir, la posture de Platon pose problème, car tout son travail, en ce sens, est une opposition à son maître Socrate, puisqu'il était un grand écrivain. Qu'en penser ?

De même pour cette chaîne de la transmission du savoir philosophique, qui par définition peut prendre fin. Qu'en penser ?





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Message par euthyphron Jeu 21 Mar 2013 - 17:02

Tu as tout à fait raison,et le Gorgias confirme que la pensée de Platon est, quelques siècles avant Debord, opposée à la médiatisation. Plus précisément, la critique du Phèdre dénonce l'enregistrement.
Cependant, bien évidemment, cette critique est écrite, et il est probable que Platon s'en est aperçu! C'est le signe que la critique de l'écriture ne veut pas supprimer l'écriture, mais dénoncer la confusion de l'enregistrement et de l'original, et surtout de l'autorité accordée à celui-là plus qu'à celui-ci, qui s'offre au dialogue.
Il ne faut donc pas prendre à la lettre cette critique de l'écriture, puisqu'elle nous enseigne à ne rien prendre à la lettre. Il faut avoir avec les textes écrits le même rapport qu'avec les mythes.

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Message par Courtial Jeu 21 Mar 2013 - 17:47

Je suis d'accord, il ne faut pas prendre l'écrit et l'oral trop au pied de la lettre.
Il y a par ailleurs des textes plus "écrits" que d'autres, et des écrits plus oraux : Platon a écrit, certes, mais dans la forme qui rappelle le plus l'oralité, le dialogue.

Il y a même des paroles qui sont bien orales, à la lettre, mais qui sont écrites dans l'esprit. Par exemple, un discours fait à la télé, soi disant vers le télespectateur (d'un homme politique face caméra, par exemple) a toutes les caractéristiques que Platon attribue à l'écri : c'est pas du dialogue mais de la com, ça ne s'adresse à personne, etc.

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Message par cedric Ven 22 Mar 2013 - 10:16

euthyphron a écrit:Tu as tout à fait raison,et le Gorgias confirme que la pensée de Platon est, quelques siècles avant Debord, opposée à la médiatisation. Plus précisément, la critique du Phèdre dénonce l'enregistrement.
Cependant, bien évidemment, cette critique est écrite, et il est probable que Platon s'en est aperçu! C'est le signe que la critique de l'écriture ne veut pas supprimer l'écriture, mais dénoncer la confusion de l'enregistrement et de l'original, et surtout de l'autorité accordée à celui-là plus qu'à celui-ci, qui s'offre au dialogue.
Il ne faut donc pas prendre à la lettre cette critique de l'écriture, puisqu'elle nous enseigne à ne rien prendre à la lettre. Il faut avoir avec les textes écrits le même rapport qu'avec les mythes.

Sans doute. Mais cependant la thèse défendue pas Socrate possède un sens fort qui, il me semble, ne demande pas à être atténué, comme tu le fais par ton interprétation. Ce qu'il dit m'a l'air très clair. Et pour ma part, mon interprétation, c'est que par son geste de consigner par écrit, de mettre par écrit les dires de Socrate, Platon opère déjà une rupture avec son maître, et non pas une adéquation comme tu semblerais le penser. La seule manière de conserver cette position, ce serait d'apprendre que Platon a écrit ces écrits précisément comme memento et comme outil secondaire de son enseignement oral à lui, ce qui du reste est tout à fait possible. Ceci dit pour un orateur, il aurait été alors un littéraire très prolixe.

Mais je ne pense pas qu'il faille s'en tenir à dire qu'au fond...l'écriture est quand même un outil important pour l'enseignement. C'est précisément ce à quoi Socrate s'oppose !


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Message par euthyphron Ven 22 Mar 2013 - 10:57

Dire qu'il ne faut pas prendre la critique de l'écriture à la lettre n'est pas du tout une atténuation. Prendre au sérieux n'est pas synonyme de prendre à la lettre. Comme Courtial l'a montré, une intervention orale peut en réalité être sous le coup de la critique de l'écriture. Le pendant de cette précision indispensable, c'est qu'un texte écrit est précieux, pourvu qu'on ait appris à le lire, et compris que lire, c'est repenser.
Reconnais que l'hypothèse d'une opposition entre Socrate et Platon sur le sujet rend le texte incompréhensible. Donc elle n'est pas pertinente.

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Message par cedric Ven 22 Mar 2013 - 11:47

euthyphron a écrit: Le pendant de cette précision indispensable, c'est qu'un texte écrit est précieux, pourvu qu'on ait appris à le lire, et compris que lire, c'est repenser.
.

Ca c'est ce que tu penses. Socrate pense l'inverse.

Reconnais que l'hypothèse d'une opposition entre Socrate et Platon sur le sujet rend le texte incompréhensible. Donc elle n'est pas pertinente.

Ca c'est ta déduction. Que personnellement je ne partage pas. Je te rappelle que : Socrate n'a rien écrit.

Tout est dans les textes analysés, ça ressort de manière assez évidente.



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Message par euthyphron Ven 22 Mar 2013 - 12:09

Je déduis mon interprétation du texte et non d'une quelconque intuition de la socratéité de Socrate. :D
1) ce texte est un écrit
2) il dit que ce qui est écrit ne doit pas être pris à la lettre et qu'on ne doit pas lui accorder d'autorité
Donc, soit Platon est tellement idiot qu'il ne s'est pas aperçu qu'il écrivait son texte, soit, ce qui semble être ton hypothèse, Platon se force malgré lui à écrire ce que pense Socrate par "fidélité", sans s'apercevoir qu'en fait c'est une trahison, et qu'il n'a ainsi exprimé ni sa pensée ni celle de son maître, soit il faut penser le point 2, comme le texte nous y invite, et la contradiction tombe.
L'esprit de Socrate est ainsi dévoilé, et cette expression exclut sa réduction à des formules dogmatiques.
La question de savoir si la pensée qui se dégage du texte vient de Socrate ou de Platon ou d'un autre est d'ailleurs dénoncée par le texte comme une mauvaise question, qui fait passer à côté de ce qui est en jeu. Je fais référence à un passage que tu n'as pas reproduit, juste après le mythe de Theuth:
Platon a écrit:Mon ami, les prêtres du temple de Zeus à Dodone ont affirmé que c'est d'un chêne que sortirent les premières divinations. Les gens de ce temps-là, qui n'étaient pas savants comme vous, jeunes gens, écoutaient fort bien dans leur simplicité un chêne ou une pierre, si le chêne ou la pierre disaient la vérité; mais toi, tu veux sans doute savoir le nom de l'orateur et son pays d'origine, et tu ne te contentes pas de savoir si ce qu'il dit est vrai ou faux

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Message par cedric Ven 22 Mar 2013 - 14:03

Là tu me fais grincer des dents, sortir un texte de son contexte et lui coller ton interprétation à un autre niveau...

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Message par euthyphron Ven 22 Mar 2013 - 14:18

:?:
J'ai beau chercher, je ne comprends pas ce que tu veux dire!
Le contexte, je l'ai rappelé. C'est en plein coeur de ce que nous sommes en train d'interpréter, entre le mythe de Theuth et la comparaison de l'écriture à la peinture. Tu peux vérifier, j'ai même choisi ta traduction. Comment lis-tu ce passage? où ai-je inventé?

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Message par Geo Rum Phil Ven 22 Mar 2013 - 15:11

cedric a écrit:
Je te rappelle que : Socrate n'a rien écrit.

Cela ne veut pas dire qu'il ne savait pas écrire ou qu'il n'a rien écrit dans sa vie ! Wink
Si sa pensée a été gravée à travers l'écriture de Platon, on pourra dire qu'il s'agit d'une écriture dans l'écriture.

Ce n'est pas parce que Michel Onfray, pour éditer ses livres, utlise un dictaphone branché à l'imprimerie automatique, qu'il n'a rien écrit !

euthyphron a écrit:
(...) il dit que ce qui est écrit ne doit pas être pris à la lettre et qu'on ne doit pas lui accorder d'autorité

Au café-philo, une règle propose le rejet de l'argument d'autorité « ce n'est pas parce que X ou Y a dit, que c'est vrai; il faut repanser ses propos par soi-même ».

Platon a écrit:
(...) mais toi, tu veux sans doute savoir le nom de l'orateur et son pays d'origine, et tu ne te contentes pas de savoir si ce qu'il dit est vrai ou faux.

...ça c'est le vice du culte/inculte de la personnalité des scribes, pharisiens et philosophistes du pouvoir; ils adorent ou méprisent à travers la biografie de l'auteur sa position sociale.

Une autre règle du café-philo, établit par Marc Sautet, dit que « au café-philo, chacun est pris pour ce qu'il dit, non pour ce qu'il représent socialement ». Cette règle a fait pas mal de vexés parmi ceux qui ont cru que la déraison passe inaperçue sous la haute protection des possessions matérielles.

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Message par Bergame Sam 23 Mar 2013 - 19:20

Courtial a écrit:Il y a même des paroles qui sont bien orales, à la lettre, mais qui sont écrites dans l'esprit. Par exemple, un discours fait à la télé, soi disant vers le télespectateur (d'un homme politique face caméra, par exemple) a toutes les caractéristiques que Platon attribue à l'écrit : c'est pas du dialogue mais de la com, ça ne s'adresse à personne, etc.
Certes, mais le Ménon nous dit que les discours des hommes politiques sont eux aussi des discours vivants, inspirés -du moins, ceux de certains hommes politiques.

Je pense aussi que vous avez tendance, là, à déproblématiser ce qui est problématique. Effectivement, le paradoxe de Socrate c'est qu'il est érigé au rang de fondateur de la philosophie occidentale, que cette œuvre est écrite, et que lui n'a jamais rien écrit. C'est un sacré paradoxe ! Et bien sûr que l'œuvre de Platon est écrite, et bien sûr que Platon relate par l'écrit une pensée qui méprise l'écrit. Encore une fois, si, selon Platon relatant Socrate, la philosophie est un discours vivant, et vivant parce qu'oral, évidemment que le relater par écrit est une trahison ! Mais pourquoi voudrais-tu, euthyphron, escamoter précisément ce qu'il y a à penser ? Pourquoi tiens-tu à "faire tomber la contradiction" ? C'est la contradiction qui fait penser. Le problème que nous soulevons ici est, à mon avis, un problème magnifique. Socrate est le père de la philosophie occidentale, et non seulement il n'a jamais rien écrit, mais il met en garde contre l'écriture. Quel impensé ! Non ?

Et d'ailleurs, le problème est rendu encore plus extraordinaire par Platon lui-même. Connaissez-vous la lettre II ?
Aie soin surtout de ne rien écrire sur ces matières ; il faut tout confier à la mémoire, car on n'est jamais sûr que le papier ne nous échappera pas ; aussi je n'ai jamais rien écrit, et il n'y a et il n'y aura jamais d'ouvrage de Platon ; ceux qu'on m'attribue sont de Socrate, quand il était jeune, et déjà remarquable par sa sagesse.
Ca n'est pas extraordinaire, ça ? Ca l'est tellement que la manière habituelle de remédier au problème que pose ici Platon consiste à remettre en doute l'authenticité de la lettre. Mais en fait, il le répète dans la Lettre VII, celle dont on admet le plus aisément l'authenticité :
Pour ceux qui ont écrit ou écriront ce qu'ils croient être mes véritables principes, qu'ils prétendent les avoir appris de moi-même ou d'autres, ou même les avoir découverts par leurs propres efforts, je déclare qu'à mon avis ils n'en peuvent savoir un mot. Je n'ai jamais rien écrit et je n'écrirai jamais rien sur ces matières.

Je crois que si l'on maintient la contradiction, la question qui reste en suspens, c'est : Pourquoi Platon / Socrate nous met-il en garde contre l'écriture ? Je crois que nous n'avons pas encore creusé cette question, et nous ne l'avons pas fait parce qu'elle nous est complètement étrangère. Nous sommes, nous Modernes, une civilisation de l'écrit.

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Message par Geo Rum Phil Dim 24 Mar 2013 - 13:13

Bergame a écrit: Et d'ailleurs, le problème est rendu encore plus extraordinaire par Platon lui-même. Connaissez-vous la lettre II ?
Aie soin surtout de ne rien écrire sur ces matières ; il faut tout confier à la mémoire, (...)

Paradoxalement, l'écriture fut la meilleure mémoire de la parole. Aujourd'hui on a le dictaphone. Il est vrai, comme Socrate l'a dit, que la parole est vivante et l'écriture est statique... en attendant d'être de nouveau animée/vivante par la lecture, les interrogations ou le débat.

L'ambiguïté falsifier/réfuter de Popper, met en évidence le fait qu'une certaine écriture peut falsifier une autre écriture, mais ce n'est pas la faute de l'écriture. Il faut être vraiment naïf/naïve pour croire que les scribes (gratte-papier) et les pharisiens de chaque pays n'ont pas falsifier l'histoire et toute parole critique à l'adresse du pouvoir.

Prendre tout texte à la lettre c'est être incapable à démêler le faux du vrai !

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Message par Courtial Dim 24 Mar 2013 - 20:58

Certes, mais le Ménon nous dit que les discours des hommes politiques sont eux aussi des discours vivants, inspirés -du moins, ceux de certains hommes politiques.

Ce n'était qu'un exemple. Quand on te fait une pub pour vendre une cuisine ikea ou le nouvel Omo, c'est de l'écrit au sens de Platon, voilà ce que je dis. Même si ce sont des images et qu'il y a une belle fille qui te montre ses cuisses et qui parle, c'est de l'écrit, même si l'on n'entend pas ceci quand on dit que l'on "écrit", en général. J'ai cité un homme politique comme ça, mais ce n'est pas l'essentiel ici.

Je pense aussi que vous avez tendance, là, à déproblématiser ce qui est problématique. Effectivement, le paradoxe de Socrate c'est qu'il est érigé au rang de fondateur de la philosophie occidentale, que cette œuvre est écrite, et que lui n'a jamais rien écrit. C'est un sacré paradoxe ! Et bien sûr que l'œuvre de Platon est écrite, et bien sûr que Platon relate par l'écrit une pensée qui méprise l'écrit. Encore une fois, si, selon Platon relatant Socrate, la philosophie est un discours vivant, et vivant parce qu'oral, évidemment que le relater par écrit est une trahison ! Mais pourquoi voudrais-tu, euthyphron, escamoter précisément ce qu'il y a à penser ? Pourquoi tiens-tu à "faire tomber la contradiction" ? C'est la contradiction qui fait penser. Le problème que nous soulevons ici est, à mon avis, un problème magnifique. Socrate est le père de la philosophie occidentale, et non seulement il n'a jamais rien écrit, mais il met en garde contre l'écriture. Quel impensé ! Non ?

Impensé ? Il essaye de faire quoi, Platon, dans les divers passages que nous avons évoqués et qui, en ce qui me concerne, m'éblouissent par leur profondeur, leur radicalité, leur force ?

Leur pertinence anthropologique, aujourd'hui. L'articulation parole/écriture a pu être un traumatisme et Platon n'est certes pas le seul à témoigner de ce que cela a pu représenter dans les sociétés humaines. Condorcet parlait aussi d'une telle rupture avec l'invention de l'imprimerie.
Je suis cinéphile et je pourrais vous parler longuement de la coupure muet/parlant et de ces conséquences. L'apparition des nouveaux media nous replonge encore dans ces considérations et toutes ces crises, globalement, nous renvoient à de l'essentiel.


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Message par cedric Lun 25 Mar 2013 - 12:14

Bergame a écrit:
Je crois que si l'on maintient la contradiction, la question qui reste en suspens, c'est : Pourquoi Platon / Socrate nous met-il en garde contre l'écriture ? Je crois que nous n'avons pas encore creusé cette question, et nous ne l'avons pas fait parce qu'elle nous est complètement étrangère. Nous sommes, nous Modernes, une civilisation de l'écrit.

Je me cite :
D'autre part, et là c'est plus intéressant d'un point de vue philosophique, ça concerne la posture épistémologique de Socrate vis à vis de l'écriture. En effet, Socrate ne fait pas autre chose que mettre en garde contre la prétention de l'écriture à refléter la réalité, tandis qu'elle n'en est en fait qu'une image. Et là, si je ne m'abuse, il me semble qu'on se trouve en présence de la première critique philosophique des médias dans le rapport au savoir ! Ce qui n'est pas rien, excusez du peu ! L'écriture elle-même, dont toutes nos bibliothèques sont tartinées et dont on ne pense même plus à remettre en cause l'évidence selon laquelle le savoir s'y trouve, eh bien, cette évidence, Socrate nous met en garde contre. Ce qui veut dire, excusez du peu, que Socrate est le premier, le précurseur à opérer une critique de l' Histoire comme accumulation de "données", d'histoires qui au fond ne nous concernent pas !

Non seulement nous sommes une civilisation de l'écrit, mais le mythe fondateur même de notre société donne une dimension spéciale à l'écrit, car je rappelle que dans les monothéismes, et là c'est intéressant et il y a un basculement qui se fait par rapport à ce qu'on étudie ici dans la posture de Socrate, pour les monothéismes : l'écrit est une révelation de Dieu, une monstration de sa parole. L'écrit est réel. Donc avec la religion, on perd d'emblée la notion du média, aussi, et dans le même temps on perd la distinction oral/écrit. Bref, ça c'est symbolique.( D'ailleurs c'est quoi la preuve de Dieu...pour un croyant en général ? Les écritures. ah ah. Les cons. ) Mais oui, il faut questionner la notion d' Histoire, dans le sens accumulation/interne/externe...comme le suppose Socrate. Enfin nous, notre civilisation et notre époque, nous sommes vraiment au bout du bout avec l'écrit, nous c'est internet, les smart phones...une dimension incroyable du média au sens large, qui apporte encore une autre distance, d'un nouveau type, une nouvelle abstraction...

Courtial écrit:
L'apparition des nouveaux media nous replonge encore dans ces considérations et toutes ces crises, globalement, nous renvoient à de l'essentiel.

Oui, c'est sans doute un temps de crise au niveau des valeurs et du rapport à l'autre, qui enjoint à voir comment ça se passe à un niveau essentiel, c'est à dire immédiat, sans média. Car le média, malgré tout ce qu'il apporte, a priori, est aussi un cancer.

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Message par euthyphron Lun 25 Mar 2013 - 17:08

Ceci n'est pas un écrit.
La proposition ci-dessus est-elle vraie ou fausse? Fausse, bien sûr. Mais c'est normal, puisqu'elle est écrite. Ce qui est écrit ne saurait être vrai, à moins qu'on appelle vrai un aide-mémoire, par piété filiale envers ce dont il conserve difficilement la mémoire.
Donc, les oeuvres de Platon ne sont pas vraies. C'est pourquoi Platon, qui aime la vérité, nous en avertit. Il n'y a là nulle contradiction.
Mais il n'y a non plus nulle résorption d'une contradiction, qui n'existe pas, dans une synthèse rassurante. L'écriture est rejetée en tant qu'elle donne l'illusion que la vérité pourrait être enfermée dans des formules, voici une formulation apparemment simple et compréhensible de ce que dit le texte. Donc, toute la philosophie occidentale à partir d'Aristote est fondée sur une illusion, à l'exception de la partie de son corpus qui se sait incapable de dire le vrai.
Pourquoi est-ce que j'écris cela? Pour parler, et faire parler.

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Message par Ataraxie Lun 25 Mar 2013 - 18:00

J'ai l'impression que l'évolution des médias est une recherche de supports de plus en plus facilement gâchables. Je veux dire qu'on recherche des supports et des techniques de transcription qui, par leur matérialité même, opposent de moins en moins de résistance à l'homme. Par "moins de résistance" j'entends qu'ils sont peu chers, faciles à manipuler et disponibles en grande quantité. Dés que l'écriture est née, l'homme écrivant n'a fait que rechercher cette moindre résistance de la matière et il est parvenu aux supports électroniques, faits pour être gâchés autant qu'on le veut : "ça mange pas de pain", c'est dématérialisé. Tout ceci s'inscrit, plus généralement, dans un questionnement sur la technique. Néanmoins, pour ce qui nous concerne, un tel medium ne peut ne pas avoir d'effet sur la qualité et la prolifération des contenus, la fréquence et l'abondance des interventions ainsi que la relation que l'auteur entretient avec ses messages.

Par ailleurs, je vois une cohérence entre un texte qui transcrit un dialogue et le fait que Socrate insiste sur l'interaction (se défendre, répondre à une question, instruire, discerner à qui il faut parler). Le livre (la médiatisation en général) fait que les dialogues de Socrate rencontrent une multitude de récepteurs non-destinataires, nous. Autrement dit, nous recevons bien ce qu'il dit, mais ce n'est pas nous à qui il s'adresse dans ses dialogues. Sommes-nous au moins des récepteurs prévus par Platon ou Socrate ? Si je fais une liste sommaire des types de récepteurs :
- présent + parlant = la conversation directe, le cas de Phèdre
- présent + non-parlant = le public dans une conférence, un meeting
- absent + parlant = la communication téléphonique, vidéo-conférence
- absent + non-parlant = le lecteur, nous par rapport à Socrate (je crois que c'est ce qu'il dénonce quand il dit que l'écrit ne peut s'expliquer ou se défendre).
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Message par Geo Rum Phil Mar 26 Mar 2013 - 13:45

Ataraxie a écrit:Autrement dit, nous recevons bien ce qu'il dit, mais ce n'est pas nous à qui il s'adresse dans ses dialogues. Sommes-nous au moins des récepteurs prévus par Platon ou Socrate ?
C'est une question ridicule ! C'est comme si, un personnage fictif se demandait si le fini a été prévu par l'infini ! Bien sûr, qu'il y a du fini dans la structure du mot infini, même si le fini ignore qu'il est englobé par l'éternité infini.

Et puis, par générations interposées on a plus de recule par rapport à ses écrits.

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Message par Bergame Mar 26 Mar 2013 - 17:50

Geo, pour la énième fois, évite ce genre de jugement ad hominem intempestif et péremptoire, s'il te plait ! Tu vas vraiment finir par me gonfler !

Je ne crois pas, euthyphron, qu'il ne s'agisse que de vrai /faux. La philosophie n'est pas un discours vrai, ni qui tend vers le vrai -enfin, pas seulement- c'est un discours vivant. Il y a un lien, c'est certain, sans doute celui-ci, que la vie, telle qu'elle se manifeste à nous, dans son infinie diversité, ne peut être saisie par l'esprit sans être figée d'une manière ou d'une autre, segmentée, parcellisée, analysée, délimitée, définie. C'est bien à cela que tu penses ? Mais ce problème vrai/faux n'est donc qu'un aspect d'un problème plus vaste : Ce qui est fini est mort. C'est bien, par exemple, le sens du séma soma ?

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Message par euthyphron Mar 26 Mar 2013 - 18:57

C'est une question de vérité, justement parce que cela aide à repenser l'idée de vérité, souvent influencée par l'écriture. Nous appelons vraies, nous enfants de l'écriture, les propositions qui ont été enregistrées. Nous avons tort.
Nous avons oublié que ce qui est enregistré n'est que la trace du discours vivant. Oui, il s'agit aussi de vie, mais sans que cela soit à opposer à la vérité, puisque justement notre erreur est d'avoir ôté la vie du concept de vérité. Le rapprochement avec le sema soma est inattendu, mais pertinent je trouve. Le texte écrit serait alors une sorte de cadavre au tombeau attendant qu'une pensée le ressuscite.

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Message par baptiste Mer 27 Mar 2013 - 10:51

euthyphron a écrit:C'est une question de vérité, justement parce que cela aide à repenser l'idée de vérité, souvent influencée par l'écriture. Nous appelons vraies, nous enfants de l'écriture, les propositions qui ont été enregistrées. Nous avons tort.
Nous avons oublié que ce qui est enregistré n'est que la trace du discours vivant. Oui, il s'agit aussi de vie, mais sans que cela soit à opposer à la vérité, puisque justement notre erreur est d'avoir ôté la vie du concept de vérité. Le rapprochement avec le sema soma est inattendu, mais pertinent je trouve. Le texte écrit serait alors une sorte de cadavre au tombeau attendant qu'une pensée le ressuscite.

On sent bien dans ces propos toute l'influence de l'inutile M Nietzsche lol!

S'il ne pouvait pas penser à nous, la question Ataraxie n'est-elle pas tout de même de savoir pour qui il écrivait, qui cherchait-il à convaincre, à quelle question antérieure répondait-il?

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Message par hks Mer 27 Mar 2013 - 22:51

à euthyphron

Ce qui est écrit ne saurait être vrai, à moins qu'on appelle vrai un aide-mémoire, par piété filiale envers ce dont il conserve difficilement la mémoire.
C'est très utile un aide -mémoire et d'abord parce que la mémoire, c'est très utile.
Si vous avez oublié ce que vous vous êtes dit dans votre discours intérieur et que vous avez jugé vrai sur le coup, il ne vous reste que la mémoire d' avoir pensé le vrai, mais pas le contenu de ce vrai.
Mais qu'avais-je donc pensé et qui était si vrai ?

Le discours intérieur est proche de l'oralité. Les philosophes qui refusent l'écriture sont probablement dotés d'une bonne mémoire. Ils se remémorent aisément un discour intérieur lequel , néanmoins, puisqu'ils sont philosophe, ils expriment dans des formes grammaticales assez proches du discours écrit.
Quand la forme du discours intérieur leur semble confuse alors ils se décident à écrire. Je parle là du solitaire et sans public.
Les cours professoraux (oraux ) sont formellement pratiquement identiques au discours écrit. Pour preuve les étudiants les retranscrivent ( voir les cours de Wittgenstein ou de Deleuze ).

Qu'il y ait de l'inexprimable ( de la pensée inexprimable.).. peut être! Mais je ne vois pas ce qu'il y aurait de déficience quand la pensée est exprimable à l'exprimer par écrit plutôt qu'oralement.

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Message par Ataraxie Jeu 28 Mar 2013 - 3:12

L'idée est, en quelque sorte, ratifiée par le sens commun avec l'expression : "Parler comme un livre". Ce n'est pas l'insulte suprême mais disons que c'est assez péjoratif de caractériser un discours oral par cette expression. Lorsque peu de gens savaient lire et écrire, la même expression servait à témoigner de l'admiration devant une personne savante. Avec la généralisation de l'instruction, l'expression signifie toujours "parler de façon savante" mais des connotations négatives se sont embarquées sur ce sens premier. Il s'agit d'une expression idiomatique, je ne sais pas comment les autres langues expriment la même idée. On peut la comparer à cette phrase d'un ethnologue malien : "En Afrique, chaque vieillard qui meurt est une bibliothèque qui brûle", en référence à l'un de nos plus grands traumatismes intellectuels : l'incendie de la bibliothèque d'Alexandrie. On ne sera pas étonner de voir qu'il va de soi, dans une civilisation à tradition orale, de faire coïncider disparition de la vie et disparition des connaissances. On est tout de même au pays des "griots". Toutefois, la tradition orale favorise plutôt la forme du récit, même s'il existe, en Afrique, des pratiques ritualisées comme la "case à palabres" chez les Dogons (mélange de Parlement et de tribunal) ou les "grins" au Mali (qui rappellent, par certains aspects, nos "salons de conversation" du 18e ou nos "talk-show" d'aujourd'hui). Dans l'ensemble, il s'agit, tout de même, de transmettre oralement des mythes fondateurs, des récits généalogiques ou des fables, complétés par des proverbes et des devinettes. Les Dioula de Kong (Côte d'Ivoire) ont même établi une taxinomie de 47 genres de discours et l'énonciation des genres les plus prestigieux (mythes fondateurs, récits étiologiques et proverbes) est réservée à la caste la plus haute. La parole est à la fois mémoire et pouvoir. Par ailleurs, la transmission orale entraîne, inévitablement, des phénomènes de variation au fil des générations mais aussi dans l'espace, "ce sera répété et déformé" comme on dit. Peut-être, qu'il faut voir ces variations comme des dialogues avec la tradition, ou mêmes des réformes.
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Message par Geo Rum Phil Jeu 28 Mar 2013 - 13:17

Bergame a écrit:Geo, pour la énième fois, évite ce genre de jugement ad hominem intempestif et péremptoire, s'il te plait ! Tu vas vraiment finir par me gonfler !
(...) La philosophie n'est pas un discours vrai, ni qui tend vers le vrai -enfin, pas seulement- c'est un discours vivant.
(...) Ce qui est fini est mort. C'est bien, par exemple, le sens du séma soma ?

Ce n'est pas un jugement ad hominem, car j'ai fait référence à la question non à la personne !

Si la réfutation est péremptoire (sans réplique), l'intempestif se manifeste là où le manque de réplique à son caractère inconvenant.

Tu as raison, l'histoire de la philosophie n'est pas un discours vrai, ni qui tend vers le vrai-c'est un discours vivant de prof à l'élève. Au café-philo et au forum c'est différent !

Si SOMA/le corps est le tombeau (ou la prison) de SEMA/l'âme, pourquoi tu n'écris pas le SEMA dans le SOMA ?! comme ceci ...SOsemaMA ou comme cela...IGNOopinionRANCE Wink

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Message par hks Jeu 28 Mar 2013 - 13:46


Il y a bien une critique de l'écriture chez Socrate et elle réside dans cet argument

Car voici l'inconvénient de l'écriture, mon cher Phèdre, comme de la peinture. Les productions de ce dernier art semblent vivantes; mais interrogez-les, elles vous répondront par un grave silence. Il en est de même des discours écrits : vous croiriez, à les entendre, qu'ils sont bien savants; mais questionnez-les sur quelqu'une des choses qu'ils contiennent, ils vous feront toujours la même réponse. [275e] Une fois écrit, un discours roule de tous côtés, dans les mains de ceux qui le comprennent comme de ceux pour qui il n'est pas fait, et il ne sait pas même à qui il doit parler, avec qui il doit se taire. Méprisé ou attaqué injustement, il a toujours besoin que son père vienne à son secours; car il ne peut ni résister ni se secourir lui-même.

La critique est juste. Reste à savoir si certains désavantages de l'oral ne sont pas occultés par Socrate. Nous aurions bien du mal à questionner Socrate sur quelqu'une des choses que contenait son oralité. Ces dialogues auraient- ils été transmis oralement, Socrate ne serait plus là comme le père qui vient à leur secours.


je pense que plus profondément, pour Socrate, la question n'est pas celle de l'écriture ( versus l'oralité ) mais celle de la pensée.
Ainsi un discours écrit n'est pas condamné s' il est bien pensé.
, que si, en composant ces ouvrages, quelqu'un d'eux est sûr de posséder la vérité, s'il est capable de défendre ce qu'il aura dit quand on en viendra à un examen sérieux, et de surpasser encore, ses écrits par ses paroles, il ne faut pas lui donner les noms dont nous nous sommes servis; qu'il faut au contraire tirer son nom des choses dont il s'est sérieusement occupé.....
le nom de philosophe, ou un autre semblable, lui conviendrait mieux.


Socrate admet donc qu'un écrit soit défendable. Ce n'est pas la forme écrite qui est rédhibitoire. Ce qui est rédhibitoire c'est ignorer absolument ce qui est vrai ou faux par rapport au juste [277e] ou à l'injuste, au mauvais ou au bon, cela ne peut pas ne pas être réellement très honteux, quand même la multitude entière éclaterait en applaudissements

Cela dit, certains vont estimer que toute conversation philosophique est supérieure par nature à tout texte philosophique écrit et par force non défendable in vivo par l'auteur, celui -ci étant décédé ...ou ailleurs.
Je ne vois pas (par exemple ) que les cours de Deleuze (cours oraux et dans une petite mesure cours dialogué ) soient supérieurs à ses textes écrits en première personne et ceux -ci inférieurs à ceux écrits en dialogue avec Guatari. La forme ne suffit en rien à les hiérarchiser relativement à une vérité philosophique.

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Message par Bergame Jeu 28 Mar 2013 - 15:59

Ataraxie, je te suis parfaitement. Je crois qu'il y aurait un autre point à aborder, c'est que notre culture, à nous occidentaux, a été forgée au moins partiellement par des religions du Livre. Pour un certain nombre de religions occidentales, le livre recueille la parole de Dieu. Les hommes s'expriment oralement, et à ce titre, ils ne peuvent être au mieux que des interprètes, des messagers de la parole divine. Dieu s'exprime directement dans et par l'écrit. D'où la question récurrente de la traduction des Livres sacrés. Il me semble que ce n'est pas anodin, mais ça mériterait de longs développements à soi seul. Toujours est-il qu'en Grèce, les dieux ne s'expriment pas dans les livres ; ils parlent par la voix des oracles.

Il y a un gouffre qui nous sépare de Platon/Socrate, sur ce point, vraiment. Le même gouffre qui sépare une civilisation du contrat, une civilisation qui prétend : "les paroles s'envolent, les écrits restent", et une autre où la parole donnée est un engagement, un serment, conclu sur le nom du dieu.


Certes, hks, mais tu tronques la citation. Tes trois petits points remplacent : "Ce n'est point leur activité d'écrivain mais le souci de la vérité qui leur vaudra leur nom."

Bien sûr qu'un texte peut être défendable -pas tous, certains- mais défendre un texte, ici, ça signifie bien : "Le présenter, arguments à l'appui, au cours d'une discussion critique avec autrui."
Ton interprétation tend à dire qu'un texte bien pensé tend vers le vrai, ce qui nous ramène à la raison. Et je ne suis pas surpris, je me souviens que tu t'étais opposé à cette idée que la philosophie est une discussion -sans pourtant accepter d'en discuter, d'ailleurs :) - mais ce n'est pas ce que dit Socrate ici : "s'il est capable de défendre ce qu'il aura dit quand on en viendra à un examen sérieux, et de surpasser encore, ses écrits par ses paroles" alors on lui donnera le nom de philosophe.
Ma traduction est encore plus claire : "s'ils peuvent en venir à la discussion et défendre ce qu'ils ont écrit, et si l'orateur en eux est capable de faire pâlir l'auteur." En somme, c'est au terme d'une discussion argumentée que le discours acquiert sa valeur de vérité.

Et pour faire bonne mesure, et pour être certain de ne pas se tromper, citons donc la suite :
"En revanche, celui qui n'a rien en lui de plus précieux que ce qu'il a composé ou écrit à force de temps, en mettant son esprit à la torture, en ajoutant et retranchant pièce à pièce, tu l'appelleras comme il le mérite, poète, faiseur de discours, rédacteur de loi." Et non pas philosophe.

En fait, le problème n'est pas le vrai ou le faux, ou ce n'est qu'un aspect du problème. Le philosophe n'est pas un sage qui détient la vérité, et tu ne peux interpréter ce texte dans ce sens. Son discours tend vers le vrai, très bien, mais qui en jugera ? Lui-même ? Pour ma part, je pense que le problème est bien plutôt : La philosophie est-elle une activité intellectuelle et solitaire, une pensée, ou est-elle un échange, un dialogue, une discussion entre les hommes -certains hommes ? Quelque chose qui les unit. L'échange, l'amour, et la vie : C'est de cela qu'il est question.


Dernière édition par Bergame le Jeu 28 Mar 2013 - 16:53, édité 1 fois

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