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Le Tao Te King de Claude Larre et la spiritualité ignatienne

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Message par Vanleers Ven 8 Juil 2022 - 12:43

Claude Larre (1919-2001) était un jésuite sinologue, fondateur de l’Institut Ricci.
Il a publié en 1977 une traduction commentée du Tao Te King chez DDB (collection Christus) en prenant le parti de considérer qu’il s’agissait d’un livre de spiritualité.
On cherchera, sur ce fil, à rapprocher cette traduction de la spiritualité des jésuites qui a déjà été abordée sur un autre fil (L’Ethique de Spinoza et la spiritualité ignatienne).
Dans l’Avertissement à sa traduction :

Claude Larre a écrit:Le Livre de la Voie et de la Vertu domine le Taoïsme. Il en est le « germe et le terme ». […]

Il me reste à situer le commentaire lui-même qui éclaire la traduction et que j’appelle spirituel. Il n’est pas sinologique. Dans une collection faite pour aider la vie spirituelle, je ne voyais pas un commentaire scientifique destiné à justifier des partis pris de traducteur. Il n’est pas théologique non plus. Il m’est arrivé, en lisant Lao-tseu de songer à Jésus-Christ, à la Sagesse de Salomon, à telle formule de l’ascèse chrétienne : c’était mon droit, je l’ai donc pris tout simplement. Un commentaire théologique ce serait bien autre chose ! L’entreprise est-elle souhaitable ? Oui et non, selon ce qu’on envisage. Si on veut parler d’une tentative concordiste avec ce que le genre a de forcé, d’équivoque ou de superficiel, elle ne me tente pas. Si on reconnaît que Jésus-Christ libère l’homme sans lui imposer ni logique particulière ni vision déterminée de la nature humaine, l’aventure devient réalisable, sérieuse et séduisante. Mais alors il ne faut rien perdre de ce qui fait l’essentiel du Taoïsme ni de la connaissance authentique de Jésus-Christ. Qui voudra tenter l’aventure devra s’interroger longuement lui-même sur son aptitude à comprendre le discours chinois sans le ramener involontairement à son mode instinctif de penser.

Le temps est venu d’une réconciliation de la logique développée en Occident et de la pensée sur la vie, méditée en Orient. Comme est venu le temps où l’on ne retiendra plus de Jésus-Christ que ce qu’il a dit et ce qu’il a fait. Rien n’empêche plus de placer la Foi en Jésus-Christ au cœur d’une spiritualité simple, ardente et discrète comme celle dont le Livre de la Voie et de la Vertu m’a paru avoir donné l’enseignement.

Il nous reste à explorer cette « spiritualité simple, ardente et discrète » du Tao Te King et à la situer par rapport à la spiritualité d’Ignace de Loyola.

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Message par Zhongguoren Ven 8 Juil 2022 - 16:15

Vanleers a écrit:

Claude Larre a écrit:Il me reste à situer le commentaire lui-même qui éclaire la traduction et que j’appelle spirituel. Il n’est pas sinologique. [...] Il m’est arrivé, en lisant Lao-tseu de songer à Jésus-Christ, à la Sagesse de Salomon, à telle formule de l’ascèse chrétienne : c’était mon droit, je l’ai donc pris tout simplement. [...] Rien n’empêche plus de placer la Foi en Jésus-Christ au cœur d’une spiritualité simple, ardente et discrète comme celle dont le Livre de la Voie et de la Vertu m’a paru avoir donné l’enseignement

François Jullien a écrit:Qui voudrait parler avec un peu de rigueur de la « spécificité » de la pensée chinoise ne devrait-il par débuter par la langue ? Ainsi ont fait Karlgreen, Granet, Gernet, Vandermeersch, Harbsmeier, déjà Humboldt dialoguant avec Rémusat. […] Quand je parle de la « pensée chinoise », je ne présuppose en elle aucune essence particulière mais désigne seulement la pensée qui s'est exprimée en chinois"(Chemin faisant, connaître la Chine, relancer la Philosophie, vi)

Sigmund Freud a écrit:On peut dire que les interprétations [... ] constituent d’abord des traductions d’un mode d’expression qui nous est étranger dans celui qui nous est familier : quand nous interprétons un rêve, nous ne faisons que traduire un certain contenu de pensée (les pensées latentes du rêve) du  "langage du rêve" dans celui de notre vie éveillée(l’Interprétation des Rêves)

Marc Lebranchu a écrit: l’Occident en a fabriqué des images multiples, le plus souvent négatives et réductrices, déformées par les grilles d’intelligibilité et les biais perceptifs liés à son histoire religieuse. Pouvait-il en être autrement ? L’objectif de ce travail était de comprendre comment et pourquoi le taoïsme avait pu faire greffe en Occident. Notre hypothèse était que, ne résultant pas d’une stratégie missionnaire, il n’avait pu le faire qu’en se diffusant très progressivement au sein d’imaginaires occidentaux dans des milieux spécifiques constituant autant de terreaux favorables. Sur les quatre siècles que nous avons parcouru cette histoire nous éclaire sur la manière dont l’Occident a appréhendé progressivement la culture religieuse chinoise et le taoïsme (Les fabriques du Taoïsme en Occident : quatre Siècles de Représentation et de Réception du Taoïsme en France et
en Europe
, p.619).

Le contre-sens absolu qu'ont commis les Jésuites, c'est d'imaginer une sorte de transcendance religieuse dans le Tao. Or la pensée chinoise (qu'elle soit ou non taoïste, d'ailleurs) ne conçoit pas la transcendance. Trois exemples :
- le caractère chinois pour rendre ce qu'on appelle en Occident "religion", c'est 教, jiào, et c'est le même que pour traduire ... "enseignement"
- le mot "foi" se traduit 教义, jiào yì, littéralement "enseignement droit"
- Jésus Christ, c'est 圣子, shèng zǐ, "le fils sage" (à noter que le caractère 子, , "sage" que l'on retrouve dans 老子, lǎo zǐ "le vieux sage", sert aussi aux Chinois pour traduire les notions occidentales de "saint" et de "sacré").

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Message par Vanleers Ven 8 Juil 2022 - 16:54

Le commentaire du chapitre 1 donne le sens fondamental du Tao Te King et montre qu’il s’agit d’un ouvrage spirituel.

Claude Larre a écrit:Si, à un Français, déjà éberlué par le fait que le chinois s’écrive en caractères, on vient encore expliquer que l’ordre du texte n’est pas certain, que les variantes sont innombrables, il se mettra à douter du sérieux des traducteurs.
Qu’il se rassure ! Le Lao tseu est un reflet très pur de l’ordre transcendantal du monde. Sa consistance et sa simplicité font que tout discours intelligent repasse nécessairement par les mêmes voies ascendantes, que la pensée, nécessairement circulaire, présente toujours la même courbure.
Le sens fondamental ne peut échapper.
Que peut-on dire de plus que ce que dit le dernier chapitre ?

Ma parole authentique
Ne vous fera sans doute aucun effet.
Qu’importe !
Les paroles à effet
Ne sont pas authentiques. Alors ?
Le Ciel Terre est muet, peut-être, mais il
fait le bien.
Le monde est plein de discutailleurs,
ignorants du bien.
Qui a compris l’essentiel n’a plus de goût
pour le savoir.
Et qui étale son savoir montre qu’il ne
sait rien.
On a vu, dans l’antiquité, les Saints Rois,
pauvres.
Ils ne s’occupaient que du peuple.
C’est de là qu’ils tiraient leur propre intérêt.
Donnant tout au peuple,
Ils se considéraient comme encore trop
riches.
Ce faisant, ils reflétaient le Tao,
Qui ne fait que du bien et pas le mal.
Les Saints Rois, tout occupés du service
du peuple,
N’avaient aucune idée de pousser leur
avantage.

Le ton à la fois  chaleureux et distant, la préoccupation du peuple, l’amour de la simplicité, de la pauvreté, du naturel, fait du Lao tseu un des plus grands ouvrages spirituels.
De même qu’il existe une imitation de Jésus Christ, il existe une imitation de l’Ordre naturel : le Lao tseu.

PS :
A Zhongguoren

Merci pour votre contribution. Elle fait vivre le forum.

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Message par neopilina Ven 8 Juil 2022 - 17:36

Vanleers a écrit:
Claude Larre a écrit:Le temps est venu d’une réconciliation de la logique développée en Occident et de la pensée sur la vie, méditée en Orient.

Et pourquoi pas celui, le temps, d'un Dialogue universel ?, ça me parait évident. Mais pas à tout le monde,  Le Tao Te King de Claude Larre et la spiritualité ignatienne 177519025

Zhongguoren a écrit:Le contre-sens absolu qu'ont commis les Jésuites, c'est d'imaginer une sorte de transcendance religieuse dans le Tao. Or la pensée chinoise (qu'elle soit ou non taoïste, d'ailleurs) ne conçoit pas la transcendance.

Je tiens à dire que je n'ai jamais fréquenté les jésuites en tant que tels. Mais forcément un peu, collatéralement, par exemple, hier, tu as parlé du Père Des Bosses, correspondant de Leibniz (et d'autres dans cette " République des lettres "), je m'en suis souvenu. Transcendance, transcender, n'est-ce pas devenir autre et surtout meilleur selon tels ou tels points de vue et ce de telle ou telle façon ? A partir de là, sans faire violence à la langue française (et chinoise ?) ne peut-on pas dire qu'un taoïste accompli est un Sujet, un individu (i.e. lambda), transcendé, transformé, par le taoïsme ? Cet homme, ce sage accompli, ce n'est tout de même plus le type de base (à la fin de sa psychogenèse). Que la langue chinoise ignore le mot " transcendance ", me paraît un détail. C'est les éditeurs posthumes d'Aristote qui forge le mot " métaphysique ". Depuis qu'il y a des hommes, il y a de la métaphysique, des transcendances, des spiritualités, etc.

_________________
" Tout Étant produit par moi m'est donné (c'est son statut philosophique), a priori, et il est Mien (cogito, conscience de Soi, libéré du Poêle) ". " Savoir guérit, forge. Et détruit tout ce qui doit l'être ", ou, équivalents, " Tout l'Inadvertancier constitutif doit disparaître ", " Le progrès, c'est la liquidation du Sujet empirique, notoirement névrotique, par la connaissance ". " Il faut régresser et recommencer, en conscience ". Moi.
C'est à pas de colombes que les Déesses s'avancent.
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Message par Vanleers Sam 9 Juil 2022 - 9:42

neopilina a écrit:Depuis qu'il y a des hommes, il y a de la métaphysique, des transcendances, des spiritualités, etc.

J’entends « métaphysique » au sens de Karl Popper.
Popper distingue les théories scientifiques et les théories métaphysiques.
Les théories scientifiques sont des théories conjecturales, non démontrables mais falsifiables (réfutables par l’expérience).
Les théories métaphysiques sont des théories conjecturales, non démontrables et non réfutables mais discutables rationnellement.
Dans les deux cas, on est dans le conjectural : jamais de certitude absolue.
Depuis qu’il y a des hommes, il y a donc toujours eu de la métaphysique.
Le croyant, par exemple, soutient la thèse conjecturale, métaphysique, de l’existence d’un Dieu.
C’est ce qu’on appelle la foi.

J’en viens maintenant à la spiritualité.
Claude Larre soutient que le Tao Te King montre au lecteur ce que c’est que suivre la Voie, d’agir dans son esprit, d’en être inspiré.
Il l’illustre par la façon de vivre des Saints Rois de l’antiquité (cf. mon post précédent).

« Suivre la Voie » est également une question qui se pose au traducteur du Tao Te King : sa traduction sera-t-elle taoïste, inspirée par la Voie, spirituelle ?
En tête de sa traduction, C. Larre écrit un poème intitulé Premier pas :

Claude Larre a écrit:Voici le premier pas
D’une suivante de la Voie
Un peu deb et peu fidèle
Point serve et peu pédante

Elle va de blanc vêtue
Portant les couleurs de la Voie
Sur son écharpe blanche
Des signes réguliers en lignes irrégulières

Entre les lignes soudain des blancs
Pour séparer sans séparer
Pas de ponctuation celle du lecteur
Pas de précision outre le texte
Pas de temps vrai le passé peut-être
Pas de modernité agressive d’archaïsme illusoire
De la poésie fraîche à longs traits
Et de longues rasades de platitudes
Parfois une bordée d’impropères acérés
Cette suivante ni française ni chinoise
Mais taoïste assurément
Elle va de blanc vêtue résolue
Insinuante à l’aise dans le vague l’incertain
Elle invite au voyage
En esquissant le premier pas

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Message par Zhongguoren Dim 10 Juil 2022 - 9:36

neopilina a écrit:Transcendance, transcender, n'est-ce pas devenir autre et surtout meilleur selon tels ou tels points de vue et ce de telle ou telle façon ? A partir de là, sans faire violence à la langue française (et chinoise ?) ne peut-on pas dire qu'un taoïste accompli est un Sujet, un individu (i.e. lambda), transcendé, transformé, par le taoïsme ? Cet homme, ce sage accompli, ce n'est tout de même plus le type de base (à la fin de sa psychogenèse). Que la langue chinoise ignore le mot " transcendance ", me paraît un détail. C'est les éditeurs posthumes d'Aristote qui forge le mot " métaphysique ". Depuis qu'il y a des hommes, il y a de la métaphysique, des transcendances, des spiritualités, etc.

Bien sûr que la langue chinoise dispose des notions de perfectionnement, de dépassement, de transformation, de progression, etc. D'ailleurs, l'"illumination" bouddhiste se dit 成道, chéng dào, "voie du dépassement". Mais j'entendais "transcendance" au(x) sens que la tradition philosophique occidentale lui a donné(s). A savoir (je fais volontairement abstraction du sens phénoménologique, cf. la transcendance de l'ego) :
Lalande a écrit:Existence de réalités transcen­dantes. "Doctrine de la transcendance" se dit en particulier :
1° De la doctrine théologique d’après laquelle Dieu n’est pas dans le monde comme un principe vital animant un être vivant, mais est, à l’égard des créatures, selon les expressions de Leibniz, « ce qu’un inventeur est à sa machine, Ce qu’un prince est à ses sujets, et même ce qu’un père est à ses enfants » (Monadologie, §84)
2° De la doctrine d’après laquelle il y a derrière les apparences sensibles ou les phénomènes des « substances » per­manentes ou des « choses en soi » dont elles sont la manifestation
3° De la doctrine d’après laquelle il y a des rapports fixes, de droit et de vérité, qui dominent les faits et n’en dépendent pas

En ce(s) sens, non seulement le terme "transcendance" n'existe pas en chinois, mais il n'y a aucun moyen de le traduire :
- parce qu'il n'y a jamais eu de notion de "dieu" en Chine (grosse différence avec l'Inde)
- parce que, s'il y a bien de l'invisible (le monde des morts, l'idée de "métaphysique" 超物理, chāo wù lǐ, littéralement "au-delà des choses visibles), ce monde-là n'est pas un "arrière-monde" (au sens de Nietzsche) qui fonderait en droit comme en fait le monde visible, juste un monde parallèle à celui-ci
- il n'y a pas de rapports fixes qui règleraient éternellement et immuablement les relations entre les êtres, lesquelles procèdent toujours, in fine, d'un flux et d'un reflux (d'où l'importance des rites, notamment dans le confucianisme, pour en limiter les effets sociaux et politiques délétères).

Le contre-sens occidental le plus courant au sujet, en particulier, des cultures orientales consiste à proclamer qu'il y a, dans l'humanité, un horizon indépassable d'"universalité". Or cette notion d'"universalité" est typiquement occidentale. Théologique à l'origine (un seul Dieu n'a pu créer qu'une seule humanité), elle s'est laïcisée (dans une direction éthique, cf. Kant, voire juridique, cf. Rousseau) à l'époque et sous l'influence des Lumières. Mais, au fond, elle est toujours restée le marqueur de l'ethnocentrisme et du logocentrisme ouest-européen et nord-américain. De sorte que, si l'on entend sincèrement œuvrer pour la paix, pourquoi ne pas admettre avec bon sens qu'il y a, dans l'humanité, du "commun" (à commencer par le génome humain et ses conséquences en matière d'intelligence) mais non de l'"universel" ? C'est-à-dire reconnaître que, à partir de bases biologiques communes, des développements géo-historiques aussi divergents que (par exemple) celui de l'Europe et celui de la Chine ont nécessairement déterminé des institutions (notamment celles du langage ou la pensée) divergentes ? Lesquelles, avec le temps, continueront inlassablement leur mouvement naturel (historique) d'écartement/comblement mutuel.

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Message par Vanleers Dim 10 Juil 2022 - 10:26

Avant de revenir au sujet du fil proprement dit, je donne quelques références à propos de Claude Larre.

1)

https://acupuncture-europe.org/textes/Meng_Larre.pdf

Qingya MENG apporte quelques informations sur la vie de Claude Larre et ses publications et recense les commentaires chrétiens de sa traduction du Tao Te King

2)

https://www.sinoptic.ch/textes/publications/2005/2005_Salem-Marin.Anne_Pere.Larre.pdf

Anne Salem-Marin donne un portrait de Claude Larre

3)

https://www.persee.fr/doc/etchi_0755-5857_1996_num_15_1_1247_t1_0199_0000₃

Jean-Claude Pastor-Ferrer fait un compte rendu de la traduction du Huainanzi par Claude Larre et alii.

4)

http://www.elisabeth-rochat.com/docs/04_taoisme.pdf

Élisabeth Rochat de la Vallée, collaboratrice de Claude Larre pendant de longues années, approche la sagesse taoïste en s’appuyant sur de nombreux passages de la traduction de 2002 du Tao Te King.
Je cite, à la fin de son article :

Élisabeth Rochat de la Vallée a écrit:Peut-on parler de transcendance ? Sans doute pas dans le sens donné par le Christianisme; mais on ne peut pas plus parler d'immanence. La Voie du sage taoïste le mène à la racine de l'existence, là où il n'y a plus rien de déterminé ou de déterminable, d'exprimé ou d'exprimable, de pensé ou de pensable, mais sur quoi repose la totalité des êtres qui ont chacun leurs déterminations, leurs expressions et capacités spécifiques.

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Message par Vanleers Mar 12 Juil 2022 - 9:08

Selon Claude Larre, l’esprit des Taoïstes est « une des formes les plus achevées de la spiritualité naturelle de l’homme ».
La spiritualité d’Ignace de Loyola est simple et naturelle en son principe.
Elle part de l’expérience que chacun fait, croyant ou pas : d’être soumis à des motions contraires qui le mettent dans la joie ou dans la tristesse.
Ignace appelle « consolation » et « désolation » la joie et la tristesse suscitées par ces motions.
Le chrétien va plus loin et fait l’hypothèse, c’est-à-dire pose la thèse, métaphysique au sens de Popper (conjecturale, non démontrable, non réfutable, discutable rationnellement), que la consolation vient du Dieu qui veut le bonheur de l’homme, révélé par Jésus-Christ.
La spiritualité ignatienne consiste à rendre grâce à Dieu lorsqu’on est dans la consolation et à demander à Dieu de nous y mettre lorsqu’on est dans la désolation.

Voie extraordinairement simple !

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Message par Vanleers Mar 12 Juil 2022 - 17:38

On trouve un écho de cette extraordinaire simplicité de la voie ignatienne dans les Entretiens de Lin Tsi, traduits par Paul Demiéville (Fayard 1972)
Lin Tsi (Rinzaï en japonais) était un maître ch’an en Chine au IX ième siècle de notre ère.
Le Ch’an (Zen en japonais) est un bouddhisme fortement imprégné de taoïsme.

Dans un entretien avec Taïkan Jyoji, enseignant du zen Rinzaï, consultable en :

https://www.bouddhisme-france.org/sagesses-bouddhistes/revoir-toutes-les-emissions-tv/Enseignement-de-Maitre-Lin-Tsi

Taïkan Jyoji a écrit:Aujourd’hui, l’école Rinzaï utilise des koans. Rinzaï ou Lin Tsi en chinois a laissé une phrase capitale qui est la suivante : « L’homme authentique est sans encombrements. » Tout l’enseignement de Rinzaï consistait à se dépouiller de ce qui encombre, se dépouiller de ce qui ne sert à rien, se vider du superflu. Bien évidemment cela ne se fait pas en un tour de main. Encore mieux aujourd’hui où l’on est dans une civilisation d’avoir, de posséder. En ce qui concerne la méditation, on pense souvent qu’il s’agit d’obtenir quelque chose, d’acquérir quelque chose. On imagine qu’en méditant, on va atteindre des sphères suffisamment hautes, mais en fait, la méditation, c’est supprimer ce qui ne sert à rien, en Soi et à l’extérieur de Soi.

Dans l’enseignement de Rinzaï on peut lire quelque chose qui peut être déconcertant pour nous : c’est que, si on veut obtenir cet état d’homme libre sans encombrement, il faut tuer tout ce qui nous a été inculqué, sans qu’on ait pu le vérifier. Beaucoup d’idées sont reçues sans qu’on les ait véritablement expérimentées par nous-mêmes. Et c’était le sens profond de l’enseignement de Rinzaï.

L’homme qui suit la voie ignatienne est, lui aussi, « sans encombrement ».

Jean Gouvernaire était un jésuite qui donna les Exercices Spirituels d'Ignace de Loyola pendant de nombreuses années.
Dans Mener sa vie selon l’Esprit tome 2 – Éditions chrétiennes 2013 :

Jean Gouvernaire a écrit: […] celui qui s’exerce délibérément à se dégager de l’emprise qu’avaient sur lui les choses et les gens, afin de rejoindre le Christ, gagnera-t-il en liberté d’esprit et en sérénité, face aux contrariétés de l’existence. Désencombré de lui-même, il ira d’un pas allègre accomplir sa tâche parmi les hommes. (p.17)

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Message par Zhongguoren Mer 13 Juil 2022 - 6:44

Vanleers a écrit:Le Ch’an (Zen en japonais) est un bouddhisme fortement imprégné de taoïsme.

Il faut rappeler qu'avant d'arriver au Japon, le bouddhisme zen (chán) est né en Inde au début de l'ère commune et dérive du Vajrayâna, le Yoga tantrique (c'est-à-dire la forme de Yoga qui sacralise le corps). Le terme chán (禅) est d'ailleurs la traduction en chinois du sanskrit dhyâna qui, dans la progression de Patañjali, désigne la dernière étape avant la libération finale (samadhi). La légende raconte que c'est Bodhidharma, un moine persan, qui l'aurait importé en Chine après être passé par le monastère de Shaolin où il rencontre tout à la fois la tradition des arts martiaux (le Kungfu) et celle du taoïsme.

Bref, le taoïsme n'est, pour le bouddhisme Zen, qu'une influence parmi d'autres

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Message par Vanleers Mer 13 Juil 2022 - 8:54

A la fin de l’avant-propos à sa traduction des Entretiens de Lin Tsi :

Paul Demiéville a écrit:Quant à l’originalité de Lin-tsi, elle me paraît résider surtout en un humanisme typiquement chinois, j’irais presque jusqu’à dire confucianiste. Il ramène tout à l’homme ; rien ne compte pour lui que ce qu’il appelle l’« homme vrai », terme qu’il emprunte du reste au taoïsme. Tel est du moins l’aspect de sa pensée qui me séduit le plus. Je trouve à cet humanisme une résonance universelle qui m’incline à ne pas lui en vouloir de tant d’outrances langagières, de jeux de mots, de gloses boiteuses et de paradoxes parfois exaspérants, tout « simple et direct » qu’on ait pu le juger. Une espèce de Socrate chinois, moins raisonneur… Mais non : c’est un moine bouddhiste, un bon religieux qui ne fraie et ne discute qu’avec ses coreligionnaires et dont l’idéologie est celle du Grand Véhicule indien (la « vacuité », la dialectique de l’absolu et du relatif, la suprématie de l’esprit), mâtinée de philosophie taoïste par des siècles d’imprégnation mutuelle. Peut-être plus chinois que bouddhiste...

(je n’ai pas repris les références aux Entretiens signalées par Demiéville)

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Message par Vanleers Mer 13 Juil 2022 - 10:39

Je donne un bref extrait des Entretiens de Lin Tsi :

Entretiens de Lin Tsi a écrit:Lors d’une instruction collective, le maître dit : « Adeptes, il n’y a pas de travail dans le bouddhisme (1). Le tout est de se tenir dans l’ordinaire et sans affaires : chier et pisser, se vêtir et manger ».

Quand vient la fatigue, je dors ;
Le sot se rit de moi, le sage me connaît.


Un ancien l’a dit :

Pour faire un travail extérieur,
Il n’y a que les imbéciles.


Soyez votre propre maître où que vous soyez et sur le champ vous serez vrais. Les objets qui viennent à vous ne pourront vous détourner. (§ 13 a)

Pas plus que dans le bouddhisme, il n’y a de travail (effort) dans le christianisme. Le tout est de se tenir dans l’ordinaire et sans encombrement : rendre grâce à Dieu lorsqu’on est dans la consolation et demander à Dieu de nous y mettre lorsqu’on est dans la désolation.

(1) Dans son étude sur Lin Tsi, publiée dans la revue Hermès en 1970, P. Demiéville avait traduit : « Adeptes, il n’y a pas de travail (pas d’effort) dans la loi du Bouddha ».

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Message par Zhongguoren Jeu 14 Juil 2022 - 7:57

Vanleers a écrit:A la fin de l’avant-propos à sa traduction des Entretiens de Lin Tsi :

Paul Demiéville a écrit:Quant à l’originalité de Lin-tsi, elle me paraît résider surtout en un humanisme typiquement chinois, j’irais presque jusqu’à dire confucianiste. [...] Peut-être plus chinois que bouddhiste...

Vraiment ?

Lin Tsi a écrit:"Adeptes, voulez-vous voir les choses conformément à la Loi ? Gardez-vous seulement de vous laisser égarer par les gens. Tout ce que vous rencontrez, au dehors et (même) au-dedans de vous-même, tuez-le. Si vous rencontrez un Buddha, tuez le Buddha ! Si vous rencontrez un patriarche, tuez le patriarche ! Si vous rencontrez un Arhat, tuez l'Arhat ! Si vous rencontrez vos père et mère, tuez vos père et mère ! Si vous rencontrez vos proches, tuez vos proches ! C'est là le moyen de vous délivrer et d'échapper à l'esclavage des choses ; c'est là l'évasion, c'est là l'indépendance !" (Entretiens traduits par P. Demiéville, p.117, c'est moi qui souligne)

Pas très "chinois" tout ça ! Ce dont convient volontiers le traducteur :

P. Demiéville a écrit:Ce sont là les célèbres blasphèmes de Lin-tsi pris à la lettre des paradoxes de la dialectique Mâdhyamika… Les Chinois se montrèrent particulièrement sensibles à ceux de ces blasphèmes qui allaient contre la pitié filiale, base de leur éthique sociale (« tuez vos père et mère ! Tuez vos proches ! »). (op. cit.)

Alors Lin-Tsi (臨済, Lín Jì) est-il un monstre ? Je dirais que c'est plutôt le traducteur qui m'inquiète. Par exemple (mais on peut extrapoler), dans le passage 逢父母殺父母, féng fù mǔ shā fù mǔ, traduit par "si vous rencontrez vos père et mère, tuez vos père et mère", le verbe 殺, shā peut, certes, être rendu par "tuer/tuez" (je rappelle que les verbes chinois ne se conjuguent pas), mais il peut aussi, et c'est le sens le plus courant, signifier, "lutter contre", "se battre contre". Ce qui, on en conviendra, est moins psychopathologique ! Et sans doute plus pertinent. Comme dirait Grice, il est toujours préférable de ne pas sous-estimer sans raison la rationalité de votre interlocuteur, Lín Jì en l'occurrence. Mais alors, pourquoi diable une telle violence dans la "traduction" ?

PS : tant que j'y suis, je retraduis (sans le filtre romantique qui semble aveugler P. Demiéville) la dernière phrase de cet extrait particulièrement problématique :

Lin Tsi a écrit:"Commencez par vous désencombrer, par ne pas être contraint par les choses, soyez parfaitement à l'aise. [avec un point et non un point d'exclamation]"(op. cit.)

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Message par Vanleers Jeu 14 Juil 2022 - 9:32

Je signale un article de Guy Flecher, « Lacan, koanalyste ? Analyste, quoi ! » qui met en rapport Lacan et Lin Tsi.
C’est en :
http://www.lacanchine.com/FG07.html

A propos de la place du taoïsme dans le chan, je cite :

Guy Flecher a écrit:Le chan est la forme la plus sinisée du bouddhisme qui doit énormément au taoïsme, Shipper affirmant même qu’il serait « spécifiquement chinois, pratique, concret et, surtout, taoïste  ». Et de fait, de tout temps, le bouddhisme, surtout sous sa forme non religieuse avait eu des affinités avec le taoïsme philosophique de Laozi et Zhuangzi, avec la vieille philosophie naturaliste du tao, rivale (mais aussi complément) de la philosophie d’état de Confucius. En particulier, le chan et le taoïsme, avaient tant de points communs qu’il était bien difficile (et pas seulement pour le profane) de les distinguer l’une de l’autre. En ce qui concernait la pensée profonde et le but ultime, rien ne les séparait. La seule et minime différence résidait dans le fait que le chan insistait surtout sur la nécessité des exercices pratiques, alors que le taoïsme portait un intérêt limité certes, mais réel à la théorie.

L’auteur rapporte un passage de l’étude de Paul Demiéville sur Lin Tsi qu’on peut lire dans Le Tch’an (Zen) Racines et floraisons – Les deux Océans 1985.
Je le cite plus largement :

Paul Demiéville a écrit:Si j’ai cru devoir faire intervenir l’histoire pour mieux cerner la pensée de Lin-tsi, ce n’est pourtant pas le personnage historique qui est intéressant en lui : c’est le philosophe, héritier d’une grande tradition sino-indienne. C’est surtout le psychologue, peut être plus original que le philosophe, car après tout les idées de Lin-tsi n’ont rien de très personnel, sinon par la fraîcheur de l’expression ; et encore celle-ci n’est pas moindre dans les logia de certains de ses contemporains. Lin-tsi me paraît être en premier lieu un praticien de la psychothérapie – dira-t-on de la psychanalyse ? – quelles qu’aient pu être les théories qui inspiraient sa méthode ou qui lui servaient à la justifier. (p. 253)

A noter, en fin d’article, les propos de Lacan sur le saint. J’y reviendrai.

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Message par Zhongguoren Jeu 14 Juil 2022 - 9:49

Vanleers a écrit:Je signale un article de Guy Flecher, « Lacan, koanalyste ? Analyste, quoi ! » qui met en rapport Lacan et Lin Tsi.
C’est en :
http://www.lacanchine.com/FG07.html

Décidément, le taoïsme est furieusement tendance dans les fantasmes orientalistes de la (mauvaise) conscience occidentale.

Vanleers a écrit:En particulier, le chan et le taoïsme, avaient tant de points communs qu’il était bien difficile (et pas seulement pour le profane) de les distinguer l’une de l’autre. En ce qui concernait la pensée profonde et le but ultime, rien ne les séparait. La seule et minime différence résidait dans le fait que le chan insistait surtout sur la nécessité des exercices pratiques, alors que le taoïsme portait un intérêt limité certes, mais réel à la théorie.

C'est plus compliqué que cela. En tout cas, ce qui réunit fortement taoïsme et bouddhisme zen, c'est le refus de la transcendance.

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Message par Vanleers Jeu 14 Juil 2022 - 16:18

Je reviens à une citation donnée dans un post antérieur :

Lin Tsi a écrit:Lors d’une instruction collective, le maître dit : « Adeptes, il n’y a pas de travail dans le bouddhisme. Le tout est de se tenir dans l’ordinaire et sans affaires : chier et pisser, se vêtir et manger ».

Paul Demiéville commente :

Paul Demiéville a écrit:Pas de travail… : pas d’effort volontaire et conscient, puisqu’il s’agit simplement de retrouver en soi l’homme vrai – laisser libre jeu au « sans pensée », à l’inconscient, et pour cela se laisser aller au train-train le plus quotidien.

Auparavant, dans son commentaire du § 11 a :

Paul Demiéville a écrit:Sans affaires : wou-che, un des termes clés du vocabulaire de Lin-tsi. Il se rattache directement au wou-wei de la philosophie taoïste (« rien faire », « non agir », « no ado »). (p. 58)

A propos du « non agir », reprenons l’article, déjà signalé, d’Élisabeth Rochat de la Vallée sur la sagesse taoïste. Elle cite le Daodejing selon la traduction de Claude Larre :

Élisabeth Rochat de la Vallée a écrit:Le non-agir (wu wei 無為)

N'ayant plus ni désir ni volonté propre, l'agir du sage taoïste n'est pas dirigé par une intention ou un jugement; il est simple réaction aux situations d'un être qui a retrouvé en lui l'ordre naturel de la vie. Ce qu'il fait n'interfère jamais avec le cours des choses et le mouvement naturel des êtres. Le Non agir c'est, mû par une nécessité intérieure, faire ce qui est demandé, à un moment et dans un lieu précis, par la nature des choses. Alors il n'est rien qui ne soit réalisé, puisque la Voie est l'universelle spontanéité présente au cœur de chacun.

"La Voie constante est Sans agir et rien pourtant qui ne soit fait." (Daodejing 37)

Toute intervention dans le cours des choses suscite des réactions que nul ne maîtrise et qui peuvent aboutir à tout autre chose que l'intention première. Opposition, sous une forme ou sous une autre, au mouvement naturel, l'intervention c'est agir par sa propre décision au lieu de s'en remettre au déroulement de la Voie dans les êtres et les situations. L'affairement et ses conséquences néfastes ne manqueront pas de faire payer leur tribut :
"L'intervention, c'est l'échec; la possession, c'est la perte. Les Saints, n'intervenant pas, évitaient l'échec ; ne possédant pas, évitaient la perte." (Daodejing 64)

Malgré ce qu’il dit en § 13 a, Lin Tsi n’est pas un quiétiste : le non-agir n’est pas inaction.
Le suivant de la spiritualité ignatienne non plus.
On trouve une remarquable expression du « non agir » ignatien dans la maxime d’un jésuite hongrois du XVII° siècle :

Gabor Hevenesi a écrit:Aie foi en Dieu comme si le résultat de ton travail dépend de toi et non de Dieu.
Engage-toi comme si rien ne va être réalisé par toi mais tout par Dieu

Très simplement, « non-agir » dans la spiritualité ignatienne c’est agir en cherchant et faisant la volonté de Dieu.

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Message par Vanleers Ven 15 Juil 2022 - 16:12

Je reprends la question du saint évoquée par Guy Flecher dans un post antérieur.
Il cite un extrait de Télévision qu’on peut lire en :

http://staferla.free.fr/Lacan/Television.pdf

Lacan répond à la question 17 :

Question 17 : Comment donc situer l’analyste, à votre guise, qui ne collabore pas mais ne proteste pas non plus ?

Lacan a écrit:On ne saurait mieux le situer objectivement cet analyste, que de ce qui dans le passé s’est appelé « être un saint ».
Un saint durant sa vie n’impose pas le respect que lui vaut parfois une auréole.
Personne ne le remarque quand il suit la voie de Baltasar Gracián, celle de ne pas faire d’éclats, d’où son traducteur, il y a peut-être des gens qui ont lu ça, Amelot de La Houssaye, a cru qu’il écrivait de « L’homme de cour ».

Un saint - pour me faire comprendre - ne fait pas la charité. Plutôt se met-il à faire le déchet : il décharite.
Ce pour réaliser ce que la structure impose, à savoir permettre au sujet - au sujet de l’inconscient - de le prendre pour cause de son désir.

C’est de l’abjection de cette cause en effet, que le sujet en question a chance de se repérer, au moins dans la structure.
C’est la condition pour qu’il se repère aussi ailleurs, si l’inconscient est bien ce que je dis.
Et supporter cette abjection, pour le saint c’est pas drôle.

Mais j’imagine que pour quelques oreilles au moins à cette télé, ça recroupe... ça recoupe bien des étrangetés, ce que j’appellerai « l’effet de saint ».

L’effet de saint : que ça ait d’effet de jouissance qui n’en a le sens avec le joui ?
Il n’y a que le saint qui reste sec, macache pour lui. C’est même ce qui épate le plus dans l’affaire, épate ceux qui s’en approchent et ne s’y trompent pas : le saint est le rebut de la jouissance.

Parfois il a un petit relais : il jouit.
Il ne s’en contente pas - pour autant - plus que tout le monde.
Il n’opère plus pendant ce temps-là.

Y’a que les petits malins qui le guettent alors pour en tirer des conséquences à se regonfler eux-mêmes.
Mais le saint s’en fout, autant que ceux qui dans ce relais voient sa récompense.
Ce qui est à se tordre. Puisque de se foutre de la justice distributive, c’est de là que le plus souvent il est parti.

À la vérité le saint ne se croit pas de « mérites », ce qui ne veut pas dire qu’il n’ait pas de morale.
Le seul ennui, pour les autres, c’est qu’on ne voit pas où ça le conduit.
Moi je cogite, je cogite éperdument pour qu’il y en ait de nouveaux comme ça.

C’est sans doute de ne pas moi-même y atteindre.
Plus on est de saints, plus on rit, c’est mon principe.
Ça pourrait être la sortie du discours capitaliste, mais ça ne constituera pas un progrès si ça ne se passe que pour certains.

Le saint fait le déchet, il est le rebut de la jouissance, dit Lacan.
L’homme libre est totalement désencombré de lui-même, « sans affaires » (wou-che) dit Lin Tsi.
Il est comme « un reste de pot cassé dont on ne s’avise pas de chercher aucun service » dit l’auteur inconnu (sans doute une autrice) de L’abandon à la Providence divine. (DDB 2005)
Ayant distingué l’âme qui vit en Dieu et l’âme pour laquelle Dieu vit en l’âme, concernant cette dernière :

auteur inconnu a écrit: Celle-ci souvent est dans un coin de la terre comme un reste de pot cassé dont on ne s’avise pas de chercher aucun service Là, cette âme délaissée des créatures, mais dans la jouissance de Dieu par un amour très réel, très véritable, très actif quoique infus dans le repos, ne porte à aucune chose de son propre mouvement. Elle ne sait que se laisser et se remettre entre les mains de Dieu pour le servir en la manière qu’il connaît. Souvent, elle ignore à quoi elle sert, mais Dieu le sait bien. Les hommes la croient inutile, les apparences favorisent ce jugement. Il n’en est pas moins vrai que, par de secrètes ressources et par des canaux inconnus, elle répand une infinité de grâces sur des personnes souvent qui n’y pensent point et auxquelles elle ne pense pas. (pp. 40-41)

Un sacré sens de l’humour !

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Message par Zhongguoren Ven 15 Juil 2022 - 17:40

Vanleers a écrit:Très simplement, « non-agir » dans la spiritualité ignatienne c’est agir en cherchant et faisant la volonté de Dieu.

Cela peut, à la rigueur, être rapproché de l'ishvara pranidhâna ("abandon au divin") hindouiste, mais n'a aucune correspondance dans la pensée chinoise puisqu'on n'y trouve nulle trace ni de divinité ni même de sainteté.

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Message par neopilina Ven 15 Juil 2022 - 17:41

Vanleers a écrit:Claude Larre (1919-2001) était un jésuite sinologue, fondateur de l’Institut Ricci.

Claude Larre a écrit:Le temps est venu d’une réconciliation de la logique développée en Occident et de la pensée sur la vie, méditée en Orient. Comme est venu le temps où l’on ne retiendra plus de Jésus-Christ que ce qu’il a dit et ce qu’il a fait. Rien n’empêche plus de placer la Foi en Jésus-Christ au cœur d’une spiritualité simple, ardente et discrète comme celle dont le Livre de la Voie et de la Vertu m’a paru avoir donné l’enseignement.

J'aime bien ! Sinon, toi et moi, le plus amicalement du monde, on a toujours un petit " souci ", à ce titre :

Vanleers a écrit:Le chrétien va plus loin et fait l’hypothèse, c’est-à-dire pose la thèse, métaphysique au sens de Popper (conjecturale, non démontrable, non réfutable, discutable rationnellement), que la consolation vient du Dieu qui veut le bonheur de l’homme, révélé par Jésus-Christ.

Vanleers a écrit:J’entends « métaphysique » au sens de Karl Popper.
Popper distingue les théories scientifiques et les théories métaphysiques.
Les théories scientifiques sont des théories conjecturales, non démontrables mais falsifiables (réfutables par l’expérience).
Les théories métaphysiques sont des théories conjecturales, non démontrables et non réfutables mais discutables rationnellement.
Dans les deux cas, on est dans le conjectural : jamais de certitude absolue.
Depuis qu’il y a des hommes, il y a donc toujours eu de la métaphysique.
Le croyant, par exemple, soutient la thèse conjecturale, métaphysique, de l’existence d’un Dieu.
C’est ce qu’on appelle la foi.

Pourtant, il me semble bien qu'il existe, à titre expérimental, expérimentable et expérimenté, des individus qui se disent chrétiens et que d'autres individus les reconnaissent comme tels. Non !? Au Moyen Age, la seigneurie de B... compte un petit ban nommé M... (environ 100 habitants à l'époque, idem aujourd'hui). Comme tous les " bans ", sans église, sous la Révolution et sous l'Empire, tous ceux-ci devenus des communes, salueront ce changement de statut en s'empressant de bâtir leur église. Un jour, les volailles de ce ban se mettent à mourir de façon inexplicable. On enquête. Une octogénaire, notons qu'à l'époque, octogénaire, c'est bien, voire suspect : elle sera accusée, condamnée et brulée vive pour sorcellerie. C'est un fait, c'est expérimental, cela n'a rien de " conjectural ". La Lorraine a eu son " Torquemada ", il s'appelait Nicolas Rémy. Une autre fois, un mari, dont la femme a été condamnée à mort, prend son courage à deux mains (il en fallait), et affirme à l'accusateur que la nuit en question, sa femme ne pouvait être aux champs avec le Diable puisqu'elle était dans leur lit. L'accusateur lui rétorque qu'elle y est allée en rêve, et la femme sera brulée. Allez, encore une fois. Je respecte infiniment Popper, et, encore une fois, je lui reproche ouvertement de vouloir appliquer aux disciplines traitant du Sens, l'épistémologie qui vaut pleinement, tout à fait, aux disciplines traitant du sens.

Vanleers a écrit:Le saint fait le déchet, il est le rebut de la jouissance, dit Lacan.

Voilà, qui du coup, me parait extrêmement oriental !! J'ai envie de lui dire, à lui aussi, à partir de ce propos, que le problème n'est pas tant de supprimer la libido (et si ce mot, cette étiquette, déplait, qu'on y mette ce qu'on veut) mais d'en faire bon usage.

Malgré mon incompétence, ici, j'ai un mal fou à imaginer qu'il existe un endroit sur terre où la sagesse ne requiert aucun effort.
Et, donc, je réitère, que le sage, le saint, etc., soit forcément un homme perdu pour pour le Monde (i.e. des hommes) est une idée qui me chagrine terriblement.


Dernière édition par neopilina le Ven 15 Juil 2022 - 18:17, édité 3 fois

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" Tout Étant produit par moi m'est donné (c'est son statut philosophique), a priori, et il est Mien (cogito, conscience de Soi, libéré du Poêle) ". " Savoir guérit, forge. Et détruit tout ce qui doit l'être ", ou, équivalents, " Tout l'Inadvertancier constitutif doit disparaître ", " Le progrès, c'est la liquidation du Sujet empirique, notoirement névrotique, par la connaissance ". " Il faut régresser et recommencer, en conscience ". Moi.
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Message par Zhongguoren Ven 15 Juil 2022 - 18:12

neopilina a écrit:C'est un fait, c'est expérimental, cela n'a rien de " conjectural ".

Ce que Popper qualifie de "conjectural", ce sont les faits en tant qu'interprétés à travers des théories scientifiques, non les faits en tant que simplement vécus. En d'autres termes, que le soleil se lève à l'est et se couche à l'ouest est conjectural. En revanche, qu'il me grille la peau si je ne m'en protège pas suffisamment ne l'est pas.

neopilina a écrit:Je respecte infiniment Popper, et, encore une fois, je lui reproche ouvertement de vouloir appliquer aux disciplines traitant du Sens, l'épistémologie qui vaut pleinement, tout à fait, aux disciplines traitant du sens.

J'avoue ne pas saisir ce que vous voulez dire. Si vous vouliez être plus explicite ...

neopilina a écrit:j'ai un mal fou à imaginer qu'il existe un endroit sur terre où la sagesse ne requiert aucun effort.

Vous avez parfaitement raison. Il s'agit là d'un des nombreux fantasmes orientalistes des occidentaux (au même titre que la lascivité féminine ou la bonne humeur indestructible en toute circonstance). La sagesse tant des Chinois que des Indiens n'incite certainement pas à renoncer à l'effort mais plutôt à abandonner l'idée saugrenue (typiquement judéo-chrétienne) que l'effort douloureux serait rédempteur. A l'idée que, pour parodier (à peine) un célèbre proverbe arabe, "tu dois t'efforcer de souffrir car, si toi tu ne sais pas pourquoi tu souffres, Dieu, lui, le sait" !

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Message par Vanleers Ven 15 Juil 2022 - 20:55

Zhongguoren a écrit:
Vanleers a écrit:Très simplement, « non-agir » dans la spiritualité ignatienne c’est agir en cherchant et faisant la volonté de Dieu.

Cela peut, à la rigueur, être rapproché de l'ishvara pranidhâna ("abandon au divin") hindouiste, mais n'a aucune correspondance dans la pensée chinoise puisqu'on n'y trouve nulle trace ni de divinité ni même de sainteté.

Dans François Cheng, du Tao à la « Voie christique » :

Madeleine Bertaud a écrit:Un homme, librement conduit par un amour surhumain, a réitéré la Promesse d’éternité contenue dans le Souffle initial. Entre taoïsme et « voie christique », le poète a réussi, avec l’aide probable de sa part bouddhiste mais aussi de ce naturel de bonté qui se lit sur son visage, à percevoir, au fil des « rencontres » que j’ai évoquées en commençant, une « unité organique vitale ». Cela ne l’a pas amené à une conversion à proprement parler mais à ce qu’il désigne, non comme un syncrétisme (terme qu’il récuse avec véhémence), mais comme une « symbiose vivante » entre « la meilleure part » de son fond chinois  et « la meilleure part » de l’autre.

https://www.cairn.info/revue-transversalites-2012-4-page-129.htm

Comme le poète François Cheng, le jésuite Claude Larre fait signe, non pas vers un syncrétisme mais vers une « symbiose vivante » entre le Tao Te King et l’Évangile.

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Message par Zhongguoren Sam 16 Juil 2022 - 9:39

Vanleers a écrit:Comme le poète François Cheng, le jésuite Claude Larre fait signe, non pas vers un syncrétisme mais vers une « symbiose vivante » entre le Tao Te King et l’Évangile.

Je comprends cet élan de "symbiose vivante". Mais il ne faut pas se méprendre sur ce qui la rend possible et qui ne repose pas sur une communauté spirituelle entre le christianisme et le taoïsme mais sur la profonde tolérance de la sagesse taoïste. De la même façon qu'un enfant habitué précocement à pratiquer de nombreuses activités physiques aura toute latitude pour se spécialiser plus tard dans l'une d'entre elles (l'inverse étant beaucoup moins probable), de même le taoïste, le bouddhiste, l'hindouiste, etc. pourra embrasser une spiritualité aussi dogmatique que le christianisme, l'inverse étant difficilement concevable. Le taoïsme, tout comme le bouddhisme mahayana ou l'hindouisme ne sont pas tant des sagesses que des formes de sagesses. C'est ce qui les rend particulièrement tolérantes, c'est-à-dire à même d'intégrer en leur sein des pratiquant(e)s de spiritualités beaucoup plus rigides qu'elles-mêmes sans exiger de conversion de leur part.


Dernière édition par Zhongguoren le Sam 16 Juil 2022 - 16:23, édité 1 fois

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Message par Vanleers Sam 16 Juil 2022 - 9:42

A neopilina

Selon Karl Popper, sont conjecturales les théories qui cherchent à expliquer les faits, qu’elles soient scientifiques (falsifiables) ou métaphysiques (non démontrables, non réfutables, discutables rationnellement).

Karl Popper a écrit: Si l’on considère à présent une théorie comme la solution que l’on se propose d’apporter à un ensemble de problèmes, cette théorie se prête alors immédiatement à la discussion critique, quand bien même elle serait non empirique et irréfutable. Car nous pouvons désormais poser des questions comme celles-ci : est-ce que la théorie résout effectivement le problème ? Le résout-elle mieux que ne font d’autres théories ? S’est-elle, éventuellement, contentée de déplacer celui-ci ? Est-elle simple ? Est-elle féconde ? (Conjectures et réfutations p. 296)

J’ai écrit que le chrétien pose la thèse, métaphysique au sens de Popper, que la consolation (la « béatitude » de Spinoza ?) vient du Dieu qui veut le bonheur de l’homme, révélé par Jésus-Christ.
Il appartient à chacun de voir par lui-même si cette thèse résout le problème de l’origine de la consolation qu’il éprouve, si elle le résout mieux que d’autres théories, si elle est simple, féconde, etc.

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Message par Vanleers Sam 16 Juil 2022 - 11:40

Dans l’article signalé dans un post antérieur : François Cheng, du Tao à la « Voie christique », Madeleine Bertaud cite François Cheng qui explique que la voie christique n’est pas en contradiction avec l’intuition taoïste :

François Cheng a écrit:Je suis cet être qui a vécu tout au long du XX° siècle. J’ai été témoin, directement ou indirectement, d’événements tragiques qui ont contribué à creuser l’abîme pour ainsi dire sans fond de la condition humaine. […]
À un moment donné, j’ai compris qu’au sein de l’humanité, il avait fallu que quelqu’un vînt pour dévisager le mal absolu et envisager le bien absolu [et] les prendre en charge, cela au prix de sa vie, offerte comme un don total, afin de démontrer que le bien absolu est possible, que l’absurdité et le désespoir ne sont pas notre issue. C’est ce qu’on appelle une vérité incarnée ; c’est ce qu’a accompli le Christ, en qui le bien absolu s’était manifesté comme amour absolu. Ce qu’il a accompli est proprement sur-humain […]. Que cet accomplissement fût porté par le divin, qu’il révèle par là la part divine de la destinée humaine, c’est une vision que j’accepte aussi. C’est dire que j’épouse volontiers la voie christique. Mon engagement relève de l’adhésion et non de la « croyance ». […]
Cela est-il en contradiction avec ma vision cosmologique de base, laquelle venait de la grande intuition taoïste ? Nullement. […] Dans cette vision qui m’est native, je me sens charnellement en connivence avec l’univers vivant ; je ne l’abandonnerai pas et je n’ai pas à l’abandonner. Elle me permet au contraire de vivre pleinement la voie christique, celle par laquelle la destinée humaine est portée à son plus haut degré d’exigence et de réalisation.

F. Cheng n’emploie pas le mot « chrétien » mais « christique » qui est aussi le titre du dernier écrit de Teilhard de Chardin.

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Message par Zhongguoren Sam 16 Juil 2022 - 16:30

Vanleers a écrit:J’ai écrit que le chrétien pose la thèse, métaphysique au sens de Popper, que la consolation (la « béatitude » de Spinoza ?) vient du Dieu qui veut le bonheur de l’homme, révélé par Jésus-Christ.
Il appartient à chacun de voir par lui-même si cette thèse résout le problème de l’origine de la consolation qu’il éprouve, si elle le résout mieux que d’autres théories, si elle est simple, féconde, etc.

Pourquoi diable (si j'ose dire) aurions-nous besoin de "consolation" ?

Freud a écrit:Si l’homme en cours de croissance remarque qu’il est voué à rester toujours un enfant, qu’il ne peut se passer de protection contre les surpuissances étrangères, il confère à celles-ci les traits de la figure paternelle, il se crée des dieux dont il a peur, qu’il cherche à se gagner et auxquels il transfère néanmoins le soin de sa protection. (l’Avenir d’une Illusion, iv)

Pour bien se représenter le rôle immense de la religion, il faut envisager tout ce qu'elle entreprend de donner aux hommes : elle les éclaire sur l'origine et la formation de l'univers, leur assure, au milieu des vicissitudes de l'existence, la protection divine et la béatitude finale, enfin elle règle leurs opinions et leurs actes en appuyant ses prescriptions de toute son autorité. Ainsi remplit-elle une triple fonction. En premier lieu tout comme la science mais par d'autres procédés, elle satisfait la curiosité humaine et c'est d'ailleurs par là qu'elle entre en conflit avec la science. C'est sans doute à sa seconde mission que la religion doit la plus grande partie de son influence. La science en effet ne peut rivaliser avec elle, quand il s'agit d'apaiser la crainte de l'homme devant les dangers et les hasards de la vie ou de lui apporter quelque consolation dans les épreuves. La science enseigne, il est vrai, à éviter certains périls, à lutter victorieusement contre certains maux : impossible de nier l'aide qu'elle apporte aux humains, mais en bien des cas elle ne peut supprimer la souffrance, et doit se contenter de leur conseiller la résignation. [Voilà pourquoi] la religion n’apparaît pas comme une acquisition durable dans l’histoire de l’humanité, mais comme une névrose infantile par laquelle l’humanité doit inévitablement passer pour atteindre sa maturité. (Nouvelles Conférences sur la Psychanalyse)

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