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Blanchot - Ecriture et solitude essentielle

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Message par Vargas Mer 12 Déc 2007 - 12:04

Ecriture et solitude essentielle

(sur L'espace littéraire, de Maurice Blanchot)


Blanchot part de la solitude pour s'approcher de l'espace littéraire.
Celle de l'oeuvre nous découvre une solitude plus essentielle qui n'est ni recueillement ni renfermement sur l'individu.
C'est un aparté, une mise à l'écart.
Oeuvrer au tout unique de l'oeuvre, vouloir donner un terme à l'inachevable. Condition de sa communication.
Solitude de n'affirmer que le fait que l'oeuvre est. Affirmer cette solitude de l'oeuvre, encourir le risque de cette solitude pour celui qui l'écrit et celui qui la lit.

Car on écrit un livre, pas une oeuvre.
Laquelle nous échappe toujours, nous referme sur son absence, nous laisse au creux des mots, avec la trace de nos efforts, le vide d'un "en vue de" fuyant.
Quête d'un point central, d'une scène fascinante autour de laquelle gravite tout un échauffaud, tout le livre à venir.
Le temps de la création se rompt pour congédier la création, désaissit le créateur de la préhension de l'oeuvre à laquelle il appartient après avoir connu la préhension persécutrice.
C'est écrire qui est l'interminable, l'incessant.

Il [l'écrivain] se retrouve à nouveau comme au début de sa tache et [qu'] il retrouve à nouveau le voisinage, l'intimité errante du dehors, dont il n'a pu faire séjour.

Quand l'oeuvre commence, l'auteur demeure dans l'indécision du recommencement, dans l'ombre de l'évènement redit, repris, réexploré, épuisé, enrichi, répété.
L'écrivain parait maître de ses mots mais demeure esclave de sa plume, de la main qui la contient.
Il ne maitrise vraiment que sa retenue - sa capacité à s'écarter - dans la proximité de l'oeuvre, avec la passivité du mot, dans l'ombre de ce qu'il souhaite exprimer.


Ecrire, c'est rompre le cercle de la parole, en empêcher le commencement, s'interdire de s'interrompre, affirmer sans autorité, interpeller dans une communication sans certitude de contact (est-on lu, est-on vraiment lu, sera-ce compris, qu'essaie-je de dire ?).

Ambiguité du geste de parler seul dans une oeuvre qui ne renvoie qu'a elle-même, c'est-à-dire à un rien sans je, sans toi, sans autre, pour autrui sans visage dans le ton de l'anonyme, avec le seul pouvoir de l'impersonnel.

Parole s'entourant de son silence propre pour s'émettre, rendre sensible le langage devenant image, "profondeur parlante, indistincte plénitude qui est vide".
Se taire pour donner voix à l'universel, c'est la conception classique de l'écriture.
Ecrire et découvrir l'interminable et , se faisant, ne pas pouvoir, ne plus prétendre se porter vers l'universel, c'est peut-être la nôtre, présente, notre inactualité.


Blanchot évoque le recours au journal (Kierkegaard, Kafka, par exemple), moyen pour l'écrivain de se ressaisir dans un temps historique, afin de ne pas céder entièrement à ce risque extrême de la littérature, "le règne fascinant de l'absence du temps".
Par le même geste toujours : encore écrire.

Cette fascination (la passion de l'image, ainsi que la tentation platonicienne), c'est aussi celle faisant l'essence de la solitude.
Temps sans présence, sans profondeur vivante, sans commencement. Toujours précédé d'un recommencement.
Reconnaissance entravant le connaître. Eternel retour sans éternité, neutre plutôt que négatif, Il dans lequel coule le Je.

Le présent mort est l'impossiblité de réaliser une présence, impossibilité qui est présente, qui est là comme ce qui double tout présent, l'ombre du présent, que celui-ci porte et dissimule en lui. Quand je suis seul, je ne suis pas seul, mais, dans ce présent, je reviens déjà à moi sous la forme de Quelqu'un. Quelqu'un est là, où je suis seul.
Le fait d'être seul, c'est que j'appartiens à ce temps mort qui n'est pas mon temps, ni le tien, ni le temps commun, mais le temps de Quelqu'un. Quelqu'un est ce qui est encore présent, quand il n'y a personne. Là où je suis seul, je ne suis pas là, il n'y a personne, mais l'impersonnel est là : le dehors comme ce qui prévient, précède, dissout toute possibilité de rapport personnel.
Quelqu'un est le Il sans figure, le On dont on fait partie. Mais qui en fait partie ? Jamais tel ou tel, jamais toi ou moi. Personne ne fait partie du On

Qaund l'être manque, il n'est encore que profondément dissimulé, insiste Heidegger.
Ce manque, celui de la solitude essentielle est aussi ce qui révèle que l'absence rend présent, que le silence exprime, l'être en tant que dissimulé.
Que cette dissimulation devienne négation, histoire et action , c'est notre pouvoir, celui du néant auquel nous nous faisons appartenir (travail du négatif hégelien, et qui est celui de la littérature pour Sartre aussi).
C'est la possiblité de ne pas être qui fonde notre liberté, la création.
Qui rend possible l'approche de l'espace littéraire.

" Quand les être manquent, l'être apparait comme la profondeur de la dissimulation dans laquelle il se fait manque. "

Il faut "creuser le vers", écrivait Mallarmé, dans sa danse avec l'impersonnel et le langage essentiel, poétique.

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Message par Brutus Jeu 13 Déc 2007 - 2:43

Vargas a écrit:
Il faut "creuser le vers", écrivait Mallarmé, dans sa danse avec l'impersonnel et le langage essentiel, poétique.
Je ne vais pas contester ta brillante et séduisante analyse de Blanchot
Mais ce qui est peut-être vrai pour la littérature me semble peu applicable à la poésie et je vais te titiller , sur l’à propos de ta dernière citation. :)
Il me semble en effet qu’il y a autre chose dans la poésie et particulièrement dans la poésie mallarméenne.
Si Blanchot s’extrait de son œuvre au point de ne pas pouvoir lire ce qu’il a écrit parce qu’elle lui a échappé dans sa temporalité notamment(je ne me trompe pas ?) , que le livre qu’il a écrit n’est pas davantage celui que lira le lecteur en y projetant ses propres sens et les valeurs de son propre temps, Mallarmé quant à lui poursuit en » creusant ses vers « la construction d’un langage où les mots , dans leur agencement inhabituel vont précisément créer cette communication supra-littéraire dans un mouvement qualifié par Bachelard de dynamique mallarméenne, procédé soigneusement élaboré et totalement maitrisé par le poète..
La suggestion du poète par le mot juste, réinventé , extirpé de sa fange du cliché et de nos habitudes doit selon Mallarmé produire au moyen de cette dynamique, l’image porteuse de sens , sensible au poète comme au lecteur dont il réclame un effort aussi soutenu que le sien.
Mallarmé tient à cette communication entre créateur et lecteur . Par son « obscurité » , ce qui lui est si souvent reproché ,s’il y a risque effectivement de solitude c’est par désespérance d’être compris. Redoutant la possible trahison , Mallarmé fait en sorte de ne pas l’être aisément , « pour n’avoir d’admirateurs que ceux qui auront signalé par leurs efforts pour le comprendre , non la supériorité de leur culture , ni leur adhésion à un symbolisme ésotérique , mais un vrai désir de communication poétique » ( P Bénichou)
Et Mallarmé s’il reconnaît la solitude du créateur, c’est celle du poète incompris et non le renoncement à la préhension sur son œuvre .
Bon je pense que l'oeuvre poétique, Mallarméenne particulièrement , échappe à l'oeuvre littéraire . J'ai sans doute fait dans la digression.

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Message par Vargas Jeu 13 Déc 2007 - 13:48

je serais bien en peine de te répondre correctement au sens où je ne ressens aucune contradiction.

Le point d'achoppement c'est clairement, "littérature/poésie, même constat ?"
La réponse est non, mais écrire c'est toujours écrire.
Et l'espace poétique, c'est aussi l'espace littéraire.

Le rapport au langage, les moyens, les chemins d'accès sont bien différents mais les mêmes enjeux sont là du point de vue de l'oeuvre, de l'écriture.
C'est à l'expérience propre de Mallarmé que Blanchot s'intéresse, avec celles de Rilke, Holderlin, Novalis, Kafka, etc...
En fait, la poésie est même plus évoquée que le roman, les nouvelles.
Rapport à la mort, exigence de l'oeuvre, expérience originelle, réflexion sur le langage.

Valéry affirme que l'essence de la littérature est la poésie, mais il touche à tout.
Mallarmé parle de creuser les vers ( la citation se réfère explicitement à la seule poésie). Mais les oeuvres de la fin, celles qui marqueront le plus dans la modernité littéraire (Igitur, Un coup de dé ...) sont en prose.

Pour ce qui est de l'échappée, je ne suis pas sûr d'avoir compris.
Cette fascination quant à l'absence du temps est en premier lieu celle du créateur.
On peut penser à Proust pour le roman mais aussi à Apollinaire pour la poésie.
Cette échappée n'en est pas une au sens où elle ne même nulle part, sinon à un ici transformé, neutralisé, plus proche de la mort et de l'anonyme. C'est aussi l'impersonnel.
Ou plutôt, l'impersonnel est aussi cela.

En revanche, échappée il y a aussi chez Mallarmé. Et c'est aussi ce qu'il poursuit : le Livre, la grande oeuvre. Déjà écrite. A imaginer. "Rien ne demeurera sans avoir été proféré".
C'est aussi la recherche de Borges.

Ce langage poétique que Blanchot évoque dans sa partie sur l'expérience de Mallarmé (et qui d'ailleurs correspond au seuil de celle sur l'espace littéraire) comme parole essentiel. Un langage émis dans la solitude et le silence d'une communication, faisant encourir le risque de solitude.
La rareté de ses mots, de son langage, elle est par opposition au langage commun, pratique. Celui qu'il ressent comme pouvant être substitué par un échange de monnaie.

Dynamique bien particulière. Recherche d'un parole brute, vive, par refus, insatisfaction de l'usure du sens, du simple usage révélé par l'acte d'écrire. (passe-moi le sel)
Langage plus proche de la pensée. Du moins s'agit-il de rendre sensible cette forme de présence, de mise en communication.

Bien entendu, il y a derrière cela un vrai désir de communication poétique, des procédés qui lui sont propres.
Mais parce qu'il y a un vrai désir de poésie, et aussi le vif sentiment d'une crise du langage, d'un incommunicable qui est justement l'essentiel à proférer.
Une phrase qui pourrait aussi s'appliquer au théâtre de Beckett.

D'ailleurs je donne l'autre citation de Mallarmé :
"Malheureusement, en creusant le vers à ce point, j'ai rencontré deux abîmes qui me désespèrent. L'un est le Néant..." (et l'absence des dieux, et l'autre est sa propre mort, résume Blanchot).

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Message par Brutus Ven 14 Déc 2007 - 1:02

Vargas a écrit:je serais bien en peine de te répondre correctement au sens où je ne ressens aucune contradiction.

Le point d'achoppement c'est clairement, "littérature/poésie, même constat ?"
La réponse est non, mais écrire c'est toujours écrire.
Et l'espace poétique, c'est aussi l'espace littéraire.

Le rapport au langage, les moyens, les chemins d'accès sont bien différents mais les mêmes enjeux sont là du point de vue de l'oeuvre, de l'écriture.

Je vais juste revenir sur ce point , parce que le reste m’est obscur : exigence de l’œuvre, expérience originelle, reflexion sur le langage soit mais rapport à la mort , si je fais abstraction de l’obsession de Blanchot …… ?)

Donc, que la poète et le romancier partagent le même espace , je veux bien mais là où je ne suis pas tout à fait d’accord c’est dans l’attitude de ces deux écrivants, avec la reserve suivante , qu’il existe des poètes-romanciers comme il existe des romanciers- philosophes ou des philosophes poètes.

Dans la poésie le « je » est omniprésent , constamment revendiqué . Qu’il se dise ou non inspiré par les Muses , le poète n’en est pas moins accroché à son œuvre et ce qu’il écrit c’est avec « sa chair et son sang » . y compris dans la poésie engagée aux accents messianiques qu’elle soit de Char ou de Eluard mais aussi de Neruda ou d’Aragon.(Exceptons Valéry qui intellectualise au point de faire de la prose en poésie, quoique y parvient-il ?) )
Et Mallarmé n’y échappe pas , lui si attaché a ses sonnets , cent fois remis sur le métier, dans la recherche du mot ou de la structure la plus parfaitement apte à communiquer le réel ressenti, l’image idéalisée, son langage musical ).
Il n’y a jamais , je crois , divorce entre le poète et son œuvre sauf à apparaître dans les productions exceptionnelles d’un poète orthonyme . :)
En littérature (j’évite de parler de prose car il y a bien pour moi de la prose poetique comme il est de la poésie en prose, la forme étant tout à fait secondaire ) l’écrivant construit autour d’un point clé apparu ou imposé lors de la conception de l’œuvre. Et là effectivement , immédiatement se produit l’expérience littéraire au delà de laquelle , l’auteur s’efface ou disparaît devant sa création , parfois maitre de son indépendance ,parfois esclave de son émancipation .
…J’allais poursuivre sur cette comparaison entre littérature et poésie , sur la temporalité qui affecte l’une et l’autre mais l’autre (la littérature ) bien plus que l’une à cause de sa générale polyphonie et sa théatralité..mais je pense que ce n’est pas le sujet.

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