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Message par cedric Jeu 21 Mar 2013 - 11:05

Socrate

Ainsi donc celui qui pense laisser après lui un art consigné dans un livre, comme celui qui le recueille dans la pensée qu'il sortira de cette écriture un enseignement clair et durable, fait preuve d'une grande simplicité, et il ignore à coup sûr l'oracle d' Ammon s'il pense que des discours écrits sont quelque chose de plus qu'un mémento qui rappelle à celui qui les connaît déjà les choses traitées dans le livre.

(…)

C'est que l'écriture, Phèdre, a un grave inconvénient, tout comme la peinture. Les produits de la peinture sont comme s'ils étaient vivants ; mais pose-leur une question, ils gardent gravement le silence. Il en est de même des discours écrits. On pourrait croire qu'ils parlent en personnes intelligentes, mais demande-leur te t'expliquer ce qu'ils disent, ils ne répondront qu'une chose, toujours la même. Une fois écrit, le discours roule partout et passe indifféremment dans les mains des connaisseurs et dans celles des profanes, et il ne sait pas distinguer à qui il faut, à qui il ne faut pas parler. S'il se voit méprisé ou injurié injustement, il a toujours besoin du secours de son père ; car il n'est pas capable de repousser une attaque et de se défendre lui-même.

Phèdre

C'est également très juste

Socrate

Mais si nous considérons un autre genre de discours, frère germain de l'autre, et si nous examinions comment il naît, et combien il est meilleur et plus efficace que lui ?

Phèdre

Quel discours ? Et comment naît-il ?

Socrate

Celui qui s'écrit avec la science dans l'âme de celui qui étudie, qui est capable de se défendre lui-même, qui sait parler et se taire suivant les personnes.

Phèdre

Tu veux parler du discours de celui qui sait, du discours vivant et animé, dont le discours écrit n'est à proprement parler que l'image ?

Socrate

C'est cela même ; mais, dis-moi, si un laboureur sensé avait des graines auxquelles il tînt et dont il voulût avoir des fruits, irait-il sérieusement les semer en été dans les jardins d' Adonis, pour avoir le plaisir de les voir fleurir en huit jours, et, s'il le faisait, ne serait-ce pas en manière d'amusement et à l'occasion d'une fête ? Mais pour celles auxquelles il s'intéresserait sérieusement, ne suivrait-il pas les règles de l'agriculture, semant en terrain convenable et se contenant de voir ses plantes arriver à maturité huit mois après ?

(…)

Et l'homme qui a la science du juste, du beau et du bien sera-t-il, selon nous, moins sensé que le laboureur dans l'emploi de ses grains ?

(…)

Il n'ira donc pas sérieusement écrire ce qu'il sait dans l'eau, il ne le sèmera pas avec l'encre et la plume en des discours incapables de parler pour se défendre eux-mêmes, incapables même d'enseigner suffisamment la vérité ?

( p.192-194 )


Dans ces textes plusieurs choses ressortent.

L'enseignement philosophique véritable ne peut se faire par écrit. Les discours écrits ne manifestent pas le savoir mais ne sont au mieux qu'un memento, qu'un résumé à l'usage de celui qui sait déjà.

Du reste, l'enseignement philosophique nécessite un choix du public. Le maître choisit ses élèves, les élit en fonction de leur potentiel. Il y a une élection préalable à l'enseignement, ce qui signifie un élitisme de la transmission du savoir, étant entendu que le maître doit voir quel individu, potentiellement, peut le recevoir, puis le transmettre à son tour. En ce sens, le discours écrit ne peut opérer aucune sélection.

Le « savoir » doit pouvoir être défendu, et ne peut être défendu que par un individu, ce qui signifie que l'inspiration de l'individu fait partie intégrante du savoir et ne saurait être retranché. Passant à l'écrit, cette inspiration disparaît.

On peut donc faire la distinction suivante, afin de caractériser le discours oral du discours écrit :

. Le « savoir » philosophique se situe du côté du discours oral, la parole étant une manifestation plus directe du savoir en tant que l'individu qui parle, étant un medium, un interprète, incarne la manifestation du divin par sa parole. Le savoir, en ce sens, est une manifestation charnelle du délire compris comme révélation divine. Le savoir philosophique, qui désigne la perception interne, l'intuition, l'expérience vécue en première personne, le ressenti de l' Ethique, se manifeste par le biais de ce qui anime l'individu, son âme ( anima, ce qui anime ) qui participe du monde du divin et est révélé par la parole délirante, c'est à dire enthousiaste. En ce sens, le savoir philosophique ne peut se passer de l'individualité de celui qui le manifeste. En ce sens, le savoir est foncièrement personnel, c'est à dire vécu par une personne de l'intérieur.

. A l'inverse, le discours écrit n'est pas une manifestation directe mais une image du savoir, c'est à dire quelque chose d'inanimé, d'inerte, de mort, de figé, d'impersonnel, de gravé, d'abstrait. En ce sens, le « savoir » qu'il pense délivrer n'est qu'un trompe l’œil et au contraire un signe de la mort du savoir, une consignation de signes dépourvus d'animation, un grand tombeau où des mots vides s'entassent.

Le savoir ne peut pas être transmis par l'écrit, car la transmission du savoir philosophique nécessite la présence et la parole de celui qui transmet et guide.


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