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Phèdre

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Message par cedric Jeu 14 Mar 2013 - 11:17


Phèdre

Je ne l'ai jamais remarqué ; mais, au nom de Zeus, dis-moi, Socrate, crois-tu, toi, que cette aventure mythologique soit véritablement arrivée ?

Socrate

- Mais si j'en doutais, comme les sages, il n'y aurait pas lieu de s'en étonner ; je subtiliserais comme eux, je dirais que le souffle de Borée la précipita du haut des rochers voisins, où elle jouait avec Pharmacée, et qu'étant morte de cette chute elle passa pour avoir été enlevé par Borée, soit d'ici, soit de l' Aréopage ; car il y a une autre tradition suivant laquelle c'est là, non ici, qu'elle fut enlevée. Pour moi, Phèdre, je trouve ces explications intéressantes, mais elles exigent trop d'ingéniosité et trop de peine, et vous ôtent à jamais la paix de l'existence, par la simple raison qu'il faut après cela expliquer la forme des Hippocentaures, et puis celle de la Chimère ; puis c'est une avalanche d'être du même genre, Gorgones et Pégases, et des multitudes étranges et créatures inconcevables et monstrueuses. Qu'un incrédule, appliquant les procédés d'une sagesse vulgaire, essaie de réduire à la vraisemblance chacun de ces prodiges, il lui faudra bien du loisir. Quant à moi, je n'en ai pas du tout pour ces recherches, et la raison, mon ami, c'est que je n'ai pas pu encore me connaître moi-même, comme le commande l'inscription de Delphes, et qu'il me semble ridicule que, m'ignorant moi-même, je cherche à connaître des choses étrangères. C'est pourquoi je laisse de côté toutes ces histoires et je m'en rapporte là-dessus à la croyance commune ; et, comme je l'ai dit tout à l'heure, au lieu d'examiner ces phénomènes, je m'examine moi-même ; je veux savoir si je suis un monstre plus compliqué et plus aveugle que Typhon, ou un être plus doux et plus simple et qui tient de la nature une part de lumière et de divinité. Mais à propos, mon ami, ne sommes-nous pas arrivés à l'arbre où tu nous conduisais ?

( p.117-118 )

Dans un premier temps du passage, Socrate prend position vis à vis de la mythologie classique, de la tradition mythologique qui représente toute une cosmogonie explicative du monde. Il s'en distingue clairement, soulignant qu'un sage, ou quelqu'un qui tend vers la sagesse ( le philosophe ), qui y travaille, ne peut croire ce genre de récit.

Dans le deuxième temps, Socrate fait une distinction importante sous l'égide de l'inscription du temple de Delphes : « Connais toi toi-même », qui représente une injonction du philosophe. On sait donc que ce temple était destiné à la divination, par l'intermédiaire d'une prêtresse, et représentait une sorte de relation avec le divin. Donc, cette injonction à se connaître soi-même, Socrate la pratique, selon la logique qui consiste à dire que, il faut d'abord apprendre à se connaître soi-même, en son « intérieur » disons, avant de chercher à connaître les choses extérieurs à soi-même. Sous-entendu, celui qui ne se connaît pas lui-même ne peut pas, par conséquent connaître le monde extérieur. Cette position, cette injonction delphique qu'applique le philosophe montre qu'il existe un lien entre la connaissance de soi et la connaissance du monde, puisque, ne se connaissant pas lui-même, Socrate juge improbable de parvenir à la connaissance du monde extérieur, qu'il ne va pas, par conséquent, rechercher.

Cette distinction entre la connaissance de soi / la connaissance du monde ( extérieur ), implique il me semble une distinction entre la philosophie / et la, les sciences. Or, on sait bien que Socrate ne possède aucune science, ce qui ressort d'autant mieux selon ces distinctions, la science, les sciences se situant d'emblée du côté du monde extérieur que Socrate, ne se connaissant pas même lui-même, ne peut par conséquent connaître.

Je souligne que la connaissance de soi, d'emblée, possède cette dimension Ethique et philosophique, à laquelle le philosophe se rattache clairement, bien qu'il soit curieux de tout le reste ( des sciences, du savoir ).

Dans le questionnement que Socrate pose à la fin du texte, on peut déjà voir les éléments de réponse, c'est à dire que la connaissance de soi-même, son approche, nous apprend que nous tenons de la nature une part du lumière et de divinité.


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Message par euthyphron Jeu 14 Mar 2013 - 18:32

cedric a écrit:Dans un premier temps du passage, Socrate prend position vis à vis de la mythologie classique, de la tradition mythologique qui représente toute une cosmogonie explicative du monde. Il s'en distingue clairement, soulignant qu'un sage, ou quelqu'un qui tend vers la sagesse ( le philosophe ), qui y travaille, ne peut croire ce genre de récit.
Je ne comprends pas où tu lis cela. Je lis exactement le contraire. L'ironie du début me paraît claire, lorsqu'il est fait mention des "sages", qui seront plus tard appelés "incrédule, appliquant les procédés d'une sagesse vulgaire". Ce qui est rejeté, ce n'est pas la mythologie, mais son explication naturaliste, donc démythifiante. La réponse de Socrate à la question de Phèdre, la voici : "C'est pourquoi je laisse de côté toutes ces histoires* et je m'en rapporte là-dessus à la croyance commune."
(*c'est-à-dire, clairement, les explications des pseudo-sages, et non la mythologie elle-même)
J'ai d'ailleurs évoqué ce passage, dans une autre traduction, lors de notre discussion à propos du Banquet.

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Message par cedric Ven 15 Mar 2013 - 10:15

Je maintiens.

Socrate répond à la question de Phèdre, qui consiste à lui demander : dis-mois, Socrate, crois-tu, toi, que cette aventure mythologique soit véritablement arrivée ?

( en passant ça serait vraiment très étonnant qu'il y croit )

Ce à quoi il répond: mais si j'en doutais, comme les sages ( ici à mon sens le terme de sage est positif ) (...) car il y a une autre tradition suivant laquelle c'est là, non ici, qu'elle fut enlevée " ; une autre tradition, ça veut dire que Socrate est en train de montrer que les explications mythologiques sont mêmes relatives à des traditions, qui elles-même ne tiennent pas les même récits pour acquis, partant...

Et juste après clairement : Pour moi, Phèdre, je trouve ces explications intéressantes, mais elles exigent trop d'ingéniosité et trop de peine, et vous ôtent à jamais la paix de l'existence, par la simple raison qu'il faut après cela expliquer la forme des Hippocentaures, et puis celle de la Chimère; puis c'est une avalanche d'êtres du même genre, Gorgones et Pégases ( ... )




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Message par cedric Ven 15 Mar 2013 - 10:30

Ici il n'y a pas de critique du "naturalisme", mais de la mythologie classique dans son rapport à la "vérité".

D'ailleurs j'attire ton attention sur le fait que Socrate a été condamné à mort, précisément car il remettait en cause l'existence des dieux en vigueurs.

Le paradoxe, c'est simplement que parfois Platon fait un usage métaphorique des mythes, mais uniquement dans une lecture qui délivre du sens, et pas comme une narration historique.

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Message par euthyphron Ven 15 Mar 2013 - 11:09

cedric a écrit:Je maintiens.
Socrate répond à la question de Phèdre, qui consiste à lui demander : dis-mois, Socrate, crois-tu, toi, que cette aventure mythologique soit véritablement arrivée ?

( en passant ça serait vraiment très étonnant qu'il y croit )
Il ne répond pas "J'y crois", mais il répond encore moins "je n'y crois pas". Il répond "je m'en reporte à la tradition" (je préfère la traduction Brisson, mais ça n'a pas d'importance).
Il ne rejette pas les mythes, mais une manière de les expliquer. Cette exégèse, on pourrait l'appeler rationaliste. Cela revient à "sauver le mythe" en en donnant une interprétation compatible avec ce que nous jugeons possible. Si (je cite, dans la traduction Brisson) "un coup de vent boréal a fait tomber Orithye du haut des rochers voisins" alors c'est une jeune fille à qui il est arrivé un accident, chose possible, qui trouve une traduction mythologique "impossible", à savoir qu'elle aurait été enlevée par Borée.
C'est ce type d'explication que le texte envoie promener comme inutile, une explication digne des enfants de l'écriture dont il sera question plus loin, qui veulent connaître l'origine des croyances, alors que seul importe le sens, c'est-à-dire la parole vivante que cela engendre dans l'âme. La mythologie en elle-même n'est pas congédiée. On ne peut pas concilier ton interprétation avec la réponse précise que donne Socrate à la question de Phèdre, puisque la tradition dont il est question ("croyance commune" dans ta traduction) ce ne peut être que la mythologie, non?
cedric a écrit:Ici il n'y a pas de critique du "naturalisme", mais de la mythologie classique dans son rapport à la "vérité".
D'ailleurs j'attire ton attention sur le fait que Socrate a été condamné à mort, précisément car il remettait en cause l'existence des dieux en vigueurs.
Le paradoxe, c'est simplement que parfois Platon fait un usage métaphorique des mythes, mais uniquement dans une lecture qui délivre du sens, et pas comme une narration historique.
Tout à fait d'accord avec ta dernière phrase, sauf avec le mot "paradoxe". Platon ne rejette absolument pas la mythologie, il nous apprend à la lire.
Or, ce que tu appelles "le rapport classique de la mythologie à la vérité", c'est l'attitude qui consiste à la prendre à la lettre, ce qui n'est absolument pas "classique" (comment prendre à la lettre ces élucubrations apparentes?) mais décadent, héritage de l'invention de l'écriture.
Quant à la mort de Socrate, elle est du point de vue de la piété une erreur judiciaire! Socrate respecte les dieux. Mais c'est justement parce qu'il les respecte vraiment qu'il est intolérable aux superstitieux.

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Message par cedric Ven 15 Mar 2013 - 11:54

Hum, j'avoue que ton explication est convaincante, donc il faut comprendre ici une pointe d'ironie quand Socrate parle des "sages".

Ceci dit, donc je pense que tu as raison qu'il y a une critique un peu spéciale ici, qui ne porte ni sur la mythologie ni sur le naturalisme, mais plus précisément sur quelque chose d'assez incroyable pour nous : sur une manière naturaliste de sauver les récits mythologiques.

Mais le gros de l'affaire reste le même non : Socrate renvoie tout ça du côté de la croyance commune ( dont il ne fait pas du tout l'apologie ) et préfère se recentrer sur la seule connaissance qu'il lui est possible d'obtenir : la connaissance de soi.

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Message par euthyphron Ven 15 Mar 2013 - 12:15

cedric a écrit:Hum, j'avoue que ton explication est convaincante, donc il faut comprendre ici une pointe d'ironie quand Socrate parle des "sages".

Ceci dit, donc je pense que tu as raison qu'il y a une critique un peu spéciale ici, qui ne porte ni sur la mythologie ni sur le naturalisme, mais plus précisément sur quelque chose d'assez incroyable pour nous : sur une manière naturaliste de sauver les récits mythologiques.

Mais le gros de l'affaire reste le même non : Socrate renvoie tout ça du côté de la croyance commune ( dont il ne fait pas du tout l'apologie ) et préfère se recentrer sur la seule connaissance qu'il lui est possible d'obtenir : la connaissance de soi.
Je ne crois pas que ce soit "si incroyable". Il est très facile de transposer aux débats théologiques relatifs à la démythologisation du christianisme, par exemple. Faut-il croire aux faits énoncés comme historiques et cependant miraculeux? pourrait demander un Phèdre d'aujourd'hui à un personnage qui tel Socrate paraît difficile à étiqueter (croyant, impie?).
De plus, nous retrouverons cette question dans la critique de l'écriture, signe de son importance.
Quant au "gros de l'affaire", d'accord avec toi sur le recentrage, clairement exprimé par le texte, sur la connaissance de soi. Mais attention, débat futur en vue, que veut dire "se connaître soi-même" pour Platon? Ce n'est certainement pas à prendre au sens psychologique, je pense que tu en es d'accord.
Pas d'accord en revanche sur l'idée qu'il faut chercher à se connaître parce que c'est la seule connaissance possible. Ce n'est pas la bonne raison. C'est parce que c'est la clef initiatique de toute connaissance, dirais-je plutôt.
Et toujours pas d'accord sur la croyance commune. Socrate n'en fait certes pas l'apologie. Mais il la conserve, alors qu'il rejette ce que j'ai appelé l'exégèse rationaliste. Il ne la conserve pas par traditionalisme, ça non je ne pense pas, mais parce que c'est en elle qu'il pourra puiser de quoi alimenter la vie de son esprit. Le tout étant de ne pas la prendre à la lettre. La lettre est morte, comme le démontrera le passage sur l'écriture.

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