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Le Banquet, Analyse

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Message par cedric Ven 8 Mar 2013 - 10:36

Si la vie vaut jamais la peine d'être vécue, cher Socrate, dit l'étrangère de Mantinée, c'est à ce moment où l'homme contemple la beauté en soi. Si tu la vois jamais, que te sembleront auprès d'elle l'or, la parure, les beaux enfants et les jeunes gens dont la vue te trouble aujourd'hui, toi et bien d'autres, à ce point que, pour voir vos bien-aimés et vivre avec eux sans les quitter, si c'était possible, vous consentiriez à vous priver de boire et de manger, sans autre désir que de les regarder et de rester à leurs côtés ? Songe donc, ajouta-t-elle, quel bonheur ce serait pour un homme s'il pouvait voir le beau lui-même, simple, pur, sans mélange, et contempler, au lieu d'une beauté chargée de chairs, de couleurs et de cent autres superfluités périssables, la beauté divine elle-même sous sa forme unique. Penses-tu que ce soit une vie banale que celle d'un homme qui, élevant ses regards là-haut, contemple la beauté avec l'organe approprié et vit dans son commerce ? Ne crois-tu pas, ajouta-t-elle, qu'en voyant ainsi le beau avec l'organe par lequel il est visible, il sera le seul qui puisse engendrer non des fantômes de vertu, puisqu'il ne s'attache pas à un fantôme, mais des vertus véritables, puisqu'il saisit la vérité ? Or c'est à celui qui enfante et nourrit la vertu véritable qu'il appartient d'être chéri des dieux et, si jamais homme devient immortel, de le devenir lui-aussi. »
Voilà, Phèdre et vous tous qui m'écoutez, ce que m'a dit Diotime. Elle m'a persuadé et, à mon tour, j'essaie de persuader aux autres que, pour acquérir un tel bien, la nature humaine trouverait difficilement un meilleur auxiliaire que l' Amour. Voilà pourquoi je proclame que tout homme doit honorer l' Amour, pourquoi je l'honore moi-même et m'adonne particulièrement à son culte ; pourquoi je le recommande aux autres, pourquoi maintenant, comme toujours, le loue la puissance et la virilité de l' Amour, autant que j'en suis capable. Tu peux voir, si tu veux, Phèdre, dans ce discours un éloge de l' Amour ; sinon donne-lui tel nom qu'il te plaira. »

( p.81-82 )


La beauté en soi est contemplée dans un moment, qui représente le "terme" de la dialectique de l'amour
. Le but ultime de la dialectique de l' Amour réside dans ce moment où le philosophe parvient à contempler la beauté, la beauté divine. Il vit alors un ravissement surnaturel qui lui fait considérer les beautés du monde terrestres comme dépourvues d'éclat, de valeur inférieur.

La beauté en soi, que présente la contemplation, possède ces caractéristiques : c'est une beauté d'une nature merveilleuse, éternelle, qui ne connaît ni la naissance ni la mort ( qui se tient donc en dehors du temps, qui n'est pas soumise au temps ), qui reste toujours sembable à elle-même ( qui ne peut souffrir ni accroissement ni diminution, ne peut être ni augmentée ni diminuée ).

Or, cette beauté ne se présente pas comme un visage ( comme une forme anthropomorphique ) ni comme une forme corporelle, ni comme un raisonnement ( on n'y parvient pas par le biais du raisonnement, qui est pourtant l'outil principal du philosophe dans sa recherche de l'opinion vraie ), elle n'est pas une science ni quelque chose qui se trouverait en autrui ( elle n'est pas le fruit de l'altérité ni par conséquent ne saurait tenir dans le dialogue, ou comme un fruit du dialogue ).

La contemplation, degré ultime de la dialectique de l'amour, à ceci de paradoxal pour le philosophe : c'est par son expérience que le philosophe, qui est un medium, touche à l'immortalité et à la Vérité. Or, cette expérience n'est en rien atteignable par la maïeutique, c'est à dire par le raisonnement bien mené, seule arme à laquelle le philosophe s'attache afin de faire accoucher les esprits par le biais du dialogue. Le point important est ceci : la contemplation ne se confond en rien avec la maïeutique ! Par conséquent il convient de bien saisir qu'elle n'en est en rien un fruit logique. La contemplation n'est pas un aboutissement du raisonnement, mais, se situe au delà de tout raisonnement. Au contraire, c'est l'expérience de la contemplation qui va fonder, chez le philosophe, la nécessité du raisonnement pour corriger les opinions fausses en vue de chercher le bien au niveau du monde des hommes.

La contemplation n'est pas une déduction logique, le fruit du raisonnement. Dans la contemplation, le philosophe, d'une certaine manière, n'est plus philosophe, c'est à dire qu'il s'est dépouillé de son arme qu'est le raisonnement logique et déductif. Dans la contemplation, le philosophe, au delà du raisonnement, est mis en présence d'une saisie de la beauté, de la Vérité, de leur réalité. Dans cette expérience ( mystique ), le philosophe, passif, reçoit, réceptionne, regarde ( de manière neutre ) la beauté et la Vérité. Or, cette expérience de la contemplation, est par-là même une expérience Ethique.

On peut donc dire que, d'une certaine manière, la contemplation est l'expérience fondatrice, pour le philosophe de son intuition Ethique. La contemplation, pour le philosophe, est une révelation Ethique. Il me semble que pour comprendre la figure de Socrate, qui est un foncièrement, fondamentalement un « prêtre », un « medium », un « devin », un « voyant », ce point est capital.

Précisément, seul un voyant peut parvenir à cette expérience contemplative au delà du raisonnement et du savoir. Cette expérience n'est pas un savoir, dans le sens humain, mais une mise en présence avec le divin sur le mode de la perception, de la réception, du regard, de la vision.

On peut dire, que, ayant atteint cette expérience de la contemplation, le philosophe va dès lors tout mettre en œuvre afin de susciter, à des degrés divers, l' « expérience » de l' Ethique, de la beauté et du bien, tout du moins il va tout mettre en œuvre afin de faire apparaître son bien fondé. Or, cette expérience, il va tenter de la mener, non par la contemplation qu'il ne possède pas et qu'il a vécu sur le mode de la révélation, mais par le biais de la seule arme qu'il lui est possible d'employer : le raisonnement qui conduit à l'opinion vraie. Ainsi, il va corriger, faire se corriger d'eux-mêmes les raisonnements de ces interlocuteurs qui, possédant du pouvoir, vont dès lors corriger leur manière de gouverner au sein du monde des hommes.

Bref, paradoxalement, c'est une expérience contemplative qui fonde, chez le philosophe, la nécessité d'user du raisonnement logique afin de corriger, plus justement de guider et orienter les hommes vers la conception du bien selon leurs forces, et en vertu de la meilleure gouvernance possible, au niveau individuelle et collective.

Je souligne qu'on a déjà ici tous les éléments du mythe de la caverne, exprimés différemment. Comme si tous les textes de Platon étaient des schémas différemment présentés d'une seule et même chose, d'un seul et même message.

C'est, pour ainsi dire, l'expérience de l'Ethique, une expérience contemplative, qui fonde la nécessité de la philosophie et lui octroie son pouvoir, le pouvoir de son discours, de sa force de persuasion. Et c'est en ce sens que le philosophe est un messager du divin, c'est à dire dont le travail est de sans cesse chercher à faire en sorte que les idées prédominent, au sein du monde des hommes, sur la déraison de leur penchants naturels.


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Message par Bergame Dim 10 Mar 2013 - 19:28

cedric a écrit:
Par conséquent il convient de bien saisir qu'elle n'en est en rien un fruit logique. La contemplation n'est pas un aboutissement du raisonnement, mais, se situe au delà de tout raisonnement. Au contraire, c'est l'expérience de la contemplation qui va fonder, chez le philosophe, la nécessité du raisonnement pour corriger les opinions fausses en vue de chercher le bien au niveau du monde des hommes.

La contemplation n'est pas une déduction logique, le fruit du raisonnement. Dans la contemplation, le philosophe, d'une certaine manière, n'est plus philosophe, c'est à dire qu'il s'est dépouillé de son arme qu'est le raisonnement logique et déductif. Dans la contemplation, le philosophe, au delà du raisonnement, est mis en présence d'une saisie de la beauté, de la Vérité, de leur réalité. Dans cette expérience ( mystique ), le philosophe, passif, reçoit, réceptionne, regarde ( de manière neutre ) la beauté et la Vérité. Or, cette expérience de la contemplation, est par-là même une expérience Ethique.

On peut donc dire que, d'une certaine manière, la contemplation est l'expérience fondatrice, pour le philosophe de son intuition Ethique. La contemplation, pour le philosophe, est une révelation Ethique. Il me semble que pour comprendre la figure de Socrate, qui est un foncièrement, fondamentalement un « prêtre », un « medium », un « devin », un « voyant », ce point est capital.

Absolument ! En tous cas, je suis tout à fait d'accord : Socrate est un voyant, un être inspiré. Mais je ne sais même pas comment on peut passer à côté de cela tellement ça me semble évident, et tellement il le répète lui-même. J'avais noté, ailleurs, que Plutarque qualifiait déjà le démon de Socrate de "voix de la raison", et je pense que c'est cette ligne interprétative qui a ensuite été véhiculée par le christianisme jusquà Hegel, jusqu'à Nietzsche, même, dans une version plus critique. Mais bon sang de bonsoir, le fait même que Socrate se réfère à une devineresse, et qu'il rapporte, oralement et in extenso, son enseignement, c'est suffisamment explicite.

Alors quoi ? Est-ce qu'il y a Socrate d'un côté, l'inspiré, sorcier d'un nouveau genre (car c'est aussi un qualificatif qui lui est attribué dans les Dialogues !), et Platon de l'autre, découvreur de la dialectique ? Comme dans le Phèdre où paraissent juxtaposées deux parties très distinctes, l'une mythique et l'autre dialectique ? Je ne crois pas, pas seulement, il y a aussi un trait d'union : Socrate, dans les Dialogues, n'use pas de la dialectique pour atteindre au Vrai -ou au Beau, ou au Bien, etc. Il en use pour écarter les opinions fausses. C'est en cela que Socrate est déroutant, qu'il est comme le poisson-torpille, qu'il laisse dans la perplexité, etc. Il démontre la fausseté des opinions. Mais il ne dit jamais ce qui est vrai, ou bien, ou juste, etc. Et comment le pourrait-il ? Le Vrai n'est pas atteignable par le raisonnement logique, il ne l'est -s'il l'est- que par un autre cheminement, un tout autre cheminement, et un cheminement strictement personnel -c'est là, du moins, la grande leçon des êtres inspirés. Par le raisonnement logique, on n'atteint que le faux. Ce que fait Socrate, précisément, aux individus qu'il interpelle, c'est de leur montrer qu'ils se sont égarés, qu'à un moment donné, ils ont pris une mauvaise voie. Et il les ramène à l'embranchement afin que, d'eux-mêmes, ils retrouvent la bonne voie. C'est tout -et c'est beaucoup, bien sûr. Clairement, c'est le pédagogue par excellence.
Et du coup, pour ma part, je crois Socrate lorsqu'il dit qu'il ne connaît pas les réponses à l'avance. Parce que c'est une critique que lui font ses interlocuteurs, et ce sera aussi une critique de Nietzsche : Tu t'amuses à nous poser des questions dont tu connais déjà les réponses, et ainsi, tu te moques de nous. Derrière la dialectique, il n'y aurait pas autre chose que la libido dominandi. Mais je ne crois pas : Socrate ne sait pas ce que c'est que le Bien, le Vrai, etc. -Platon, peut-être, du moins je crois qu'il le suggère- mais il n'en a pas besoin : Il se contente de refaire le trajet en sens inverse avec son interlocuteur.
D'ailleurs Socrate ne sait rien, ça aussi il le dit. La seule fois où il revendique un savoir, dans les Dialogues, c'est ici, dans le Banquet : Un savoir sur l'Amour.

Dernière chose : Le but de tout cela, c'est l'immortalité, il faut quand même le remarquer. Le postulat de base, c'est que tout homme, comme tout animal, comme tout être vivant, veut accéder à l'immortalité. Tout ce qui vit veut se perpétuer. L'immortalité, ici, ça n'a rien à voir avec une croyance, un arrière-monde, etc. C'est le caractère essentiel de la vie.


Dernière édition par Bergame le Dim 10 Mar 2013 - 19:55, édité 1 fois

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Message par euthyphron Dim 10 Mar 2013 - 19:54

Je ne suis pas d'accord avec certaines formulations. Que Socrate soit le représentant d'une manière non démonstrative d'atteindre le vrai, oui. Platon également d'ailleurs, qui n'est pas un philosophe systématique. Mais ceci n'implique aucun rejet de la raison. Il est vrai, en un sens, que celle-ci n'atteint que le faux, si Bergame tu veux dire par là qu'il n'y a pour la raison de certitude que négative. Mais le faux est précieux.
cedric a écrit:Le point important est ceci : la contemplation ne se confond en rien avec la maïeutique ! Par conséquent il convient de bien saisir qu'elle n'en est en rien un fruit logique. La contemplation n'est pas un aboutissement du raisonnement, mais, se situe au delà de tout raisonnement.
La contemplation n'est pas la maïeutique, mais elle n'est pas non plus l'intuition illuminée du devin ou du poète. Elle est d'ordre cognitif. Et si elle se situe en effet au-delà de tout raisonnement, c'est parce que le terme se trouve au-delà des chemins qui y conduisent. La contemplation est au-delà du sentiment amoureux, exactement de la même façon.
Pour le dire rapidement, on peut parfois voir en Platon un rationaliste, je me demande comment, mais il y en a qui ont lu ça, et donc un ennemi de la vie sensible et frémissante; à l'inverse, on peut voir en lui un amoureux de l'amour, un prophète mystique. On peut aussi distribuer les rôles entre Socrate et lui, au choix. Il me paraît évident qu'il n'y a dans l'oeuvre de Platon aucune opposition de la raison et de l'amour. La démarche rationnelle que constitue la maïeutique est illustrée par une métaphore empruntée à la fécondation, et l'amour est amour du Bien, lequel s'identifie au Vrai. Le soleil que découvre l'évadé de la caverne illumine et réchauffe.

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Message par Bergame Dim 10 Mar 2013 - 20:07

Mais déjà tu présupposes que la maïeutique soit une démarche rationnelle.

Je crois que la question de la raison est vraiment un problème moderne. Quand tu dis : "que Socrate soit le représentant d'une manière non démonstrative d'atteindre le vrai, oui * [...] Mais ceci n'implique aucun rejet de la raison" pour moi, ça sonne comme un anachronisme. "Rejet de la raison", il n'y a que pour nous, Modernes, que cette locution ait un sens. Pourquoi voudrais-tu donc que Socrate rejette la raison, et pourquoi voudrais-tu donc qu'il l'accepte ?
Tiens, question concrète : Qu'est-ce que tu penses traduire par "raison", exactement, dans les Dialogues ? "Logos" ? "Sophrosynè" ? Autre chose ?

* Anecdotiquement, je n'ai pas dit cela du tout. Selon moi, Socrate, dans les Dialogues, n'a pas de connaissance du Vrai -ou du Bien, Juste, etc.- en tous cas, du Vrai tel que, par exemple, Diotime le définit.

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Message par euthyphron Dim 10 Mar 2013 - 21:28

Je suis d'accord, sur l'anachronisme. Quand je dis que la maïeutique est une démarche rationnelle, ce n'est pas pour l'opposer à un mystérieux autre de la raison, c'est uniquement au sens où le moderne, qui, lui, semble savoir précisément ce qu'est la raison, la reconnaîtra comme telle, plus facilement que la contemplation. Mon message n'avait d'autre but que de contester la formulation de cedric, qui semble vouloir opposer maïeutique et contemplation.
Quant à la connaissance socratique, elle est fondamentalement conscience de son ignorance. Mais cette conscience est une connaissance, même si elle ne ressemble pas à la connaissance scientifique.

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Message par cedric Lun 11 Mar 2013 - 10:23

Bergame a écrit:
cedric a écrit:
Par conséquent il convient de bien saisir qu'elle n'en est en rien un fruit logique. La contemplation n'est pas un aboutissement du raisonnement, mais, se situe au delà de tout raisonnement. Au contraire, c'est l'expérience de la contemplation qui va fonder, chez le philosophe, la nécessité du raisonnement pour corriger les opinions fausses en vue de chercher le bien au niveau du monde des hommes.

La contemplation n'est pas une déduction logique, le fruit du raisonnement. Dans la contemplation, le philosophe, d'une certaine manière, n'est plus philosophe, c'est à dire qu'il s'est dépouillé de son arme qu'est le raisonnement logique et déductif. Dans la contemplation, le philosophe, au delà du raisonnement, est mis en présence d'une saisie de la beauté, de la Vérité, de leur réalité. Dans cette expérience ( mystique ), le philosophe, passif, reçoit, réceptionne, regarde ( de manière neutre ) la beauté et la Vérité. Or, cette expérience de la contemplation, est par-là même une expérience Ethique.

On peut donc dire que, d'une certaine manière, la contemplation est l'expérience fondatrice, pour le philosophe de son intuition Ethique. La contemplation, pour le philosophe, est une révelation Ethique. Il me semble que pour comprendre la figure de Socrate, qui est un foncièrement, fondamentalement un « prêtre », un « medium », un « devin », un « voyant », ce point est capital.

Absolument ! En tous cas, je suis tout à fait d'accord : Socrate est un voyant, un être inspiré. Mais je ne sais même pas comment on peut passer à côté de cela tellement ça me semble évident, et tellement il le répète lui-même. J'avais noté, ailleurs, que Plutarque qualifiait déjà le démon de Socrate de "voix de la raison", et je pense que c'est cette ligne interprétative qui a ensuite été véhiculée par le christianisme jusquà Hegel, jusqu'à Nietzsche, même, dans une version plus critique. Mais bon sang de bonsoir, le fait même que Socrate se réfère à une devineresse, et qu'il rapporte, oralement et in extenso, son enseignement, c'est suffisamment explicite.

Alors quoi ? Est-ce qu'il y a Socrate d'un côté, l'inspiré, sorcier d'un nouveau genre (car c'est aussi un qualificatif qui lui est attribué dans les Dialogues !), et Platon de l'autre, découvreur de la dialectique ? Comme dans le Phèdre où paraissent juxtaposées deux parties très distinctes, l'une mythique et l'autre dialectique ? Je ne crois pas, pas seulement, il y a aussi un trait d'union : Socrate, dans les Dialogues, n'use pas de la dialectique pour atteindre au Vrai -ou au Beau, ou au Bien, etc. Il en use pour écarter les opinions fausses. C'est en cela que Socrate est déroutant, qu'il est comme le poisson-torpille, qu'il laisse dans la perplexité, etc. Il démontre la fausseté des opinions. Mais il ne dit jamais ce qui est vrai, ou bien, ou juste, etc. Et comment le pourrait-il ? Le Vrai n'est pas atteignable par le raisonnement logique, il ne l'est -s'il l'est- que par un autre cheminement, un tout autre cheminement, et un cheminement strictement personnel -c'est là, du moins, la grande leçon des êtres inspirés. Par le raisonnement logique, on n'atteint que le faux. Ce que fait Socrate, précisément, aux individus qu'il interpelle, c'est de leur montrer qu'ils se sont égarés, qu'à un moment donné, ils ont pris une mauvaise voie. Et il les ramène à l'embranchement afin que, d'eux-mêmes, ils retrouvent la bonne voie. C'est tout -et c'est beaucoup, bien sûr. Clairement, c'est le pédagogue par excellence.
Et du coup, pour ma part, je crois Socrate lorsqu'il dit qu'il ne connaît pas les réponses à l'avance. Parce que c'est une critique que lui font ses interlocuteurs, et ce sera aussi une critique de Nietzsche : Tu t'amuses à nous poser des questions dont tu connais déjà les réponses, et ainsi, tu te moques de nous. Derrière la dialectique, il n'y aurait pas autre chose que la libido dominandi. Mais je ne crois pas : Socrate ne sait pas ce que c'est que le Bien, le Vrai, etc. -Platon, peut-être, du moins je crois qu'il le suggère- mais il n'en a pas besoin : Il se contente de refaire le trajet en sens inverse avec son interlocuteur.
D'ailleurs Socrate ne sait rien, ça aussi il le dit. La seule fois où il revendique un savoir, dans les Dialogues, c'est ici, dans le Banquet : Un savoir sur l'Amour.

Dernière chose : Le but de tout cela, c'est l'immortalité, il faut quand même le remarquer. Le postulat de base, c'est que tout homme, comme tout animal, comme tout être vivant, veut accéder à l'immortalité. Tout ce qui vit veut se perpétuer. L'immortalité, ici, ça n'a rien à voir avec une croyance, un arrière-monde, etc. C'est le caractère essentiel de la vie.

Rien à ajouter ! Et je suis pour ma part très content de présenter une interprétation que je juge la plus juste possible, de Platon.

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Message par cedric Lun 11 Mar 2013 - 10:24

euthyphron a écrit: Mon message n'avait d'autre but que de contester la formulation de cedric, qui semble vouloir opposer maïeutique et contemplation. .

Bien sûr ! Au sens où tu entends "opposer", ce qui veut dire tout simplement que ce n'est pas la même chose. D'une part on a une expérience, une intuition, une saisie du réelle ( contemplation ), une expérience fondatrice, j'insiste, fondatrice de tout le reste, et d'autre part on a la discussion, dont la seule arme est la logique et qui ne peut que corriger les opinions en vue de s'accorder, par le raisonnement, au bien fondé de l'expérience fondatrice : l' Ethique.

Explique-nous ce que serait la contemplation dans le texte ? Et ce que serait la "maïeutique" ?

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Message par euthyphron Lun 11 Mar 2013 - 12:30

La notion de contemplation fait évidemment difficulté. Je comprends ce que tu dis ainsi, tu me corrigeras si je me méprends.
1) la contemplation est une intuition
2) cette intuition est fondatrice
3) la maïeutique ne vise qu'à suppléer à l'absence de cette intuition
Je ne vois pas là de grossier contresens, bien au contraire, mais il me semble que c'est donner à la pensée de Platon une coloration illuministe, qui ne cadre pas avec la critique qu'il opère de la poésie (critique dont cependant il faut remarquer l'ambivalence).
Mes nuances sont les suivantes.
1) Plutôt que de parler d'intuition, ce qui me paraît anachronique, je préfèrerais traduire (donc infléchir) "contemplation" par "compréhension", en donnant à ce mot le sens le plus fort qu'on puisse lui donner, et qui inclut la jouissance de la vérité.
2) Plutôt que de dire "fondatrice", ce qui laisse entendre qu'elle pourrait venir en premier, je préfère souligner qu'elle est la visée ultime, donc quelque chose dont normalement nous n'avons pas l'expérience, et que nous ne pouvons que pressentir, ce qui fait la difficulté.
3) Quant à la maïeutique, en tant qu'elle est dialectique en exercice, je ne crois pas qu'il faille en limiter la portée. Son nom indique bien qu'elle n'a pas qu'une utilité négative.

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Message par cedric Lun 11 Mar 2013 - 15:05

euthyphron a écrit:La notion de contemplation fait évidemment difficulté. Je comprends ce que tu dis ainsi, tu me corrigeras si je me méprends.
1) la contemplation est une intuition
2) cette intuition est fondatrice
3) la maïeutique ne vise qu'à suppléer à l'absence de cette intuition
Je ne vois pas là de grossier contresens, bien au contraire, mais il me semble que c'est donner à la pensée de Platon une coloration illuministe, qui ne cadre pas avec la critique qu'il opère de la poésie (critique dont cependant il faut remarquer l'ambivalence).
Mes nuances sont les suivantes.
1) Plutôt que de parler d'intuition, ce qui me paraît anachronique, je préfèrerais traduire (donc infléchir) "contemplation" par "compréhension", en donnant à ce mot le sens le plus fort qu'on puisse lui donner, et qui inclut la jouissance de la vérité.
2) Plutôt que de dire "fondatrice", ce qui laisse entendre qu'elle pourrait venir en premier, je préfère souligner qu'elle est la visée ultime, donc quelque chose dont normalement nous n'avons pas l'expérience, et que nous ne pouvons que pressentir, ce qui fait la difficulté.
3) Quant à la maïeutique, en tant qu'elle est dialectique en exercice, je ne crois pas qu'il faille en limiter la portée. Son nom indique bien qu'elle n'a pas qu'une utilité négative.

Je comprends ton propos, mais à mon avis, si les traducteurs traduisent par "contemplation", c'est qu'ils comprennent et conçoivent d'emblée que cette expérience qu'il s'agit de décrire, car c'est bien d'une expérience dont on parle je le souligne et tu ne peux pas ne pas t'y accorder, précisément cette expérience n'est pas le fruit d'un raisonnement, comme l'est une compréhension. Le terme de compréhension n'est pas approprié, clairement, à moins que pour toi il signifie expérience du divin, car c'est de ça dont il s'agit ! Comme le dit Socrate lui-même, appelle ça comme tu veux ! Mais le terme de compréhension est trop dépendant, précisément, du rationalisme au sens large. Non, ce n'est pas approprié. Il s'agit ici d'une expérience de voyant, clairement, lis le texte. Je pense que concernant le 1), ta remarque n'est pas juste. A la limite, on pourrait s'interroger quand à savoir ce qui distingue cette expérience de l'expérience de la tradition mystique chrétienne d'après, ce qui la distingue de la tradition mystique, là c'est intéressant. Mais on n'est pas dans l'ordre ni de la réflexion, ni par conséquent de la "compréhension". Ou alors avec tellement de pincettes qu'il faut justifier.

Pour le 2), il est vrai que Diotime dit elle-même que la contemplation, pour celui qui en est capable, est le résultat, le but ultime, de la dialectique. Tu as raison. Et je fais une interprétation que je peux justifier, d'ailleurs je vais le faire, quand je dis que c'est une expérience fondatrice, en fait je fais une interprétion tout simpelement...logique. Car comment savoir que c'est le but ? Tu vois, pour savoir que c'est le but, il faut l'avoir vécu, donc c'est une expérience fondatrice , qui paradoxalement représente un terme à la dialectique. Mais sans ce terme, la dialectique ne peut avoir aucun sens. Donc oui, cet but ultime est bien ce qui donne un sens à tout le reste.

La maïeutique ne peut pas inclure son but ultime, ce n'est pas possible. Elle est cantonné à la correction d'opinion, son arme est la logique. La contemplation n'est plus de l'ordre du raisonnement, c'est dans le texte, par conséquent, la contemplation, et je pense que ce terme est utilisé à juste titre par les traducteurs, et je ne suis pas d'accord avec Monique Dixsaut si elle dit que cette "interprétation" est chrétienne, non, c'est plutôt son interprétation à elle qui est pré-socratique. D'ailleurs, il me semble que le christianisme a été beaucoup influencé par la figure de Socrate. Et d'ailleurs je m'intéresse à étudier un rapprochement entre Socrate et Jesus, afin de voir les différences, qui à mon avis seront au niveau de la notion de "foi", qui n'est pas présente dans la philosophie grecque, ni chez Socrate. Il ne parle pas de foi, c'est autre chose, c'est un autre monde.

Donc, ce que j'en pense, c'est que c'est surtout les mentalités imprégnés de christianisme qui ont peur de faire une interprétation "chrétienne", néo-chrétienne de Socrate. Pour moi le texte est assez explicite, et, n'étant pas chrétien, je n'ai pas ce genre de problème. Et j'ajoute que sur ce point précis de la relation entre Socrate et Jesus, comme symboles, figures, Nietzsche a raison de penser la figure de Socrate comme une sorte de lien vers le christianisme et la divinité unique. Mais pour ma part, je m'en tiens là avec Nietzsche, et je ne partage pas toute son analyse suivante qui représente une critique de Socrate qu'il critique précisément en le désarmant et le réarmant à sa guise, c'est à dire en le re-façonnant - comme un poète tiens Wink


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Message par cedric Lun 11 Mar 2013 - 15:58

euthyphron a écrit:
2) Plutôt que de dire "fondatrice", ce qui laisse entendre qu'elle pourrait venir en premier, je préfère souligner qu'elle est la visée ultime, donc quelque chose dont normalement nous n'avons pas l'expérience, et que nous ne pouvons que pressentir, ce qui fait la difficulté.

Ceci dit admettons, littéralement on peut dire que c'est une expérience dernière que l'on ne peut que pressentir. Alors il faudrait dire que Diotime ( qui est une prêtresse ) a ensorcelé Socrate, qui depuis court après cette expérience avec un simple "pressentiment" de sa réalité.

Mais bon, Diotime est le maître de Socrate, ce qui veut dire que son savoir a été partagé, y compris cette expérience. Platon ne peut pas vouloir dire autre chose, dès lors qu'il présente lui-même Socrate comme un maître qui, à son tour, parle au nom de Diotime à laquelle il doit son "savoir".

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Message par euthyphron Lun 11 Mar 2013 - 17:43

La comparaison avec le mysticisme chrétien peut en effet être éclairante. Le point commun, c'est que la mystique y est envisagée comme un mode de connaissance. Or, qui dit mystique dit une certaine reconnaissance d'un ineffable. Quand j'évoque la compréhension comme l'un des moins mauvais équivalents de la contemplation, je ne présuppose donc pas que toute compréhension soit la saisie parfaite d'un discours univoque. Il est très clair que nous ne sommes pas dans une ambiance scientifique. Il ne s'agit certes pas de fonder la certitude.
Mais intéressons-nous aux différences. Le mysticisme chrétien est tout entier fondé sur l'amour, et passe par l'identification à la personne du Christ. Il n'est pas donc la même chose que la contemplation des essences. Si Socrate peut jouer le rôle d'un initiateur après avoir lui-même été initié, il n'est pas le modèle unique, et s'il faut l'imiter, c'est dans la pratique de la dialectique, qu'il lègue d'ailleurs à ses disciples en guise d'eucharistie.
On pourrait reformuler la différence entre mystique chrétienne et mystique platonicienne ainsi : la première demande de donner sa vie par amour pour trouver la vraie vie, la seconde demande de libérer son intelligence par la soumission au réel. Cela n'exclut pas des passerelles. Mais le rôle de l'intelligence me paraît essentiel chez Platon, et que cette intelligence ne soit pas pensée sur le modèle de la capacité à produire des démonstrations fait la différence avec cette fois Aristote et peut-être la suite de l'histoire de la philosophie.

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Message par cedric Lun 11 Mar 2013 - 18:05

euthyphron a écrit:La comparaison avec le mysticisme chrétien peut en effet être éclairante. Le point commun, c'est que la mystique y est envisagée comme un mode de connaissance. Or, qui dit mystique dit une certaine reconnaissance d'un ineffable. Quand j'évoque la compréhension comme l'un des moins mauvais équivalents de la contemplation, je ne présuppose donc pas que toute compréhension soit la saisie parfaite d'un discours univoque. Il est très clair que nous ne sommes pas dans une ambiance scientifique. Il ne s'agit certes pas de fonder la certitude.
Mais intéressons-nous aux différences. Le mysticisme chrétien est tout entier fondé sur l'amour, et passe par l'identification à la personne du Christ. Il n'est pas donc la même chose que la contemplation des essences. Si Socrate peut jouer le rôle d'un initiateur après avoir lui-même été initié, il n'est pas le modèle unique, et s'il faut l'imiter, c'est dans la pratique de la dialectique, qu'il lègue d'ailleurs à ses disciples en guise d'eucharistie.
On pourrait reformuler la différence entre mystique chrétienne et mystique platonicienne ainsi : la première demande de donner sa vie par amour pour trouver la vraie vie, la seconde demande de libérer son intelligence par la soumission au réel. Cela n'exclut pas des passerelles. Mais le rôle de l'intelligence me paraît essentiel chez Platon, et que cette intelligence ne soit pas pensée sur le modèle de la capacité à produire des démonstrations fait la différence avec cette fois Aristote et peut-être la suite de l'histoire de la philosophie.

Je pense également que la différence avec le christianisme, d'après ce que j'en connais - assez peu - réside, sans doute moins dans l'expérience du divin ( sous forme d'idées pour Platon, de vertus qui toutes se regroupent sous celle du bien, du beau ; sous forme de ? pour les chrétiens ) que dans la manière dont cette expérience est soutenue au sein du monde de tous les jours. Pour Socrate, cette expérience est soutenue, ou visée je te l'accorde - mais ce point est ambivalent - par l'usage de la dialectique et du raisonnement : c'est précisément là que se loge la philosophie, qui pour le coup peut revendiquer le statut de "science humaine", car la logique est un outil réel, une fois que l'on s'accorde aux prémisses, ce qui est possible. Or, pour le christianisme, tout va se loger, non plus dans une dialectique logique, mais dans le lâcher prise de la foi. Or, précisément, ce qui est intéressant avec la philosophie, c'est que nous n'avons pas forcément besoin de la fois. On arrive à l' Ethique, même par le raisonnement et la logique, bien menée. Cependant, Socrate souligne bien, Diotime la prêtresse montre que, l' Ethique est aussi de l'ordre du surnaturel et du monde du divin, mais à la limite, on peut y arriver sans en faire l'expérience : et c'est là le génie de la philosophie de Socrate, qui pour ainsi dire est "démocratique": d'une certaine manière, tous les chemins, bien pris, y mènent.

Je ne parlerais pas de soumission au réel, le terme de soumission me paraît trop "stoïcien compris négativement" ici, mais d'adéquation avec l'ordre du réel et le fait que ce sont les idées qui gouvernent les penchants, de l'adéquation avec la hiérarchie de la réalité, d'une mise en adéquation de ce que l'on est au niveau individuel avec ce qui est, au niveau de la pré-éminence des vertus.

Oui je suis d'accord, le rôle de l'intelligence, manifesté par la dialectique, est essentiel.




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Message par Invité Mar 12 Mar 2013 - 11:01

Socrate (Platon via Socrate) n'a rien d'un inspiré (certains ont même voulu en faire un chamane, ce que Hadot critique vertement), c'est un rationaliste qui croit atteindre l'absolu par la pensée. Kant fera le ménage sur cette prétention, qui pouvait bien passer à l'époque pour extraordinaire, conférer un pouvoir proche de la divination, mais qui avait surtout l'avantage d'être reproductible et accessible à tous ceux qui voudraient s'en donner la peine, qui n'était plus le seul fait des devins et autres poètes, qui plus est des charlatans qui parlaient de choses qu'ils ne connaissaient pas (le beau, le bien, l'amour...). Le christianisme au contraire va remettre de l'obscurité là où Platon avait mis de la lumière, en bon Grec. Puisqu'on parle de Spinoza (tout est en tout, n'est-ce pas ?), on peut voir effectivement dans sa démarche mathématique vers la béatitude un exemple de ce rêve platonicien de la raison.

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Message par cedric Mar 12 Mar 2013 - 11:30

philo a écrit:Socrate (Platon via Socrate) n'a rien d'un inspiré (certains ont même voulu en faire un chamane, ce que Hadot critique vertement), c'est un rationaliste qui croit atteindre l'absolu par la pensée.

Allez je vais être sympa : lis le texte !

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Message par Invité Mar 12 Mar 2013 - 14:49

A aucun moment, Socrate n'est un inspiré (ni Platon). On a même l'exemple du Ion où il se moque ouvertement des rhapsodes. Il en est même arrivé à envoyer un ami demander à Delphes qui était le plus sage. S'il avait été un inspiré, il se serait autoproclamé sage, plutôt que d'utiliser cette méthode de seconde main. C'était courant à l'époque, Pythagore était réputé pour ses séjours parmi les dieux, Empédocle aussi. Le philosophe aimait s'éloigner de la cité pour faire croire qu'il séjournait avec les puissances de la terre ou du ciel. Pas Socrate, qui a choisi de philosopher au milieu de la cité, comme les Sophistes. Plus haut, dans le texte que tu cites, il décrit le beau comme quelqu'un de lucide, d'ailleurs, Socrate est toujours lucide, à la fin du Banquet, on le voit en pleine forme alors que les autres ont subi la loi du vin et de la fatigue, parce que Platon veut nous montrer qu'il est au-dessus de tous de par la force de son âme. On ne verra pas Socrate s'agiter comme un pantin désarticulé à la façon de la Pythie et proférant des paroles incompréhensibles. Le génie de Platon, je le répète, est d'avoir montré aux autres qu'on pouvait atteindre le divin par la seule pensée rationnelle, d'avoir démocratisé tout ce qui était contenu dans les Mystères (encore qu'il fallait en passer par ses cours ésotériques pour avoir la connaissance totale). Aristote va s'opposer à cette façon de philosopher.

Lire au sujet d'un prétendu chamanisme de Socrate, Hadot, Qu'est-ce que la philosophie antique ?, pages 280 à 289, qui démonte de façon très convaincante l'idée d'un Socrate "inspiré".

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Message par Bergame Mar 12 Mar 2013 - 15:09

C'est une lecture superficielle. Faut-il te rappeler qui le déclare sage ? Relis l'Apologie avec un oeil neuf, tu verras à quel point Socrate "règle son comportement sur le dieu". Quant au Ion, je crois qu'il faut bien comprendre ce que Socrate critique et ce qu'il loue. Que Ion soit un rhapsode et non pas exactement un poète -au sens étroit du terme- n'est pas, à mon avis, sans importance : Le rhapsode répète ce que le poète a écrit, lui-même inspiré par le dieu. Dans cette chaine d'inspiration dont le dernier élément est le public, le rhapsode n'est pas directement inspiré par le dieu, mais par le poète -même si, dans le cas d'Ion, il s'agit de Homère, ce qui n'est pas rien. Enfin, le rhapsode répète, quoi. Alors certes, il ne fait pas que répéter, il anime le discours, il lui donne de la vie, mais il est quand même à quelques degrés du dieu.

C'est ainsi qu'il faut comprendre "inspiré", pas comme un antonyme de "lucide". Le fait que Socrate soit inspiré n'empêche aucunement qu'il soit lucide, je dirais même : Au contraire.
Et puis en même temps, il faut faire attention, le commerce avec les dieux est un commerce difficile et risqué, l'Euthyphron et le Second Alcibiade au moins en témoignent.

Mais encore une fois, nous sommes tributaires d'une culture chrétienne puis moderne qui fait sans doute partiellement obstacle à notre compréhension du texte. Nous avons développé un concept, la raison, auquel nous identifions quasiment notre culture, sans que ce terme n'ait un clair référent empirique, et qui fonctionne plutôt comme un immense réservoir connotatif.
Moi je veux bien que "raison" soit autre chose qu'un concept normatif, mais alors il faut me dire ce qu'il désigne. Toi, tu le peux ?


Dernière édition par Bergame le Mar 12 Mar 2013 - 15:35, édité 1 fois

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Message par Invité Mar 12 Mar 2013 - 15:28

Bergame a écrit:Mais encore une fois, nous sommes tributaires d'une culture chrétienne puis moderne qui fait sans doute partiellement obstacle à notre compréhension du texte.
Je ne le pense pas. Je crois plutôt qu'on a fait de Platon, jusqu'aux premiers chrétiens, et déjà chez Diogène Laerce, un saint, qui faut-il le rappeler, est né d'une femme vierge. Socrate (et Platon) sont très proches des sophistes dans leur manière de penser (usage systématique de la dialectique), et très éloignés des présocratiques, ce pour quoi, je donne raison à la vulgate qui veut que les présocratiques, pourtant pour plusieurs contemporains de Socrate, soient placés avant lui (même s'ils devraient être davantage considérés). La naissance de la "raison" en philosophie se produit au moment où, en Grèce, le logos l'emporte définitivement sur le mythe. D'ailleurs, tout philosophe qui use de la poésie, du style, du moi subjectif, est suspect encore aujourd'hui. Par exemple, Nietzsche, on se demande souvent s'il était un vrai philosophe, de même Montaigne.

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Message par Bergame Mar 12 Mar 2013 - 15:38

Ca n'est suspect que pour les rationalistes :)

Tu dis que la naissance de la "raison" en philosophie se produit au moment où, en Grèce, le logos l'emporte définitivement sur le mythe. Admettons. Mais deux questions :
- Si Socrate est un rationaliste, comment expliques-tu qu'il fasse usage du mythe ? Ou bien même question pour Platon, si tu préfères.
- Qu'est-ce que le logos ?

Par ailleurs, je trouve que tu vas vraiment vite en besogne, il ne suffit pas de citer un auteur. La "démonstration" de Hadot est assez succincte, elle porte essentiellement sur la question de savoir si Socrate maitrisait les techniques de contrôle du souffle. Ce n'est pas de cela que nous parlons ici.

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Message par Invité Mar 12 Mar 2013 - 15:52

Bergame a écrit:Si Socrate est un rationaliste, comment expliques-tu qu'il fasse usage du mythe ? Ou bien même question pour Platon, si tu préfères.
Oui, plutôt pour Platon. Platon n'utilise pas des mythes, mais des allégories destinées à l'enseignement. C'est un procédé tout à fait classique en rhétorique. On peut dire que ces allégories sont la forme exotérique de sa philosophie, à destination des gens les plus simples (de même d'ailleurs que la dialectique, très pédagogique), tandis que l'enseignement ésotérique était à base de mathématiques (de chiffres).

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Message par Bergame Mar 12 Mar 2013 - 16:06

Pourtant, Socrate dit bien, dans les Dialogues, qu'il prononce des mythoï, et non des "allégories".

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Message par Invité Mar 12 Mar 2013 - 16:13

Que l'on traduit en français par Allégorie (de la Caverne), et non Mythe, pour bien différencier ce genre d'histoires des mythes, parce que les mythes grecs traditionnels n'ont rien à voir avec les récits de Platon.

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Message par Bergame Mar 12 Mar 2013 - 16:55

philo a écrit:Que l'on traduit en français par Allégorie (de la Caverne), et non Mythe, pour bien différencier ce genre d'histoires des mythes, parce que les mythes grecs traditionnels n'ont rien à voir avec les récits de Platon.
D'abord, tout le monde ne traduit pas "mythos" par "allégorie" en français. Ensuite, il n'y a pas que le mythe de la Caverne dans l'oeuvre de Platon, il y en a bien d'autres, tu dois le savoir, et je n'ai jamais lu personne parler de "l'Allégorie d'Er le Pamphylien". Enfin, qu'appelles-tu les mythes traditionnels ? Est-ce que par exemple tu classerais les mythes pythagoriciens dans cette catégorie ?
Accessoirement, si tu reconnais que Socrate dit bien prononcer des mythoï, alors il faut constater que la distinction entre "mythe" et "allégorie" est moderne.

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Message par euthyphron Mar 12 Mar 2013 - 17:15

Sur ce sujet aussi, le Phèdre réserve une belle surprise, en 229b-229c. Passant près de l'autel de Borée, Phèdre demande à Socrate s'il faut croire que ce mythe est vrai. Et Socrate répond en "envoyant promener" un mode d'interprétation que nous, modernes, appellerions facilement rationnel, qui recherche quels phénomènes naturels ont pu donner naissance aux mythes.
Platon, via Socrate a écrit:Si on est sceptique et si on veut ramener chacun de ces êtres à la vraisemblance, et cela en faisant usage de je ne sais quelle science grossière (l'exégèse naturaliste), la chose demandera beaucoup de loisir. Or, je n'ai aucun loisir à consacrer à ce genre d'exercice, et en voici la raison, mon ami. Je ne suis pas encore capable, comme le demande l'inscription de Delphes, de me connaître moi-même; dès lors, je trouve qu'il serait ridicule de me lancer, moi, à qui fait encore défaut cette connaissance, dans l'examen de ce qui m'est étranger. Voilà donc pourquoi je dis "au revoir" à cet exercice, m'en reportant sur le sujet à la tradition.
Ici, l'ironie socratique prend clairement parti en faveur des mythes, même si bien entendu il y a un fossé entre s'en tenir à la tradition et croire littéralement aux mythes.

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Message par Invité Mar 12 Mar 2013 - 18:40

Bergame a écrit:Accessoirement, si tu reconnais que Socrate dit bien prononcer des mythoï, alors il faut constater que la distinction entre "mythe" et "allégorie" est moderne.
Peu importe la modernité, il suffit de comparer les mythes platoniciens, écrits par Platon, dans le but d'expliquer ses idées de façon imagée, une façon de vulgariser sa pensée (la grande pensée ésotérique étant dispensée sous forme de chiffres), et par exemple, les mythes homériques, dont la source est inconnue, qui ont été transmis par la tradition populaire orale, et qui fondent la vie des Grecs. Pareil pour les philosophes présocratiques, leur mythologie n'a rien à voir avec celle d'Hésiode. Comparer la Cosmogonie d'Hésiode, qui relate des traditions, avec le mythe d'Empédocle, créé pour exposer sa propre philosophie :

Connais premièrement la quadruple racine
De toutes choses : Zeus aux feux lumineux,
Héra mère de vie, et puis Aidônéus,
Nestis enfin, aux pleurs dont les mortels s'abreuvent.
Il parle des 4 éléments.

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Message par Bergame Mar 12 Mar 2013 - 22:23

Ben oui mais tu vois, ses mythes, Platon ne les a pas écrit lui-même, a priori il les a achetés à ce qui restait de la secte pythagoricienne.

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