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Digression (notion)

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Digression (notion) Empty Digression (notion)

Message par lekhan Mar 12 Fév 2008 - 0:40

J'ouvre ce sujet avec pour objectif de créer un projet commun, ou chacun apportera sa contribution sur la notion de digression.
En effet si dans son sens premier la digression est un : Hors-sujet, propos étranger au sujet général d'un discours, d'un débat, d'un écrit. Développement plus ou moins long qui s'éloigne du sujet initial.
Elle n'en demeure pas moins un procédé d'écriture, de raisonnement et de réflexion.

De fait, chacun apportera ses exemples, son argumentation au sujet de la digression comme moyen, outil, procédé de construction.

Je commencerai par prendre l'exemple type, du personnage de Louis-René des Forêts dans Le Bavard . Le Bavard est un roman, ou le narrateur n'a pas d'autre propos que la digression.
Le roman commence ainsi:

Je me regarde souvent dans la glace. Mon plus grand désir a toujours été de me découvrir quelque chose de pathétique dans le regard. Je crois que je n'ai jamais cessé de préférer aux femmes qui, soit par aveuglement amoureux, soit pour me retenir prés d'elles, inventaient que j'étais vraiment bel homme ou que j'avais des traits énergiques, celles qui me disaient presque tout bas, avec une sorte de retenue craintive, que je n'étais pas tout à fait comme les autres. En effet, je me suis longtemps persuadé que ce qu'il devait y avoir en moi de plus attirant, c'était la singularité. C'est dans le sentiment de ma différence que j'ai trouvé mes principaux sujets d'exaltation. Mais aujourd'hui où j'ai perdu quelque peu de ma suffisance, comment me cacher que je ne me distingue en rien? Je fais la grimace en écrivant ceci. Que je connaisse enfin une aussi intolérable vérité, passe encore, mais vous autres! À vrai dire, il se glisse dans ma gêne ce léger sentiment de plaisir acide qu'on éprouve à proclamer une de ses tares, même si celle-ci n'a pas la moindre chance d'intéresser le public. [...] Ce n'est donc pas pour le plaisir de vous entretenir que j'ai pris la plume, ce n'est pas non plus pour mettre en vedette mes dons littéraires. Là, je suis contraint d'ouvrir une parenthèse, mais vous dû éprouver vous mêmes que sitôt que vous tentez de vous expliquer avec franchise, vous vous trouvez contraint de faire suivre chacune de vos phrases affirmatives d'une dubitative, ce qui équivaut le plus souvent à nier ce que vous venez d'affirmer, bref, impossible de se débarrasser du scrupule un peu horripilant de ne rien laisser dans l'ombre.

Louis-René Des Forêts in Le Bavard pages 7, 8,9, L'imaginaire Gallimard


Le récit se poursuivra sur ce modèle, de digressions en digressions, de parenthèses en parenthèses. La digression est partie intégrante du processus de création littéraire. On retrouve l'influence du Bavard , et de sa construction dans l'écriture minimaliste du 20ème siècle. Par exemple chez Christian Gailly et « les auteurs de Minuits ».


Le titre Nuage Rouge , je ne l'ai pas inventé, c'est Lucien qui me l'a suggéré, pas directement, pas immédiatement, à l'époque des événements j'ignorais bien sûr que j'allais écrire ce livre, j'ignorais même ce que j'allais écrire, la suggestion dont il est question opéra bien plus tard.

Christian Gailly in Nuage Rouge , page 70, Editions de Minuit, collection double.

On retrouvera des procédés plus ou moins similaire chez d'autres auteurs, comme Claude Simon, ou Tanguy Viel par exemple. La digression est un processus de création dans l'écriture contemporaine et minimaliste, c’est un procédé à part entière. Un procédé revendiqué, une "méthode" d'écriture.

Différemment et pour faire une transition du littéraire vers la philosophie, on trouvera des procédés presque comparable chez Beckett. Les personnages vont de contradictions en contradictions, de digressions en récit.

[...] et la droite [la main] eh bien la droite au bout d'un moment je la vois là-bas au bout de son bras allongé au maximum dans l'axe de sa clavicule si ça peut se dire ou plutôt se faire qui s'ouvre et se referme dans la boue s'ouvre et se referme c'est une autre de mes ressources ce petit geste m'aide je ne sais pas pourquoi j'ai comme ça des petits trucs qui sont d'un bon secours même rasant les murs sous le ciel changeant je devais être malin déjà elle ne doit pas être bien loin d'un mètre à peine mais je la sens loin un jour elle s'en ira toute seule sur ses quatre doigts en comptant le pouce car il en manque un pas le pouce et me quittera je la vois qui jette ses quatre doigts en avant comme des grappins les bouts s'enfoncent tirent et ainsi elle s'éloigne par petits rétablissements horizontaux c'est ce que j'aime m'en aller comme ça par petits bouts et les jambes que font les jambes oh les jambes et les yeux que font les yeux fermés assurément eh bien non puisque soudain là sous la boue je me vois je dis me comme je dis je comme je dirais il parce que ça m'amuse je me donne dans les seize ans et il fait pour comble de bonheur un temps délicieux ciel bleu d'œuf et chevauchée de petits nuages [...]

In L’image page 10-11

On retrouve la construction/déconstruction habituel chez Beckett, les procédés d'exploration du corps et de l'espace, via [ici] l'utilisation de la digression.

La digression est transdisciplinaire. Ainsi on la trouvera chez Bergson comme outil de création, outil à part entière du raisonnement:

[...]Pouvez-vous, sans la dénaturer, raccourcir la durée d'une mélodie? La vie intérieure est cette mélodie même. Donc, à supposer que vous sachiez ce que vous ferez demain, vous ne prévoyez de votre action que sa configuration extérieur; tout effort pour imaginer d'avance l'intérieur occupera une durée, qui d'allongement en allongement, vous conduira jusqu'au moment où l'acte s'accomplit et où il ne peut plus être question de le prévoir. Que sera-ce, si l'action est véritablement libre, c'est à dire créée toute entière, dans son dessin extérieur aussi bien que dans sa corrélation interne, au moment où elle s'accomplit?

Henry Bergson in La Pensée et le Mouvant , page 11, PUF.

Or de son usage littéraire, comme procédé comique, stylistique ou sémantique, la digression est également le moyen d'amener pour le philosophe à un concept.
Bergson ici part de l'idée du dessin de l'action, puis passe par la digression (ici à valeur de métaphore, mais digression quand même) de la mélodie, pour former l'image de son concept.

La digression en dehors de son aspect de rupture peut également s'intégrer comme continuité du discours. Elle est un élément liant. On pourrait la schématiser comme liaison, point de départ et d'arrivé d'un cercle concentrique coupant un cercle plus global et créant un espace autonome, mais lié au récit, à la réflexion.

Schématiquement, l'idée d'une digression est simple, c'est la création par l'énonciateur d'un espace, d'un cercle, d'un moment textuel, d'une structure, permettant de créer une continuité, une résonnance, ou un effet, sur l'espace de l'œuvre ou du raisonnement. L'exemple des atomes qui fusionnent pour créer un nouvel ensemble, autonome (théoriquement) mais lié. La digression doit donc à mon sens être revendiquée comme procédé de création, comme outil de raisonnement.

Re-définition temporaire: (peut être peut on utiliser excursus pour la notion?)

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Message par Vargas Sam 10 Jan 2009 - 1:17

Quelques pistes qui, oh stupeur, ont toutes pour dénominateur commun la naissance de la modernité :

http://www.fabula.org/actualites/article13448.php

http://revel.unice.fr/loxias/document.html?id=1565

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