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L'Ethique de Spinoza et les sciences

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Message par Vanleers Dim 24 Déc 2017 - 15:28

Crosswind a écrit:Lorsque l'on évoque Dieu, on édifie une métaphysique, d'une manière ou d'une autre, autrement dit on avance un absolu. En revanche lorsque l'on construit un pont, on ne fait rien de plus que viser un résultat pragmatique, de sorte qu'il est tout à fait souhaitable d'user des formules les plus adaptées à cette construction, quelle que soit leur portée métaphysique. J'ignore de quoi est absolument fait ce pont, ce que je sais c'est qu'en usant de tel ou tel outil de travail j'obtiendrai un pont solide, suffisamment du moins pour l'usage prévu. Les sciences se gardent bien de déclarer que leurs théories décrivent le réel, tout au plus certains pensent qu'il y a un réel à dépeindre, mais même cela reste sujet à caution.

Essayez de voir les choses plus simplement et de façon pratique.
Une philosophie, et surtout une éthique, n’a d’intérêt que si elle est efficace et pragmatique.
A ce titre, on peut considérer que les axiomes sont des outils et les démonstrations un art d’utiliser les outils.
Je recopie ce que j’ai déjà cité ailleurs sur le forum :

Spinoza écrit dans le Traité de la Réforme de l’Entendement (§ 30-31) :

Spinoza a écrit: Car, pour forger le fer, on a besoin d’un marteau, et pour avoir un marteau, il est nécessaire de le faire, et pour le faire, on a besoin d’un autre marteau et d’autres outils, et pour les avoir, eux aussi, on aura besoin d’autres outils, et ainsi à l’infini ; et il serait vain de s’efforcer de prouver de cette manière que les hommes n’ont aucun pouvoir de forger le fer. Mais, de même que les hommes, au début furent en état de faire avec leurs outils innés certaines choses très faciles, quoique laborieusement et imparfaitement, et, celles-ci faites, en firent avec moins de peine et plus de perfection d’autres plus difficiles, et ainsi, passant graduellement des œuvres les plus simples aux outils, et continuant des outils à d’autres œuvres et outils, en arrivèrent à parfaire sans grand labeur tant de choses et de si difficiles, de même également l’intellect, par sa force native, se fait des outils intellectuels, par lesquels il acquiert d’autres forces pour d’autres œuvres intellectuelles, et de ces œuvres d’autres outils, autrement dit le pouvoir de rechercher plus avant, et il continue ainsi, graduellement, jusqu’à atteindre le comble de la sagesse.

Spinoza met donc sur l’enclume sa définition de Dieu et, à travers les quinze premières propositions de l’Ethique, forge le marteau « idée de Dieu » qu’il utilisera ensuite jusqu’à la fin de l’ouvrage. Pascal Sévérac, qui commente le passage du TRE, écrit :

Pascal Sévérac a écrit: Ainsi l’Ethique, au début de la partie I, à partir d’une petite boîte à outils conceptuels (quelques idées vraies données : des définitions et des axiomes), commence-t-elle par construire l’idée adéquate de Dieu, pour en déduire, parfois avec peine, toutes les conséquences utiles à la conquête de notre béatitude. » (Spinoza, par Pascal Sévérac et Ariel Suhamy p. 77 – Ellipses 2008)

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Message par Vanleers Dim 24 Déc 2017 - 15:49

Crosswind a écrit:
Les axiomes spinoziens ne sont pas des vérités. Ce sont des axiomes, à prendre comme tels, et des axiomes qui usent d'une logique classique, celle d'Aristote, que Bertrand Russel voue aux gémonies tant cette logique, pour reprendre ses propres termes, fut durant près de 2000 ans un obstacle majeur à l'avancée de la connaissance, la logique aristotélicienne fut prise comme point d'aboutissement et non pas comme point de départ. A moins de considérer les logiciens modernes comme de doux amateurs, il faut se méfier de la logique classique dès lors que l'on vise à établir une métaphysique. D'ailleurs, depuis Kant, on a laissé tomber la métaphysique.


J’ai analysé un article de Pierre Macherey La dissociation de la métaphysique et de l’éthique (Russell lecteur de Spinoza) en :

http://www.spinozaetnous.org/forum/viewtopic.php?f=17&t=1567

Je cite le passage suivant :

Pierre Macherey a écrit: La logique sujet-prédicat, celle qu’utiliserait Spinoza et qui l’aurait conduit à une métaphysique erronée selon Russell repose, selon ce dernier, sur :

« […] un « axiome des relations internes » faisant de la relation du tout à ses parties le fondement de la connaissance, et ramenant ainsi la recherche de la vérité aux règles de l’inhérence, qui développent toutes les manières pour un prédicat de se rapporter à un sujet. »

« Russell examinait alors cet axiome des relations internes du point de vue de ses applications et celui de ses prémisses. En ce qui concerne ses présupposés, ceux d’un monisme intégral, l’axiome en question ruine le principe d’identité en posant que tout est dans tout, et en conduisant à affirmer « l’identité dans la différence ». En ce qui concerne ses conséquences, il mène à d’insolubles contradictions, en subordonnant l’existence des termes réunis dans une relation donnée à l’existence de cette relation même, ce qui constitue un véritable cercle vicieux. »

En conséquence :

« C’est donc au nom d’une autre logique que Russell condamne le monisme métaphysique : cette logique s’appuie sur un axiome exactement opposé au précédent, axiome des relations externes, d’abord formulé par Peano et Frege à partir de leurs travaux sur la logique des mathématiques. Cet axiome pose que les propositions, qui sont les objets ultimes de la spéculation logique, sont elles-mêmes indépendantes de la nature des termes entre lesquels elles établissent des rapports et réciproquement. »

P. Macherey donne alors un exemple qui éclaire cela :

« Dans cette perspective, l’énoncé « Tous les hommes sont mortels » doit s’interpréter de la manière suivante : « Pour toutes les valeurs possibles de x, si x est un homme, x est mortel », de manière à substituer au rapport entre un sujet et un prédicat le rapport entre deux fonctions propositionnelles, dont la valeur de vérité  est en elle-même indifférente à la nature des termes auxquels elle est effectivement rapportée : l’énoncé « si x est un homme, x est mortel » étant tout aussi vrai lorsque x n’est pas un homme que lorsqu’il en est un. »

Bien entendu, P. Macherey lave Spinoza de tout soupçon dans la suite de son article.

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Message par hks Dim 24 Déc 2017 - 18:00

Crosswind a écrit:Je respecte cette intuition, j'ai la mienne en propre, mais je ne peux "accepter" entendre qu'une métaphysique se démontre
bon d accord L'Ethique de Spinoza et les sciences - Page 2 2101236583 mais accepterais- tu qu elle se démonte ( démonter). C' est le problème inverse de ta construction d' un pont ... j'ai un pont je le démonte pour voir commet je l' ai construit.
J 'ai une idée de l'absolu,
n 'ai je pas une image puis une image de cette image de l' image ...comment est ce que ça procède ? Sur quel principes ?
Je développe quelque chose qui n' est pas de la métaphysique ( qui ne dit rien sur l' être mais qui dit sur l' activité de l' absolu en tant que je suis actif.

Ce qui est certes plus une phénoménologique qu 'une construction descriptive point par point du contenu systématique d' un "être".

Mais je demande souvent si Spinoza ne décrit pas plutôt ce comment il pense Dieu que Dieu lui même. Il dit très souvent et dès le debut : intelligo ( j' entends par ceci... cela )

La démarche suivie est assez complexe en fait, ainsi quand je lis chantal Jaquet

C. Jaquet : « D’une manière générale, il [Spinoza] opère très souvent une refonte complète de la signification des concepts sous couvert du maintien d’une terminologie, de sorte que le maintien de la lettre va fréquemment de pair avec un changement de l’esprit », in Les expressions de la puissance d’agir chez Spinoza, Paris, Publications de la Sorbonne, 2005, p. 80.
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Message par Crosswind Dim 24 Déc 2017 - 20:36

Merci pour vos échanges très instructifs et constructifs, Vanleers et Hks. Je reviendrai vers vous tous demain ou après-demain, je n'ai plus une minute à moi jusqu'à demain soir (et je serai peut-être trop fatigué que pour répondre clairement à vos propres réponses, ce qui ne serait pas courtois au vu de leur qualité).

Mais pour répondre rapidement à Hks : oui j'accepte volontiers une forme de démontage, mais je pense qu'il faut penser l'inverse : il y a une intuition métaphysique de départ qu'il s'agit de monter rationnellement.

Spinoza n'est pas facile pour une bonne raison, ses défenseurs prétendent (à tort ou à raison) que ses axiomes permettent un déroulement entièrement valide de son système métaphysique. Je ne souhaite pas diminuer Spinoza qui, de plus en plus et à l'instar de Russel, m'est sympathique. Ni moins encore perturber les équilibres personnels de chacun (il est toujours délicat de causer des croyances des personnes). Ainsi Spinoza ne serait pas moniste, ni circulaire, ne peut être jamais pris en défaut, et les explications fournies sont toujours, vis-à-vis des porteurs de ll'"accusation" nébuleuses.

Je tiens donc à comprendre les tenants et aboutissants, tout cela aiguise ma curiosité.

Bonne soirée et à demain !

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Message par Crosswind Mer 27 Déc 2017 - 13:54

Ma réponse s'articulera en deux parties, miroir des deux axes argumentaires qu'emprunte Vanleers.

Avant toute chose, je tiens à m'accorder avec vous, Vanleers, sur la nécessaire ouverture évoquée plus-haut, et que je retranscris en partie ici :
   
Vanleers a écrit: Spinoza met donc sur l’enclume sa définition de Dieu et, à travers les quinze premières propositions de l’Ethique, forge le marteau « idée de Dieu » qu’il utilisera ensuite jusqu’à la fin de l’ouvrage.

Vanleers a écrit:
Essayez de voir les choses plus simplement et de façon pratique.
Une philosophie, et surtout une éthique, n’a d’intérêt que si elle est efficace et pragmatique.
A ce titre, on peut considérer que les axiomes sont des outils et les démonstrations un art d’utiliser les outils.
Je recopie ce que j’ai déjà cité ailleurs sur le forum : [...]

Bien sûr, le "système Spinoza" est extrêmement séduisant. Oui, son système métaphysique accompli est un petit bijou taillé à la perfection. Je vous l'accorde, ses axiomes et définitions tombent sous le sens, suffisamment pour être acceptés au regard du résultat final de sa philosophie. Mieux encore, Spinoza a franchi un pas immense si l'on doit le ramener à son époque. Je vous suis sur tout cela ! Mais ce n'est pas là l'objet de ma propre critique. Je suis une personne qui ne peut construire sans fondement absolument irréprochable. C'est pour cette raison que les approches néo-kantiques ou phénoménologiques me semblent infiniment mieux armées pour amener la pensée, à terme, à édifier des systèmes philosophiques stables. Mais je ne renie point pour autant l'"ambiance Spinoza". Je reconnais à l'Ethique une force et, surtout, une fois imprégné du texte, la reconnaissance d'une philosophie accomplie où tout se tient, où en effet une certaine joie pointe quelque part dans l'esprit du lecteur.

Non, ce que je reproche plutôt à son système et à ses défenseurs, c'est la tendance à affirmer que son système est démontré. Or ce n'est pas vrai. Ceci nous amène donc à...

***************

Traitons à présent l'argument donné par Pascal Sévérac. Autant prévenir d'emblée, Russel conserve pour moi l'avantage de sa critique. Voici pourquoi :

Je place tout d'abord en exergue cette citation, car elle exprime on ne peut mieux le biais qui s'exprime constamment dans l'argumentaire d'une bonne partie des partisans d'une conception démonstrative de la métaphysique spinozienne :

Vanleers a écrit:
Pascal Sévérac a écrit: Ainsi l’Ethique, au début de la partie I, à partir d’une petite boîte à outils conceptuels (quelques idées vraies données : des définitions et des axiomes), commence-t-elle par construire l’idée adéquate de Dieu, pour en déduire, parfois avec peine, toutes les conséquences utiles à la conquête de notre béatitude. » (Spinoza, par Pascal Sévérac et Ariel Suhamy p. 77 – Ellipses 2008)

Où s'exprime clairement l'idée d'un fondement intuitif entièrement vrai traduit par huit définitions et sept axiomes. Se marque là au fer rouge un signe insurpassable, dont la solidité jouera le rôle de garantie à la solidité de l'édifice tout entier. Une critique construite des définitions et des axiomes doit être rendue impossible par les partisans de Spinoza, sous peine de déstabiliser l'immense pile de cubes, ce qui explique au demeurant la teneur de ce fil : montrer que même la science ne peut les réfuter.

Mais après avoir subrepticement évoqué l'évidente vérité, somme toute tellement évidente qu'il n'est pas souhaitable d'y réfléchir plus avant, voici que Pascal Sévérac enchaîne et entraîne le lecteur à considérer que "l'indécidabilité rationnelle d'un Être absolument infini" invoquée par Russel n'est pas seulement une idée qui sort de l'évidence mais bien d'une démonstration. Avant de poursuivre, notons tout de même le côté cocasse de cette situation : on part de l'aveu rapide et discret de l'établissement d'une vérité de départ pour, ensuite, avancer avec force l'argument d'une démonstration en retour de cette vérité de départ.

Pascal Sévérac a écrit:
Toutefois Russell doit aussi prendre en compte le fait que les thèses « idéalistes » auxquelles il ramène la doctrine de Spinoza ne font pas chez celui-ci l’objet d’une simple affirmation relevant de la connaissance immédiate ou intuitive, mais sont accompagnées d’une justification rationnelle qui, formellement du moins, en établit la nécessité […] »

Où se lit bien ici que la thèse de Spinoza ne fait pas appel à l'intuition mais à la raison, l'exception manifeste des quinze vérités de départ étant passée sous le tapis.

Venons-en maintenant au coeur de l'argument de Russel, qui en réalité ne fait que traduire sous forme logique toute la vulgate du genre idéalisme transcendantal : l'indécidabilité de la métaphysique.

Pour la clarté de l'exposé, je distinguerai les trois parties suivantes :

(1) L'axiomatique et les définitions.
(2) Les démonstrations, explications, scolies et autres corollaires.
(3) Le système accompli.

(3) est auto-consistant, pratiquement imperméable à la critique en tant que système complet, (2) est rigoureux et pratiquement impossible à mettre en défaut si l'on s'en tient à sa méthode. Enfin le point (1) sera plus indirectement impliqué par la critique du point (2). Il est important à ce stade de bien comprendre que Russel ne critique pas le système accompli (auquel on peut tout à fait adhérer, il ne manque pas d'avantages et de force), mais bien l'"appareil démonstratif" de ce système.
 
Pour aider à comprendre la position de Russel, j'invoque notre bon Wittgenstein :

Wittgenstein a écrit: La logique propositionnelle Lambda Alpha traite de tous les états de choses mutuellement exclusifs rendus possibles par un contexte Alpha donné.

... qui dit par là qu'une logique telle que Spinoza utilise, tant pour intuitivement établir ses 15 vérités de départ que pour construire la démonstration subséquente, dépend structurellement d'un contexte donné. Plus précisément encore, que ce soit dans notre vie de tous les jours, dans nos langages, dans nos sciences humaines ou dures, toute proposition logique obéit à des axiomes de départs qui ne sont pas vrais mais qui posent un contexte de travail. Si une telle posture était difficile à soutenir jusqu'au début du XXème siècle, elle est désormais et toujours plus d'actualité, grâce en soi rendue aux travaux de quelques scientifiques d'exception.

Russel montre donc que Spinoza utilise une logique qui se fonde sur un axiome dit des relations internes et qui s'oppose à celui dit des relations externes. Russel va montrer que l'axiome des relations internes, couplé au monisme supposé de Spinoza, débouche sur des contradictions insurmontables, entre autre en ce qui concerne le principe d'identité, mais aussi en ce qui concerne la circularité entre les choses et leurs relations. Autrement dit, l'axiome des relations internes pose que chaque terme d'une proposition ne peut être saisi indépendamment de sa relation avec d'autres, qu'il se "construit" par l'ensemble des relations avec le tout, de sorte que pour "connaître" la chose il faille "connaître" le tout, et que la chose change sitôt que change le monde. Plus rien ne possède d'identité propre puisque tout est lié à tout. Sans relations, pas d'entités, sans entités pas de relations. C'est le problème de l'oeuf et de la poule et cela pose un immense problème puisque, sans identité, c'est l'ensemble d'une logique propositionnelle naturelle qui est mise à mal... A commencer par les quinze vérités de départ (1), mais aussi les premières articulations logiques contenues dans les Propositions.

Russel propose à la place un axiome qu'il nomme axiome des relations externes, qui se traduit aisément par cet exemple :


Pascal Sévérac a écrit:  "Dans cette perspective, l’énoncé « Tous les hommes sont mortels » doit s’interpréter de la manière suivante : « Pour toutes les valeurs possibles de x, si x est un homme, x est mortel », de manière à substituer au rapport entre un sujet et un prédicat le rapport entre deux fonctions propositionnelles, dont la valeur de vérité est en elle-même indifférente à la nature des termes auxquels elle est effectivement rapportée : l’énoncé « si x est un homme, x est mortel » étant tout aussi vrai lorsque x n’est pas un homme que lorsqu’il en est un. »

Où, cette fois, plutôt qu'invoquer les entités métaphysiques d'une logique propositionnelle naturelle, se glisse une structure neutre dans laquelle n'importe quel phénomène peut s'insérer. Dire que tous les hommes sont mortels, c'est invoquer une ontologie (l'homme et ses caractéristiques), mais énoncer que "pour tout phénomène x, si x n'est pas mortel alors nous ne le nommeront pas homme", c'est établir une règle pragmatique. Pour le dire autrement, on définit nous-mêmes ce que l'on entend par le mot homme : un phénomène suffisamment stable pour pouvoir prétendre au quotidien à l'usage d'un mot spécifique. C'est une vision prudente des choses mais qui a le mérite de ne pas faire intervenir la métaphysique tout en garantissant l'efficacité du langage et des procédures de recherches. Il s'agit, par cet axiome externe, de proposer une structure dans laquelle viendront se loger les phénomènes, cette structure étant plastique, adaptable. Et rien n'est dit sur l'origine des phénomènes.

Bon, quelle est alors la réponse de Sérévac ? Eh bien il affirme surtout que Russel se trompe en considérant, dans son argumentation, la substance spinozienne en tant que sujet de sorte, qu'il puisse s'en servir pour avancer soit un dualisme de type platonicien (entre la nature naturante, la substance, et la nature naturée, le monde visible) soit un monisme où la substance pourrait être "connue" en tant que telle indépendamment de ses affections. En bref Russel, en considérant la substance comme ultime sujet des propositions, se permet d'accuser la philosophie spinozienne de " panthéisme mystique"... Or, nous dit Pascal Sérévac, la substance de Spinoza est tout sauf sujet.

C'est ici que cela devient intéressant. Car si la substance établie en (3) (cf. plus haut) est bel et bien non-sujet, et en cela Sérévac ne se trompe certainement pas, ce n'est pas à ce niveau que Russel plaçait sa critique. Non, Russel critique les points (1) et (2)... Et Sérévac le conteste en invoquant le point (3) ! C'est une différence de taille puisque dans le point (1), dans ces quinze vérités "intuitives", la substance est strictement caractérisée.

Spinoza a écrit: III. – PAR SUBSTANCE, J’ENTENDS CE QUI EST EN SOI ET EST CONÇU PAR SOI, C’EST-A-DIRE CE DONT LE CONCEPT N’A PAS BESOIN DU CONCEPT D’UNE AUTRE CHOSE, DU-QUEL IL DOIVE ÊTRE FORMÉ.
IV. – PAR ATTRIBUT, J’ENTENDS CE QUE L’ENTENDEMENT PERÇOIT DE LA SUBSTANCE COMME CONSTITUANT SON ESSENCE.
V. – PAR MODE, J’ENTENDS LES AFFECTIONS DE LA SUBSTANCE, AUTREMENT DIT CE QUI EST EN AUTRE CHOSE, PAR QUOI IL EST AUSSI CONÇU.
 

Aux yeux de Spinoza, la substance dispose bien de caractéristiques de départ, fussent-elles minimes. Pour bien poser ce fait, je vais citer... Parménide, par Russel :

Russel : Histoire de la philosophie occidentale, p.346 a écrit: (Parménide dit) : L'un [...] Nous ne devons pas lui donner d'attributs mais seulement dire de lui : "Il est" [...]

Voilà exactement comment parler sans caractériser autrement que par l'être. L'un ne peut être attribué, prédiqué, caractérisé : "Il est", c'est tout. Ainsi présenté, l'Un ne porte pas beaucoup plus loin que le simple constat d'existence, certes, mais il est in-prédiqué, complètement, totalement. Tout le contraire de la Substance spinozienne. Et s'il pouvait encore subsister un doute, ce sont les premières Propositions elles-mêmes qui nous fourniront les légumes pour la soupe, car les dix premières au moins se servent pleinement des caractéristiques de la substance et des relations pour établir leur existence et leur validité, jusqu'à montrer la nécessité de Dieu. Par exemple, la Proposition II est une évidence de la définition 3 (c-à-d d'une caractérisation déterminée du terme substance), soit une évidence d'une évidence. Et ainsi de suite jusqu'à la proposition VI où une étape importante est franchi, où d'une suite d'évidences s'ensuit une "démonstration" de la nécessaire existence de la substance, puis à son infinité, puis enfin en guise d'apothéose à la Proposition XI, la nécessaire existence de Dieu.

Ce n'est que bien plus tard que le système accompli pourra prétendre à une substance non-sujet, voire non-moniste. Mais Russel ne part pas de l'aboutissement des démonstrations mais bien de leur point de départ, ce que Sérévac se garde bien de montrer.

Par conséquent, la critique de Russel conserve pleinement sa force, et montre bien qu'une démonstration transcendante d'une métaphysique, quelle qu'elle soit, est illusoire et logiquement intenable (on ne parle que de la démonstration, pas de la foi en une métaphysique, ou dans son caractère esthétique).
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Message par Vanleers Mer 27 Déc 2017 - 16:18

Je vais lire progressivement votre long message et vous ferai part, au fur et à mesure, de ce qu’il m’inspire. Cela prendra un certain temps.

1) Qu'attendre de l’Ethique ?

On répondra : nous conduire à la béatitude. Or « la béatitude ne s'atteint pas, elle existe déjà de toute éternité » comme le rappelle Henrique Diaz (sur le fil Science intuitive et biodanza).
Dès lors, ce qu’on demande à la philosophie de Spinoza c’est, principalement, de faire tomber les obstacles qui empêchent d’en prendre conscience.
En somme, ce qu’on demande à l’Ethique c’est d’être un bon décapant et non pas une construction au « fondement absolument irréprochable », comme vous le souhaitez.
La béatitude étant déjà là, ne nous compliquons pas inutilement la vie. Clément Rosset a bien vu ce point :

Clément Rosset a écrit: Mais l’intérêt principal d’une vérité philosophique consiste en sa vertu négative, je veux dire sa puissance de chasser des idées beaucoup plus fausses que la vérité qu’elle énonce a contrario. Vertu critique qui, si elle n’énonce par elle-même aucune vérité claire, parvient du moins à dénoncer un grand nombre d’idées tenues abusivement pour vraies et évidentes. Il en va un peu de la qualité des vérités philosophiques comme de celle des éponges qu’on utilise au tableau noir et auxquelles on ne demande rien d’autre que de réussir à bien effacer. En d’autres termes, une vérité philosophique est d’ordre hygiénique : elle ne procure aucune certitude mais protège l’organisme mental contre l’ensemble des germes porteurs d’illusion et de folie. (Le principe de cruauté – Minuit 1988.p. 37)

A suivre

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Message par Vanleers Mer 27 Déc 2017 - 17:22

Crosswind a écrit:

Où s'exprime clairement l'idée d'un fondement intuitif entièrement vrai traduit par huit définitions et sept axiomes. Se marque là au fer rouge un signe insurpassable, dont la solidité jouera le rôle de garantie à la solidité de l'édifice tout entier. Une critique construite des définitions et des axiomes doit être rendue impossible par les partisans de Spinoza, sous peine de déstabiliser l'immense pile de cubes, ce qui explique au demeurant la teneur de ce fil : montrer que même la science ne peut les réfuter.

Mais après avoir subrepticement évoqué l'évidente vérité, somme toute tellement évidente qu'il n'est pas souhaitable d'y réfléchir plus avant, voici que Pascal Sévérac enchaîne et entraîne le lecteur à considérer que "l'indécidabilité rationnelle d'un Être absolument infini" invoquée par Russel n'est pas seulement une idée qui sort de l'évidence mais bien d'une démonstration. Avant de poursuivre, notons tout de même le côté cocasse de cette situation : on part de l'aveu rapide et discret de l'établissement d'une vérité de départ pour, ensuite, avancer avec force l'argument d'une démonstration en retour de cette vérité de départ.

2) Les 8 définitions et les 7 axiomes de la partie I de l’Ethique (notons d’ailleurs que Spinoza n’utilise nulle part l’axiome 2) sont un matériau de départ qui va être progressivement élaboré comme l’écrit Pascal Sévérac.
On ne peut donc pas dire que la solidité de ce matériau jouera le rôle de garantie à la solidité de l'édifice tout entier et que tout sortira de ces 15 prémisses : l’Ethique n’est pas un système formel mais informel (la signification des termes joue un rôle dans la déduction)
Il y a quelques années, j’ai vu, au Togo, forger un fer de daba avec une grosse pierre qui jouait le rôle de marteau. Le forgeron aurait pu aussi bien forger un marteau, rejoignant l’exemple donné par Spinoza et cité dans un post précédent.
J’appellerai « démonstration » cette élaboration progressive du matériau initial et il n’y a donc rien de choquant ou de cocasse là-dedans.

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Message par hks Mer 27 Déc 2017 - 18:41

Crosswind a écrit: "Il est", c'est tout. Ainsi présenté, l'Un ne porte pas beaucoup plus loin que le simple constat d'existence, certes, mais il est in-prédiqué, complètement, totalement. Tout le contraire de la Substance spinozienne. Et s'il pouvait encore subsister un doute, ce sont les premières Propositions elles-mêmes qui nous fourniront les légumes pour la soupe, car les dix premières au moins se servent pleinement des caractéristiques de la substance et des relations pour établir leur existence et leur validité, jusqu'à montrer la nécessité de Dieu.

Il me semble que le discours dit "métaphysique" subséquent n'enlève rien au UN Parménidien ... s'il pouvait lui être retiré quoi que ce soit ... et d'ailleurs de Dieu Spinoza dit qu' il ne peut même pas le dire UN.


et montre bien qu'une démonstration transcendante d'une métaphysique, quelle qu'elle soit, est illusoire et logiquement intenable
Bon et que fait- on ?
Parce qu'on a sur les bras:  le monde étendu, le monde de la pensée...  sans compter celui des sensations, des perceptions, le monde des idéalités mathématiques ...que sais-je  et de surcroît intégré dans une temporalité... notre conscience d'une multiplicité d'images immanentes.

Immanentes pas transcendantes .

On a en charge d'expliquer et pas seulement de mettre en proposition logique  à la manière de Russell.

Partant de là la critique a du mal à convaincre.( un peu mais pas vraiment)
1) La critique de la substance comme sujet porte sur une substance qui n'a rien d un sujet (de proposition logique)  
2) La critique sur l' impossibilité de poursuivre porte sur ce qui manifestement se produit à savoir que Spinoza poursuit.

Mais on va dire que Spinoza poursuit en produisant des illusions.
Qu est-ce qu'une illusion pour Russell ?
.................................................................

Et puis Russell était- il si neutre au fond ( c'est juste une esquisse un peu polémique)

le §427 des Principes  "l'Être est ce qui appartient à tout terme concevable, à tout objet possible de pensée, bref, à tout ce qui pourra jamais figurer dans une proposition, vraie ou fausse, et à toutes les propositions elles-mêmes […]. Les nombres, les dieux homériques, les relations, les chimères et les espaces à quatre dimensions ont tous l'Être, car s'ils n'étaient pas d'une façon ou d'une autre des entités, nous ne pourrions faire de proposition portant sur eux, aussi l'Être est-il un attribut général de tout et mentionner quoi que ce soit, c'est montrer que cela est. L'existence, au contraire, est la prérogative de quelques uns seulement des êtres"10.
le passage en gras ouvre la porte  à ...à ce qui tombe sous les 5 sens, pour Russell qui a le réalisme chevillé au corps...et puis ferme la porte. Il ne la laisse donc ouverte que pour des "entitès".

ou bien position métaphysique assumée
.La métaphysique de Russell, et la possibilité de l’analyse, sont directement concernées
par ce principe qui a marqué sa rupture avec l’idéalisme. Dans les P. of M. il a reconnu qu’il
devait à Moore :
... le pluralisme qui considère le monde, tant celui des existants que celui des entités, comme
composé d’un nombre infini d’entités mutuellement indépendantes, et de relations qui sont
fondamentales et irréductibles à des adjectifs de leurs termes ou du tout que ceux-ci constituent.

Exemple de réalisme  chez Russell  
Russell a écrit:« ceux qui sont
d’accord pour considérer la possibilité d’un espace composé de points seront probablement
d’accord pour considérer la possibilité de la matière. »

................................................................................
Mais chez Spinoza  la porte est ouverte  à "attributs" de la substance . Après tout s il faut choir entre l' étendue indivisible et infinie et l' espace composé de point... je  choisis L'Ethique de Spinoza et les sciences - Page 2 2101236583 .
..................................................................................................................
Il faudra m'expliquer comment pourquoi Russell ferme la porte quand son collègue Whitehead sur les mêmes bases logiques la laisse ouverte à une métaphysique originale décomplexée.
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Message par Crosswind Jeu 28 Déc 2017 - 0:19

hks a écrit:Il me semble que le discours dit "métaphysique" subséquent n'enlève rien au UN Parménidien ... s'il pouvait lui être retiré quoi que ce soit ... et d'ailleurs de Dieu Spinoza dit qu' il ne peut même pas le dire UN.

Je ne doute pas qu'il l'ait écrit quelque part. Pour autant sa onzième Proposition caractérise ouvertement la chose qu'il nomme Dieu. Dieu, je le lis, est... (1) une substance constituée (!) (2) d'une infinité (3) d'attributs, substance (4) éternelle et (5) nécessaire. Ce n'est pas rien, surtout si l'on rapporte ce compte-rendu au plat parménidien : l'Un est. Point final. Sa conclusion - à Spinoza - présente certainement un Dieu incaractérisable, ou plutôt surcaractérisé par l'infini tellement humain des possibles, mais toujours issu de Dieu, son immanence s'étendant par définition à nos esprits, et même à l'infini de l'au-delà jamais imaginable, mais les fondements initiaux, ainsi que le développement, use de caractérisations a priori.



hks a écrit: On a en charge d'expliquer et pas seulement de mettre en proposition logique  à la manière de Russell.

Je ne ressens aucune obligation (interne ou externe) quant à trouver une cause à tout. Et si vraiment il en fallait une, l'Un parménidien me conviendrait parfaitement, en ce qu'il joue son rôle de totalité non-caractérisable (il n'est donc pas "tout" ou "infini" ou "substance" ou "essence" ou "principe"), il est le pendant métaphysique du fait conscient. Toute explication totalisante d'une métaphysique donnée doit se fonder sur au moins un axiome, ce qui suffit à disqualifier l'ensemble du discours, à restreindre ses prétentions aux afficionados du contexte donné par l'axiome. Personne n'est jamais venu me garantir le principe de la cause et de l'effet, ni du principe du tiers-exclus, pour prendre ces exemples. L'argument voulant que ces principes soient universels a perdu de sa valeur depuis la mécanique quantique, sans oublier les coups de boutoir de la philosophie critique. Reste, comme le dit très bien Vanleers, l'affinité à un système.

Mais cette affinité se heurte à un paradoxe : le besoin de démonstration d'une thèse qui, en définitive, puisque métaphysique, n'en montre aucune nécessité, seules la foi ou les préférences intuitives prises comme valeur de référence suffisant alors dans ce cas, et largement.


hks a écrit:
1) La critique de la substance comme sujet porte sur une substance qui n'a rien d un sujet (de proposition logique)  
2) La critique sur l' impossibilité de poursuivre porte sur ce qui manifestement se produit à savoir que Spinoza poursuit.

Ton premier point est, je l'espérais du moins, commenté dans ma réponse en long et en large. La substance spinozienne finale, si elle prend les atours d'une chose a-subjective, n'en reste pas moins fondée sur des définitions et des axiomes, qui régissent un développement logique, qui intègrent pleinement la substance en tant que sujet, c'est-à-dire caractérisée. C'est ce que Russel vise : la base et le raisonnement, confronté à la conclusion finale, mais pas la conclusion finale elle-même, inattaquable en droit. Et en cela, à nouveau, je lui donne raison.

Spinoza poursuit, oui, pour des raisons qui lui sont personnelles. Qu'il ait été convaincu de son raisonnement ou qu'il se soit senti obligé d'incorporer une preuve théologique à sa thèse, qui pourra jamais le savoir ? Car enfin, il est parfaitement possible d'adhérer ET à son système métaphysique ET à son Ethique sans pour autant s'incliner devant les démonstrations de la première partie.

hks a écrit:Et puis Russell était- il si neutre au fond [...]

Certainement pas. Mais cela n'ôte en rien la qualité de sa critique ici. Russel était un indécrottable réaliste, quelque part, tout en sentant bien l'étroitesse du costume.


Dernière édition par Crosswind le Jeu 28 Déc 2017 - 1:03, édité 7 fois
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Message par Crosswind Jeu 28 Déc 2017 - 0:30

Vanleers a écrit:

2) Les 8 définitions et les 7 axiomes de la partie I de l’Ethique (notons d’ailleurs que Spinoza n’utilise nulle part l’axiome 2) sont un matériau de départ qui va être progressivement élaboré comme l’écrit Pascal Sévérac.
On ne peut donc pas dire que la solidité de ce matériau jouera le rôle de garantie à la solidité de l'édifice tout entier et que tout sortira de ces 15 prémisses : l’Ethique n’est pas un système formel mais informel (la signification des termes joue un rôle dans la déduction)
Il y a quelques années, j’ai vu, au Togo, forger un fer de daba avec une grosse pierre qui jouait le rôle de marteau. Le forgeron aurait pu aussi bien forger un marteau, rejoignant l’exemple donné par Spinoza et cité dans un post précédent.
J’appellerai « démonstration » cette élaboration progressive du matériau initial et il n’y a donc rien de choquant ou de cocasse là-dedans.

Si je suis votre pensée, la nécessité de Dieu de la proposition XI devrait être prise au sens relatif et non pas absolu ? Cette nécessité ne serait valable que dans le cadre de l'élaboration par le forgeron d'un outil conceptuel destiné à apporter la plénitude à ceux qui s'en serviraient ? Autrement dit, la visée réelle de ces propositions ne se situerait pas au niveau de la métaphysique mais plutôt à l'étage de nos vécus singulier, en tant que les quinze définitions et axiomes peuvent être considérés comme allant de soi pour une écrasante majorité de personnes ?
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Message par Vanleers Jeu 28 Déc 2017 - 10:59

A Crosswind

Je termine mes remarques sur votre post.

3) Sur le site que j’ai indiqué, Pierre Macherey (et non Sévérac) répond aux critiques de Russell :

Pierre Macherey a écrit: Les prémisses sur lesquelles s’appuie la réfutation de Russell ne sont donc pas acceptables. Spinoza n’a d’aucune manière entrepris de constituer la substance ou la nature comme une sorte de sujet global dont les diverses figures de la réalité ne feraient qu’exploiter les diverses potentialités, en les monnayant à travers les formes successives de la relation sujet-prédicat, celles-ci se déduisant linéairement les unes des autres, et se fondant, si on remonte le mouvement de cette déduction en sens inverse, dans une origine absolue.

J’ajouterai ceci.
L’attribut n’est pas un prédicat et la substance n’est pas un sujet dont l’attribut serait un prédicat. Nous ne sommes pas dans la logique aristotélicienne sujet-prédicat que Russell critique donc à tort lorsqu’il pense la trouver dans l’Ethique.
Pour illustrer ceci concrètement, disons que l’esprit humain connaît l’attribut Pensée et connaît l’attribut Etendue, mais qu’on ne peut pas dire, en toute rigueur, qu’il connaît deux attributs.
D’une part parce que le nombre n’est qu’un auxiliaire de l’imagination, c’est-à-dire d’une connaissance du premier genre, unique cause de fausseté (Ethique II 41)
D’autre part, et ceci est la vraie raison, parce qu’un attribut n’est pas une propriété de la substance mais la substance elle-même. Dire que l’esprit humain connaît deux attributs reviendrait à dire qu’il connaît deux substances.
Cette doctrine est subtile car il faut comprendre que s’il y a des distinctions réelles entre les attributs, il n’y a qu’une distinction de raison entre un attribut de la substance et la substance elle-même.
Pour l’expliquer, Deleuze a eu recours à la notion de distinction formelle : réelle et non numérique de Duns Scot, celui qui fut appelé le Docteur subtil.

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Message par hks Jeu 28 Déc 2017 - 11:55

Crosswind a écrit: Reste, comme le dit très bien Vanleers, l'affinité à un système.
personnellement je n'ai pas d' affinité  à un systéme .
J' ai une affinité avec des intuitions.
Les intuitions ne sont pas logiques. Spinoza a des idées, ce qu'on pourrait lui reprocher c'est d'en avoir .
A la limite c'est le seul reproche qu'on puisse lui faire.

On focalise sur les démonstrations alors que les idées fondamentales ne sont pas démontrables ...

certes  on le reconnait bien ces idées mais elles sont dites axiomes ou postulat alors que ces idées ne sont axiomes et postulats que dans le cadre strict du démonstratif.

Pourtant  il ya un socle qui n'est pas démonstratif les idées  (antérieirement) ne sont pas assimilables à des axiomes et postulats.

L' idée d'éternité par exemple, L 'idée de durée , L idée de mode  ne sont pas le produit d'une démonstration ... vais- je démontrer que j'ai l'idée d'avoir un corps ? que mon corps est affecté...ou que j' ai de la mémoire? etc etc...

On attaque le démonstratif  alors que ce sont les idées dont il faudrait montrer (pas démontrer) qu' elle n' ont pas de sens  pour tel lecteur ( effectivement il y a des lecteurs pour lesquels elles n'ont pas de sens)

La forme démonstrative joue contre Spinoza autant qu'elle l'avantage .
Les lecteurs ne voit plus l'idée ( qu'ils ont ou qu' ils n'ont pas et dans ce cas il est encore plus difficile de la voir )
les lecteurs voient la démonstration (ou ne regarde plus qu' elle).

Pour moi les idées chez Spinoza s' enchaînent ou se lient ou sont liées ( et c'est heureux ) mais pas démonstrativement (contrairement à ce que l'on pense )
(a posteriori elles le sont par le démonstratif mais pas a priori)
à la différence des exposés mathématiques
( ce que Vanleers me reproche d'affirmer )
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Message par Crosswind Jeu 28 Déc 2017 - 17:14

Vanleers a écrit:A Crosswind [...]

Je comprends tout à fait vos propos, mais ils portent sur la finalité du système, sur le système terminé, construit, et non pas sur les axiomes ou les définitions.

Imaginons, et acceptons, que les concepts finaux soient applicables aux 15 prémisses fondatrices, dans ce cas à quoi servirait le développement subséquent ? A rien, puisque ces concepts serviraient à se justifier eux-mêmes, en interne, ce qui serait une véritable tautologie. Si je pose [A, B, C] et quelques relations logiques, aucun raisonnement se fondant sur ces bases ne pourra démontrer les bases elles-mêmes. C'est pourquoi il me semble invraisemblable que Spinoza ait posé ses hypothèses sur cette base. Selon moi, il a dû sincèrement chercher des axiomes courants, sans autre arrière-pensée que la recherche d'une évidence universelle, comme le sont à cette époque les principes de la cause et de l'effet par exemple, pour en tirer logiquement sa métaphysique, qu'il pouvait avoir en tête a priori, ce n'est pas impossible, une métaphysique telle que vous la décrivez dans votre dernière réponse et telle que Macherey pense que rate Russel dans sa critique du déroulé spinozien.

Mais les 15 prémisses ne peuvent jouir du même statut que le système accompli, c'est un pur non-sens, cela ramènerait l'ensemble de son oeuvre à une tautologie sans intérêt !


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Message par Crosswind Jeu 28 Déc 2017 - 17:47

hks a écrit:
On focalise sur les démonstrations alors que les idées fondamentales ne sont pas démontrables ...
[...]

Je partage largement tes remarques, qui centrent le débat vers la philosophie du langage, des modes et divers termes d'expressions et d'échanges.

Mais les écueils de ces eaux sont vicieux, entre relativisme atone ou paradoxal, l'entre-deux se cherchant encore.

Spinoza avait une vision. Une belle vision, au demeurant, qui porte Dieu au pinacle de l'évidence première : la lumière du fait conscient. Son péché fut peut-être de croire qu'il était possible de le démontrer.
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Message par hks Jeu 28 Déc 2017 - 22:59

à Crosswind

 Je pensais cet après midi à comparer avec Nietzsche . Nietzsche qui a une grande puissance de persuasion (voir son succès d'audience) ne démontre rien du tout, jamais. Il y a bien un quelque chose d'antérieur aux démonstrations et qui parle avec une force persuasive.
Chez Spinoza c'est la même chose. Il a des idées qui ont une force persuasive. Il n'est pas toujours dans la forme géométrique,  il écrit dans une forme non géométrique dans les scolies et il persuade tout autant sinon plus ( mais ça c'est selon le lecteur )  
je dis non "géométrique" ce qui ne signifie pas non argumentées.
...........................

Il est évident que Spinoza a des idées, je dirais "toutes faites" par exemple sur la causalité, il est antérieur à Hume.
Sur l' individu et ses parties , sur l'intérieur et l'extérieur...sur le/les corps, et même sur l'étendue et la pensée.
Il a des notions communes ( il en parle) et probablement si communes à son époque qu' il ne les distingue pas comme susceptibles d'être critiquées. Mais nous aussi avons des idées" toutes faites".

Bien sûr que les philosophes présentent dogmatiquement leur vérité, c est naturel (encore que Spinoza fasse preuve  aussi de modestie, parfois)

Ils ne vont pas non plus nous dire à chaque affirmation qu'ils n'en sont pas si certains, ce n'est pas ce qu'on leur demande. L'Ethique de Spinoza et les sciences - Page 2 2101236583
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Message par Crosswind Ven 29 Déc 2017 - 10:25

hks a écrit:[...]

Ils ne vont pas non plus nous dire à chaque affirmation qu'ils n'en sont pas si certains, ce n'est pas ce qu'on leur demande. L'Ethique de Spinoza et les sciences - Page 2 2101236583

C'est pour cette raison que je reste un inconditionnel de l'épistémologie et des philosophies des sciences en général, qui ne cessent de nous mettre en garde sur nos certitudes. Il est amusant de constater que les sciences ont incorporé le doute pour mieux le neutraliser : le doute devient une condition de la science, et non plus un obstacle. Reste à déterminer bien sûr ce sur quoi porte les sciences...

Nous avons tous nos "préjugés", ce qu'en philosophie des sciences est souvent traduit par "langage expérimental" ou "langage contextuel", voire "modèle théorique" et certainement bien d'autres. C'est tout l'intérêt des théories quantiques et relativistes, qui nous forcent en quelque sorte, par l'expérience concrète, à nous rendre compte du caractère dynamique de nos conceptions du monde. Dont le principe de cause et d'effet dont use Spinoza.

Les néo-kantismes entrent dans la catégorie des philosophies qui s'imposent dans un cadre général de prudence, à cette différence de taille par-rapport au kantisme originel, que les catégories sont cette fois, souvent, évolutive et plus restreintes à un cadre spatio-temporel classique.

Mais pour en revenir au sujet, il est certain que les sciences ne peuvent réfuter le système spinozien fini, complet, Dieu s'étant glissé absolument dans le moindre interstice, il prendra toujours "à revers" la moindre échappée qui tendrait à vouloir le heurter de front. Par contre, les sciences peuvent mettre en doute, en difficulté, les 15 axiomes et définitions.
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Message par Vanleers Ven 29 Déc 2017 - 11:28

Crosswind a écrit:
Mais les 15 prémisses ne peuvent jouir du même statut que le système accompli, c'est un pur non-sens, cela ramènerait l'ensemble de son oeuvre à une tautologie sans intérêt !

Si je comprends bien, ce que vous mettez en cause, ce sont les idées au départ de la partie I de l’Ethique (1), ce que vous appelez les 15 prémisses.
Et il est vrai que Spinoza prend le départ, il ne peut en être autrement comme l’écrit Ariel Suhamy (Spinoza – Ellipses 2008) :

Ariel Suhamy a écrit: Par où commencer ? Comment être sûr qu’on prend le bon départ ? Cette question en a paralysé plus d’un. Un autre moyen de décourager les initiatives est la régression à l’infini. Comment savoir qu’une idée est vraie, sinon par une autre idée vraie, et ainsi à l’infini ? En admettant que l’idée vraie s’affirme elle-même comme vraie et se passe de toute autorité extérieure, comment trouver la bonne méthode pour la faire fructifier ? Ne faut-il pas, pour découvrir la méthode, en avoir déjà une, et ainsi à l’infini ? Aussi espère-t-on que l’instrument idéal soit remis par miracle entre nos mains par quelque autorité bienveillante ; faute de quoi, mieux vaut s’abstenir. (p. 23)

A cette objection, on l’a vu, Spinoza répond par l’histoire de la production d’un marteau et je n’y reviens pas.
Spinoza part donc d’un certain nombre d’idées et s’applique à en déduire d’autres idées.
Si une ou plusieurs idées de départ étaient fausses, on devrait s’attendre à ce que ces déductions conduisent à des contradictions, ce qui n’est pas le cas mais c’est à chacun de le vérifier.
C’est donc bien le développement du système qui justifie la confiance dans les prémisses.

(1) Il y a également des prémisses pour les 4 parties suivantes

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Message par hks Ven 29 Déc 2017 - 12:12

Vanleers a écrit:Si une ou plusieurs idées de départ étaient fausses, on devrait s’attendre à ce que ces déductions conduisent à des contradictions,
argument critiquable

1)les prémisses peuvent être fausses, au sens de ne représentant pas une réalité en soi et c' est le sens du vrai comme adéquation.( de l'idée à un objet pensé )

par exemple qu'il existe une substance( non pas simplement qu'il existe l'existence, tautologie)
mais une substance qui soit intelligible par le medium de ses attributs ( ou d' attributs en général)... cette image mentale n'a peut être pas de correspondance en soi ( indépendante de l' esprit qui la conçoit).

Spinoza déduit un système sans contradiction
Un système peut être déduit sans contradictions sur l' hypothèse:(hypothèse!)
a) qu'elle (la substance) est pensable vraie, au sens d' objet de l'idée  existant indépendamment de l'idée  mais tel que l'idée la comprend
b) pensable (de plus) par le media de ses attributs
Qu'il n'y ait pas de contradictions par la suite ne rend pas l' hypothèse plus crédible.
...........................................

2)Spinoza déduit un système sans contradiction
il faut croire que la vérité dépend (absolument) de ce que les déductions ne conduisent pas à des contradictions.
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Message par Vanleers Ven 29 Déc 2017 - 16:09

A hks

Il y aurait lieu ici de se référer au Traité de la Réforme de l’Entendement :

Spinoza a écrit: L’esprit, quand il fait attention à une chose fictive, et fausse de sa nature, pour la soupeser et l’entendre, et pour en déduire dans le bon ordre des choses qui doivent être déduites, rendra facilement manifeste la fausseté ; et si la chose fictive est vraie de sa nature, lorsque l’esprit y fait attention pour l’entendre et commence à déduire dans le bon ordre les choses qui en suivent, il continuera heureusement sans aucune interruption, comme nous avons vu qu’à partir de la fiction fausse qui vient d’être mentionnée, l’entendement s’offre aussitôt pour montrer son absurdité et celle des autres qui en sont déduites. (§ 61)

Voir aussi l’intéressant commentaire de Bernard Rousset dans sa traduction du TRE (Vrin 1992)

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Message par hks Ven 29 Déc 2017 - 17:45

Spinoza a écrit:et si la chose fictive est vraie de sa nature, lorsque l’esprit y fait attention pour l’entendre et commence à déduire dans le bon ordre les choses qui en suivent, il continuera heureusement sans aucune interruption
peut- être sur les fictions  "vraies"! ( qui ne sont pas des fictions, en fait)

mais preuve d'un bel optimisme pour des fictions fausses ...

à supposé que Thomas d Aquin  ait eu une idée fictionnelle et fausse de Dieu, il en tira pourtant bien ce qui n'a pas semblé absurde pensant plusieurs siècles ...
idem de l'idée de premier moteur chez Aristote...idée qui vient peut- être en fin de raisonnement, mais ces raisonnements n'ont pas semblé absurdes durant des siècles.

Des hypothèse fausses (fictionnelles fausses) peuvent induire une chaîne de raisonnements qui ne sont pas  absurdes. Seule l' expérience empirique peut contredire l' hypothèse.( le géocentrisme, l' astrologie , l' alchimie par exemple)
Dans la première partie de l' Ethique il n'y a aucune  expérience empirique pour contredire.


Dernière édition par hks le Ven 29 Déc 2017 - 22:26, édité 1 fois
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Message par Crosswind Ven 29 Déc 2017 - 20:08

Vanleers a écrit:
Si une ou plusieurs idées de départ étaient fausses, on devrait s’attendre à ce que ces déductions conduisent à des contradictions, [...]

Cette proposition est de ce genre qui, tout respect conservé, relève du sophisme. Il y a belle lurette que l'on a montré qu'un énoncé, logiquement valide d'un point de vue formel, ne s'en révèle pas moins incongru au sens empirique (Plus il y a de gruyère, plus il y a de trous. Plus il y a de trous, moins il y a de gruyère. Donc plus il y a de gruyère, moins il y a de gruyère ... etc ...) ; de même que de nos jours est clair comme de l'eau de roche le fait que tout énoncé qui respecte un certain nombre de règles, et ce quelles qu'elles soient, ne pourra être contradictoire vis-à-vis d'elles.

Hks vous répond plus en détail, je tente la synthèse : le caractère logiquement non-contradictoire du système spinozien ne peut justifier la véracité de ses prémisses de la même manière qu'affirmer que 1 + 2 = 3 ne rend ontologiquement vrai le principe de l'égalité (au sens des idées de Platon, par exemple). Pour prendre un autre exemple, plus pragmatique, l'hypothèse de la Terre en tant que centre du monde ne rendait pas contradictoires les théories astronomiques qui se fondaient sur elle. Les mathématiques se fondent sur des prémisses évidentes, certes, mais que l'on ne peut dire vraies.

Somme toute : aucune prémisse ne peut être dite vraie, seulement se voir caractérisée en tant que fondement. L'intuition intime se voit reléguée pour ce qu'elle est, une intuition du moment, que ne partage peut-être pas le reste des choses pensantes, et que vous ne partagerez peut-être pas plus tard, ou dans un état conscient différent.

Je vous l'ai dit : Spinoza pose des éléments [A, B, C...] et des opérateurs logiques ; des trous, des gruyères et des quantités logiques. Il fonde un ensemble sur ces bases. La non-contradiction des bases ne peut en aucun cas démontrer leur véracité. En aucun cas !

A moins de compter sur la foi.
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Message par Vanleers Ven 29 Déc 2017 - 21:26

Le texte du TRE que j’ai cité (§ 61) montre bien que Spinoza n’envisage pas sa philosophie comme une science au sens contemporain, c’est-à-dire un ensemble de propositions conjecturales falsifiables.
Pratiquement aucun fait empirique ne saurait contredire l’Ethique qui se situe sur un autre plan.
Je dis « pratiquement » car il est vrai que la « Petite physique » énonce quelques propositions sur les corps mais tellement simples qu’on ne voit pas quelle expérience pourrait les contredire. Et même si cela était, cela n’aurait guère d’incidence sur le système.
Ce qu’il faut comprendre, c’est que l’Ethique est un livre de mathématique et que seules des contradictions de ce type sont à prendre en compte à l’exclusion des faits empiriques.
Spinoza nous donne une indication sur ce qui a inspiré son ouvrage principal dans l’Appendice de la partie I :

Spinoza a écrit:[…] et cela seul eût suffi à faire que la vérité demeurât pour l’éternité cachée au genre humain, s’il n’y avait eu la Mathématique, laquelle s’occupe non des fins mais seulement des essences et propriétés des figures, pour montrer aux hommes une autre norme de la vérité ;

Bernard Pautrat est donc parfaitement fondé à écrire en tête de sa traduction de l’Ethique :

Bernard Pautrat a écrit: Lire l’Ethique comme un livre de mathématique contenant des vérités démontrées, que donc le lecteur sera contraint d’admette, plutôt que comme un livre de philosophie simplement déguisé en livre de mathématique, c’est donc aussi le prendre au sérieux comme éthique et permettre à cette prodigieuse machine-à-bonheur de se mettre en route, et peut-être (il faut voir) de marcher.

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Message par Crosswind Ven 29 Déc 2017 - 21:33

Les mathématiques sont de la pure tautologie, à l'instar du langage. Elles n'énoncent rien de vrai au-delà du respect de leurs axiomes. 1 + 1 = 2 n'est pas une vérité, c'est une tautologie. La neige est blanche n'est pas une vérité, ce sont des mots partagés.

Comment traduiriez-vous les 15 prémisses de Spinoza en termes mathématiques ?


P.S. : empiriquement, la cause et l'effet sont bel et bien dépassés en un sens quantique. Je note d'ailleurs que vous ne relevez jamais cette objection. La cause et l'effet seraient donc, selon vous, une Vérité mathématique ?
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L'Ethique de Spinoza et les sciences - Page 2 Empty Re: L'Ethique de Spinoza et les sciences

Message par hks Ven 29 Déc 2017 - 23:47

Pautrat a écrit:de se mettre en route, et peut-être (il faut voir) de marcher.

Le peut être (il faut voir) est  explicite. Pour moi je dirais que c'est tout vu.

Je ne suis entré dans l' Ethique que quand je me suis aperçu ou quand cela m'a fait l'effet de ne pas être un livre de mathématiques.
Le prendre comme un livre de mathématiques, ça ne marchait pas.

Et ça ne marche d'ailleurs jamais. On ne voit aucun professeur expliquer Spinoza par le démonstratif.
Les explications n'empruntent pas la voie géométrique .
J'entendais Frédéric Lenoir (qu'on peut dire certes vulgarisateur) expliquer néanmoins plutôt  bien  Spinoza ( sur France culture le vendredi 22/12 vers 13 heures ) il n'y avait pas une once de démonstratif dans le tableau dressé.
Alors L'Ethique de Spinoza et les sciences - Page 2 4221839403

Toutes proportions gardées le tractatus de Wittgenstein m'a parlé (un peu) quand j'ai compris que ce n'était pas un livre de logique ( un livre de démonstrations ) mais un livre sur la signification ( le sens ).
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Message par Vanleers Sam 30 Déc 2017 - 6:32

A Crosswind et hks

Ne mélangez pas tout.
Il est pourtant bien évident qu’il n’est pas question des Mathématiques mais de la Mathématique, au sens de la mathesis universalis.

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Message par hks Sam 30 Déc 2017 - 10:44

Vanleers a écrit:il est pourtant bien évident qu’il n’est pas question des Mathématiques mais de la Mathématique, au sens de la mathesis universalis

.alors ça je ne le pense pas L'Ethique de Spinoza et les sciences - Page 2 177519025 .

Il ya bien une confiance  de Spinoza dans la méthode géométrique en tant que telle
ce qui est  différent d'une croyance/confiance en la  mathesis universalis
Je ne suis pas du tout certain que le Spinoza refusant toute harmonie dans la nature participe de l'idée de  mathesis universalis.

je recopie un extrait de wikipédia assez explicite

On reconnaîtra la Mathesis là où « il y a projet général d'une maîtrise définitive de la compréhension de l'univers à partir d'un petit nombre de lois simples, comme le manifeste le mythe du « grand Horloger », encore si prégnant jusqu'à la fin du xviiie siècle »4.

La Raison est traditionnellement reconnue comme fond même de l'Être et faculté maîtresse de l'homme. C'est dans le logos grec qu'une telle correspondance a vu le jour.

chez Spinoza c'est bien si l'on veut une faculté maîtresse de l'homme mais ce n'est pas fond même de l'Être
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