Idéologie & Utopie
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Idéologie & Utopie
(merci à Bergame pour la mise en page)
Une synthèse de l'article se trouve à la fin de la seconde partie pour les plus pressés
L’idéologie et l’Utopie
L’Idéologie et L’Utopie est un recueil de 18 conférences tenues en 1975 à l’Université de Chicago. C’est une lecture riche et prolifique en références d’auteurs, qui gravite autour des concepts d’utopie et d’idéologie. En un sens, on peut l’interpréter comme un hommage et une poursuite de l’ouvrage de Mannheim : Idéologie et Utopie. Mais la démarche de Ricœur diffère en ce qu’il entreprend une phénoménologie génétique de l’imaginaire social. Etude qui le mène à échafauder sa propre théorie politique et sociale, englobant les deux pratiques imaginatives que sont l’idéologie et l’utopie.
I - L’Idéologie
Marx, La critique de la philosophie du droit
Marx avance un concept d'idéologie qui s'oppose à la praxis tout en étant engendrée par celle-ci.
La base concrète de l'existence, c'est-à-dire la réalité, est identifiée à ce que Marx nomme praxis. L'idéologie s'affirme alors comme renversement de la réalité, à l'instar du Geist hégélien (l'Esprit) qui n'est autre qu'une projection de la pensée humaine, un prédicat qui s'est substitué à son sujet. Ce qui a pour conséquence de faire de l'Idée un sujet à part entière, et réciproquement, de considérer les institutions réelles de la vie effective (famille et société civile) comme les prédicats abstraits de ce pseudo-sujet. C'est cette inversion par substitution du prédicat au sujet qui constitue la fonction de l'idéologie pour le jeune Marx.
Les Manuscrits de 1844
Dans les Manuscrits, Marx ne fait pas directement mention de l'idéologie. En revanche, la notion d'inversion s'étend désormais au travail des hommes. Celui-ci est perçu comme une entité étrangère et transcendante : il s'inverse en propriété privée, en capital. A l'origine, le travail est l'objectivation du travail, à savoir le processus par lequel quelque chose d'intérieur s'extériorise et se concrétise sous forme d'objet. Par le travail, l'homme dépose sa propre signification dans le produit de son labeur, lui donnant par là tout son sens. L'actualisation du travail serait donc en principe son objectivation, mais c'est sans compter sur l'économie politique dénoncé par Marx : le fait de la propriété privée ou aliénation. L'aliénation est le renversement par lequel l'homme est dépossédé de son essence, de sa réalisation.
Cette aliénation prend quatre formes:
-L'aliénation de l'activité : le travailleur est dépossédé du produit de son travail
-L'activité de l'aliénation : processus de dessaisissement en acte, par lequel le travail devient étranger à l'ouvrier, à tel point que le travail n'est plus volontaire mais contraint / forcé
- L'aliénation de l'humanité du travailleur : l'homme en tant qu'être générique, c'est-à-dire en tant qu'être qui possède la capacité de s'affirmer comme individualité dans l'universel par le biais du travail, est coupé du genre : il ne peut plus s'objectiver / s'auto-créer / s'auto-produire par le travail parce que l'aliénation est à l'oeuvre et l'empêche de réaliser son essence d'être générique
- L'aliénation de l'homme rendu étranger à l'homme : tous les hommes deviennent des étrangers les uns pour les autres car l'aliénation leur à rendu étranger l'essence humaine. C'est le caractère intersubjectif de l'aliénation.
L'aliénation aboutit au final à la domination de la matière inerte, du capital, sur les êtres humains. Mais ce fait de l'économie politique, la perte de l'essence de l'homme par l'aliénation originaire du procès du travail, est dissimulé par l'économie politique elle-même. Par conséquent, l'idéologie comme inversion devient l'idéologie comme aliénation et dissimulation de cette aliénation.
L'idéologie allemande
Dans L'Idéologie Allemande, l'idéologique est l'imaginaire en tant qu'il s'oppose au réel. Les Vorstellungen, à savoir les idées et représentations que nous nous faisons de nous-même, reflètent l'idéologie, qui est toujours représentation de la praxis réelle et jamais sa présentation en tant que telle. Marx illustre l'inversion idéologique au moyen de la métaphore de la camera obscura : le renversement idéologique est alors au processus vital ce que l'image dans la perception est à la rétine.
Le concept d'aliénation, et plus précisément d'aliénation de l'activité, est remplacé par la notion de division du travail. On retrouve néanmoins cette idée que la division du travail humain, incluant par là même la spécialisation des tâches, nous affecte en tant qu'individu. Elle nous divise, d'une part, en une vie intérieure, et d'autre part, en un agent de classe. Il s’ensuit que le concept de classe met en avant la distinction entre classe dominante et classe dominée, et la corrélation entre idées dominantes et classe dominante. Le résultat est que l'idéologie dominante n'est autre que l'idéologie de la classe dominante, qui est l'expression idéelle de sa domination concrète, de sa mainmise sur les forces productives. L'idéologie défend les intérêts de la classe dominante, et vise à perpétuer sa domination en la dissimulant et/ou la justifiant. C'est l'idéologie comme distorsion de la structure de pouvoir ou structure sociale.
Althusser
Dans Pour Marx, on peut déceler trois changements notables de la théorie marxiste :
1- L'idéologie s'oppose désormais au marxisme comme science, c'est-à-dire au sens de théorie fondamentale, et non en tant que corpus falsifiable au sens de Popper. L’idéologie et l’utopie sont considérées comme non-scientifiques.
2- L'idéologie s'oppose à une structure économique qui est l'objet de la science marxiste et la base concrète de l'histoire.
3- La relation entre la base réelle de l'histoire et l'idéologie est rendue par la métaphore topographique de l'opposition entre les fondations et les étages d'un édifice, reliés entre eux par un système défini en termes de déterminations et d'efficacité.
La relation entre la superstructure (idéologie) et l’infrastructure (structure économique) est double : d'un côté, l'infrastructure détermine causalement la superstructure, c'est l'efficace de la base ; et de l'autre, la superstructure est relativement autonome en plus d'influencer en retour l'infrastructure.
Selon Althusser, le terme d'inversion est impropre à rendre le sens du fossé qui sépare la science de l'idéologie, car il sous-entend la conservation d'une partie de ce qui a été renversé. Au contraire, la notion de coupure épistémologique introduit du neuf (cf Bachelard).
De plus, Althusser distingue 2 niveaux dans la théorie marxiste :
Enfin, la conception althussérienne de l'idéologie envisage celle-ci comme inconsciente, au sens où elle n'est pas maîtrisée par la conscience. En effet, il semble bien que nous ne puissions pas réfléchir tous nos concepts puisque nous pensons déjà avec eux. Autrement dit, nous sommes incapables de penser tout ce qui est à l'oeuvre dans notre pensée. L'idéologie constitue ainsi le champ indépassable de l'exercice de notre pensée : Ses limites sont les frontières irréductibles à l'approche que nous pouvons avoir de notre propre pensée.
Mannheim (idéologie)
Dans un premier temps, Mannheim procède à un élargissement du concept marxiste d'idéologie, qui prend une tournure paradoxale dans la mesure où il inclut celui qui l'emploie. Le paradoxe de Mannheim consiste en l'idée de l'auto-implication de celui qui parle d'idéologie. Ce qui a pour effet de mettre en concurrence l'ensemble des visions du monde, se considérant les unes les autres comme idéologiques en l'absence de tout critère de validité commun. La généralisation du concept d'idéologie a provoqué la destruction de l'unité ontologique objective du monde, et cela en engendrant le relativisme des points de vue.
Cependant, Mannheim pense pouvoir surmonter le paradoxe en le transférant dans le domaine de la sociologie de la connaissance. Sa méthode consiste à dresser une carte décrivant avec exactitude la location de chaque idéologie ainsi que des forces à l'oeuvre dans la société. Cette compréhension de la totalité nous sauverait de l'implication dans le concept même. Malheureusement, le sociologue ne peut se mettre en position d'extériorité absolue face à son objet d'étude : primo, parce qu'un tel point zéro est inenvisageable au vu de l'omni-implication du concept d'idéologie, et deuxio, parce que son jugement implique déjà un système de normes de nature idéologique.
La seconde réponse de Mannheim se résume à l'idée que si nous pouvons mettre en évidence la façon dont des systèmes de pensée sont reliés à des structures sociales, et si nous arrivons à établir des corrélations entre les différents groupes, situations et systèmes de pensée entre eux, alors le tableau sensé représenter la totalité n'est plus relativiste mais relationniste. Le relativisme nait de la confrontation du concept intemporel de vérité au paradoxe de l'idéologie. La solution est tout simplement de le troquer contre un concept de vérité qui repose sur le sens de la corrélation entre des changements en relation mutuelle.
Pour Mannheim, il existe une forme de non-congruence idéologique et une forme de non-congruence utopique. La première est en retrait vis-à-vis d'une situation donnée, alors que la seconde devance une situation donnée.
L'idéologie considère l'irréel comme irréalisable, impossible. La mentalité idéologique se caractérise par ceci qu'elle nie toute possibilité de changement, soit parce qu'elle cautionne le système de justification expliquant la non-congruence, soit parce que cette dernière a été dissimulée par tromperie consciente ou inconsciente.
Les détenteurs du pouvoir considèrent comme utopique un changement qui irait à l'encontre ou au delà de l'actuel ordre existant.
Weber
Selon Weber, ce qui est en jeu dans toute idéologie, c'est la légitimation d'un certain système d'autorité. L'ordre (Ordnung) est un mode d'agencement des êtres humains qui prétend à la légitimité. Il implique les concepts de hiérarchie et de pouvoir directorial. La hiérarchie est précisément la polarisation entre gouvernants et gouvernés, et le pouvoir directorial est la forme de structure politique dirigeante qui lui correspond.
Ces prémisses permettent à Weber de faire une ébauche du concept de revendication, et plus spécialement des trois idéal-types de revendication :
1- La revendication est liée à l'ordre général. La notion d'ordre présuppose l'existence d'individus s'orientant par rapport au comportement des autres.
2- La revendication émane de la direction au sein du groupement. Avec la hiérarchie apparaît le besoin d'une structure politique qui la maintiendrait, d'un Etat. Celui-ci a toujours le caractère d'être imposé car il ne peut satisfaire tout un chacun. La revendication intègre alors la reconnaissance de ce que nous sommes (les gouvernés) mais aussi l'obéissance à celui qui dirige.
3- La revendication des détenteurs du pouvoir d'appliquer l'ordre par le biais de l'usage légitime de la violence. L'Etat revendique le monopole de l'usage ultime et légitime de la force.
Weber soutient que le corrélat d'un système de revendication est un système de croyance. L'acceptation de la validité d'un système de revendication est la croyance sur laquelle repose la légalité. En un sens, l'acceptation est une forme de reconnaissance.
C'est précisément sur le rôle de la croyance dans son rapport à la revendication que Ricœur met son grain de sel :
1- Le problème de l'idéologie concerne en fin de compte le supplément, le fossé entre la revendication et la croyance.
2- La fonction de l'idéologie est de combler ce fossé de crédibilité entre revendication et croyance.
3- Selon Ricœur, cette fonction est comparable à la fonction de plus-value marxiste, seulement, c'est une plus-value liée au pouvoir et non au travail. L'idéologie est la plus-value de croyance en la légitimité d'un système de pouvoir.
Une synthèse de l'article se trouve à la fin de la seconde partie pour les plus pressés
L’idéologie et l’Utopie
L’Idéologie et L’Utopie est un recueil de 18 conférences tenues en 1975 à l’Université de Chicago. C’est une lecture riche et prolifique en références d’auteurs, qui gravite autour des concepts d’utopie et d’idéologie. En un sens, on peut l’interpréter comme un hommage et une poursuite de l’ouvrage de Mannheim : Idéologie et Utopie. Mais la démarche de Ricœur diffère en ce qu’il entreprend une phénoménologie génétique de l’imaginaire social. Etude qui le mène à échafauder sa propre théorie politique et sociale, englobant les deux pratiques imaginatives que sont l’idéologie et l’utopie.
I - L’Idéologie
Marx, La critique de la philosophie du droit
Marx avance un concept d'idéologie qui s'oppose à la praxis tout en étant engendrée par celle-ci.
La base concrète de l'existence, c'est-à-dire la réalité, est identifiée à ce que Marx nomme praxis. L'idéologie s'affirme alors comme renversement de la réalité, à l'instar du Geist hégélien (l'Esprit) qui n'est autre qu'une projection de la pensée humaine, un prédicat qui s'est substitué à son sujet. Ce qui a pour conséquence de faire de l'Idée un sujet à part entière, et réciproquement, de considérer les institutions réelles de la vie effective (famille et société civile) comme les prédicats abstraits de ce pseudo-sujet. C'est cette inversion par substitution du prédicat au sujet qui constitue la fonction de l'idéologie pour le jeune Marx.
Les Manuscrits de 1844
Dans les Manuscrits, Marx ne fait pas directement mention de l'idéologie. En revanche, la notion d'inversion s'étend désormais au travail des hommes. Celui-ci est perçu comme une entité étrangère et transcendante : il s'inverse en propriété privée, en capital. A l'origine, le travail est l'objectivation du travail, à savoir le processus par lequel quelque chose d'intérieur s'extériorise et se concrétise sous forme d'objet. Par le travail, l'homme dépose sa propre signification dans le produit de son labeur, lui donnant par là tout son sens. L'actualisation du travail serait donc en principe son objectivation, mais c'est sans compter sur l'économie politique dénoncé par Marx : le fait de la propriété privée ou aliénation. L'aliénation est le renversement par lequel l'homme est dépossédé de son essence, de sa réalisation.
Cette aliénation prend quatre formes:
-L'aliénation de l'activité : le travailleur est dépossédé du produit de son travail
-L'activité de l'aliénation : processus de dessaisissement en acte, par lequel le travail devient étranger à l'ouvrier, à tel point que le travail n'est plus volontaire mais contraint / forcé
- L'aliénation de l'humanité du travailleur : l'homme en tant qu'être générique, c'est-à-dire en tant qu'être qui possède la capacité de s'affirmer comme individualité dans l'universel par le biais du travail, est coupé du genre : il ne peut plus s'objectiver / s'auto-créer / s'auto-produire par le travail parce que l'aliénation est à l'oeuvre et l'empêche de réaliser son essence d'être générique
- L'aliénation de l'homme rendu étranger à l'homme : tous les hommes deviennent des étrangers les uns pour les autres car l'aliénation leur à rendu étranger l'essence humaine. C'est le caractère intersubjectif de l'aliénation.
L'aliénation aboutit au final à la domination de la matière inerte, du capital, sur les êtres humains. Mais ce fait de l'économie politique, la perte de l'essence de l'homme par l'aliénation originaire du procès du travail, est dissimulé par l'économie politique elle-même. Par conséquent, l'idéologie comme inversion devient l'idéologie comme aliénation et dissimulation de cette aliénation.
L'idéologie allemande
Dans L'Idéologie Allemande, l'idéologique est l'imaginaire en tant qu'il s'oppose au réel. Les Vorstellungen, à savoir les idées et représentations que nous nous faisons de nous-même, reflètent l'idéologie, qui est toujours représentation de la praxis réelle et jamais sa présentation en tant que telle. Marx illustre l'inversion idéologique au moyen de la métaphore de la camera obscura : le renversement idéologique est alors au processus vital ce que l'image dans la perception est à la rétine.
Le concept d'aliénation, et plus précisément d'aliénation de l'activité, est remplacé par la notion de division du travail. On retrouve néanmoins cette idée que la division du travail humain, incluant par là même la spécialisation des tâches, nous affecte en tant qu'individu. Elle nous divise, d'une part, en une vie intérieure, et d'autre part, en un agent de classe. Il s’ensuit que le concept de classe met en avant la distinction entre classe dominante et classe dominée, et la corrélation entre idées dominantes et classe dominante. Le résultat est que l'idéologie dominante n'est autre que l'idéologie de la classe dominante, qui est l'expression idéelle de sa domination concrète, de sa mainmise sur les forces productives. L'idéologie défend les intérêts de la classe dominante, et vise à perpétuer sa domination en la dissimulant et/ou la justifiant. C'est l'idéologie comme distorsion de la structure de pouvoir ou structure sociale.
Althusser
Dans Pour Marx, on peut déceler trois changements notables de la théorie marxiste :
1- L'idéologie s'oppose désormais au marxisme comme science, c'est-à-dire au sens de théorie fondamentale, et non en tant que corpus falsifiable au sens de Popper. L’idéologie et l’utopie sont considérées comme non-scientifiques.
2- L'idéologie s'oppose à une structure économique qui est l'objet de la science marxiste et la base concrète de l'histoire.
3- La relation entre la base réelle de l'histoire et l'idéologie est rendue par la métaphore topographique de l'opposition entre les fondations et les étages d'un édifice, reliés entre eux par un système défini en termes de déterminations et d'efficacité.
La relation entre la superstructure (idéologie) et l’infrastructure (structure économique) est double : d'un côté, l'infrastructure détermine causalement la superstructure, c'est l'efficace de la base ; et de l'autre, la superstructure est relativement autonome en plus d'influencer en retour l'infrastructure.
Selon Althusser, le terme d'inversion est impropre à rendre le sens du fossé qui sépare la science de l'idéologie, car il sous-entend la conservation d'une partie de ce qui a été renversé. Au contraire, la notion de coupure épistémologique introduit du neuf (cf Bachelard).
De plus, Althusser distingue 2 niveaux dans la théorie marxiste :
- 1- Une théorie de l'histoire dont l'objet est l'ensemble des structures mises en exergue dans Le Capital : classes, forces & formes, etc. C'est le matérialisme historique.
2-Une métathéorie de la théorie marxiste, c'est-à-dire une théorie des catégories qui gouverne la théorie marxiste elle-même. C'est le matérialisme dialectique.
Enfin, la conception althussérienne de l'idéologie envisage celle-ci comme inconsciente, au sens où elle n'est pas maîtrisée par la conscience. En effet, il semble bien que nous ne puissions pas réfléchir tous nos concepts puisque nous pensons déjà avec eux. Autrement dit, nous sommes incapables de penser tout ce qui est à l'oeuvre dans notre pensée. L'idéologie constitue ainsi le champ indépassable de l'exercice de notre pensée : Ses limites sont les frontières irréductibles à l'approche que nous pouvons avoir de notre propre pensée.
Mannheim (idéologie)
Dans un premier temps, Mannheim procède à un élargissement du concept marxiste d'idéologie, qui prend une tournure paradoxale dans la mesure où il inclut celui qui l'emploie. Le paradoxe de Mannheim consiste en l'idée de l'auto-implication de celui qui parle d'idéologie. Ce qui a pour effet de mettre en concurrence l'ensemble des visions du monde, se considérant les unes les autres comme idéologiques en l'absence de tout critère de validité commun. La généralisation du concept d'idéologie a provoqué la destruction de l'unité ontologique objective du monde, et cela en engendrant le relativisme des points de vue.
Cependant, Mannheim pense pouvoir surmonter le paradoxe en le transférant dans le domaine de la sociologie de la connaissance. Sa méthode consiste à dresser une carte décrivant avec exactitude la location de chaque idéologie ainsi que des forces à l'oeuvre dans la société. Cette compréhension de la totalité nous sauverait de l'implication dans le concept même. Malheureusement, le sociologue ne peut se mettre en position d'extériorité absolue face à son objet d'étude : primo, parce qu'un tel point zéro est inenvisageable au vu de l'omni-implication du concept d'idéologie, et deuxio, parce que son jugement implique déjà un système de normes de nature idéologique.
La seconde réponse de Mannheim se résume à l'idée que si nous pouvons mettre en évidence la façon dont des systèmes de pensée sont reliés à des structures sociales, et si nous arrivons à établir des corrélations entre les différents groupes, situations et systèmes de pensée entre eux, alors le tableau sensé représenter la totalité n'est plus relativiste mais relationniste. Le relativisme nait de la confrontation du concept intemporel de vérité au paradoxe de l'idéologie. La solution est tout simplement de le troquer contre un concept de vérité qui repose sur le sens de la corrélation entre des changements en relation mutuelle.
Pour Mannheim, il existe une forme de non-congruence idéologique et une forme de non-congruence utopique. La première est en retrait vis-à-vis d'une situation donnée, alors que la seconde devance une situation donnée.
L'idéologie considère l'irréel comme irréalisable, impossible. La mentalité idéologique se caractérise par ceci qu'elle nie toute possibilité de changement, soit parce qu'elle cautionne le système de justification expliquant la non-congruence, soit parce que cette dernière a été dissimulée par tromperie consciente ou inconsciente.
Les détenteurs du pouvoir considèrent comme utopique un changement qui irait à l'encontre ou au delà de l'actuel ordre existant.
Weber
Selon Weber, ce qui est en jeu dans toute idéologie, c'est la légitimation d'un certain système d'autorité. L'ordre (Ordnung) est un mode d'agencement des êtres humains qui prétend à la légitimité. Il implique les concepts de hiérarchie et de pouvoir directorial. La hiérarchie est précisément la polarisation entre gouvernants et gouvernés, et le pouvoir directorial est la forme de structure politique dirigeante qui lui correspond.
Ces prémisses permettent à Weber de faire une ébauche du concept de revendication, et plus spécialement des trois idéal-types de revendication :
1- La revendication est liée à l'ordre général. La notion d'ordre présuppose l'existence d'individus s'orientant par rapport au comportement des autres.
2- La revendication émane de la direction au sein du groupement. Avec la hiérarchie apparaît le besoin d'une structure politique qui la maintiendrait, d'un Etat. Celui-ci a toujours le caractère d'être imposé car il ne peut satisfaire tout un chacun. La revendication intègre alors la reconnaissance de ce que nous sommes (les gouvernés) mais aussi l'obéissance à celui qui dirige.
3- La revendication des détenteurs du pouvoir d'appliquer l'ordre par le biais de l'usage légitime de la violence. L'Etat revendique le monopole de l'usage ultime et légitime de la force.
Weber soutient que le corrélat d'un système de revendication est un système de croyance. L'acceptation de la validité d'un système de revendication est la croyance sur laquelle repose la légalité. En un sens, l'acceptation est une forme de reconnaissance.
C'est précisément sur le rôle de la croyance dans son rapport à la revendication que Ricœur met son grain de sel :
1- Le problème de l'idéologie concerne en fin de compte le supplément, le fossé entre la revendication et la croyance.
2- La fonction de l'idéologie est de combler ce fossé de crédibilité entre revendication et croyance.
3- Selon Ricœur, cette fonction est comparable à la fonction de plus-value marxiste, seulement, c'est une plus-value liée au pouvoir et non au travail. L'idéologie est la plus-value de croyance en la légitimité d'un système de pouvoir.
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