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Bison futé et l'autonomie

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Message par Courtial Ven 15 Jan 2016 - 18:52

Je propose un itinéraire de délestage pour ceux qui souhaiteraient discuter de la morale.
Il n'y a pas de section "morale" sur Digression, je le mets dans "sociologie", c'est le plus pertinent à mon avis (ça donne au moins une indication).

Dans les échanges d'un autre fil ou la question est développée, je crois voir que la question de l'autonomisation est le principal grief, ou plutôt la pomme de discorde.

Ou, dit autrement : cette pauvre morale, on ne veut surtout pas qu'elle sorte de l'Empire, et ceci quelle que soit la nature de l'imperium : réductionnisme scientiste, pensée de la prétendue "éthique", économisme obtus, progressisme, idées "de gauche", idées "de droite", centrisme, égocentrisme, ethnocentrisme, bref, il ne faut surtout pas que la morale s'autonomise.
La morale semble là comme un danger parce qu'elle menace toujours de s'autonomiser de "mon truc". Bref, ça emmerde les idéologues.
Bon, c'est une idée de départ.

J'assortis juste d'une demande : si l'altruisme voulait bien ne pas émigrer sur cette rive, j'en serais fort aise. Je parviens à comprendre le fait que Maurice, qui loge au deuxième droite préfère se taper Gertrude, du premier, plutôt que de s'astiquer tout seul en pensant à Fernande du troisième mais "l'altruisme" qui plaît à madame Gertrude, ce n'est pas la moralité, hein. De l'altruisme, oui, mais peu de moralité.

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Message par baptiste Sam 16 Jan 2016 - 9:23

Avec Leibniz, la situation est simple, il suffit de remplacer Dieu par des concepts plus complexes. Le fait que d’autres mondes aient été possibles, dans la position de Leibniz, ne me pose aucun problème en tant que biologiste (au sens philosophique), simplement la place de Dieu est devenue celle du hasard et on peut tout aussi bien admettre que la nature les a rejetés au nom de la nécessité. Nécessité qui est le meilleur possible, au sens du mieux adapté possible aux effets du hasard justement.

La moralité nous est nécessaire parce que nous sortons du conditionnement éthologique par la prise de conscience graduelle de notre singularité et de notre liberté croissante par rapport à nos conditions de fait. C’est pourquoi le bien en soi peut exister même dans une hypothèse laïque.

Sommes-nous déterminés par le bien ? Nous jugeons, nous jugeons en permanence, pour juger il faut bien que nous ayons une certaine idée du bien. Cependant même les mafieux ont une certaine idée du bien et se déterminent par rapport à cette idée, il me semble faux de dire que nous ne soyons pas déterminés par le bien. L’Histoire nous enseigne qu’il y eut une multitude de points de vues moraux à travers les époques, les régions, les philosophies, les religions…mais il y en eut toujours un.

Un des effets de la démocratie laïque a été de confier à la Loi le côté formel et négatif de la morale, Dieu devient la loi, « tu ne tueras pas… » parce que le bien de la communauté ne peut t’accorder ce droit, il n’y a pas de place pour le choix moral. Cependant la Loi ne dit pas le contenu du bien. Le bien est le désir du juste, dit Charles, oui mais qu’est-ce que le juste ? A la question morale de Kant « Que dois-je faire ? » je préfère celle de Socrate « Comment doit-on vivre ? » qui est aussi celle des stoïciens, car si on a répondu à celle-ci on a répondu aussi à celle-là, alors que l’inverse n’est pas vrai.

Le « hasard et la nécessité » sont un autre nom du « libre arbitre de Dieu » quand au libre arbitre des créatures «…dont le choix à toujours des raisons qui inclinent sans nécessiter », j’avoue ne pas être sûr du sens.

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Message par euthyphron Sam 16 Jan 2016 - 11:16

Courtial a écrit:
Dans les échanges d'un autre fil ou la question est développée, je crois voir que la question de l'autonomisation est le principal grief, ou plutôt la pomme de discorde.
Ou, dit autrement : cette pauvre morale, on ne veut surtout pas qu'elle sorte de l'Empire, et ceci quelle que soit la nature de l'imperium : réductionnisme scientiste, pensée de la prétendue "éthique", économisme obtus,  progressisme, idées "de gauche", idées "de droite", centrisme, égocentrisme, ethnocentrisme, bref, il ne faut surtout pas que la morale s'autonomise.
La morale semble là comme un danger parce qu'elle menace toujours de s'autonomiser de "mon truc". Bref, ça emmerde les idéologues.
Bon, c'est une idée de départ.  
Quelle est la question? Moi je comprends comme ça : est-ce que la morale n'est qu'une branche d'autre chose (la sociologie, la politique, la métaphysique, la psychologie, etc.) ou bien y a-t-il une sphère de la pensée autonome, la morale ou l'éthique peu importe comment on l'appelle, et qui ne prend ses directives que d'elle-même?
Le problème c'est que si telle est la question je ne comprends pas quelle est la réponse de baptiste. Mais bon peut-être n'avait-il pas l'intention de répondre après tout?
Maintenant si donc je prends la question telle qu'elle est posée il me semble qu'elle est plutôt un problème qu'une question. Que la morale puisse être envisagée de façon autonome, qu'on puisse construire une morale pure, Kant l'a prouvé. Mais qu'allons-nous en faire, de cette morale qui n'est inféodée ni aux docteurs ni aux prêtres ni aux autres chapeaux pointus? Le même Kant nous démontre admirablement que si nous acceptons d'envisager les choses uniquement d'un point de vue moral celui-ci conduit à l'énoncé d'une loi, c'est-à-dire d'un commandement inconditionné. Bref, en raccourci, dès que la morale est libérée des sujétions qui la menacent elle devient totalitaire.
Or, si l'on peut admettre qu'il y ait besoin d'une éthique (je suis pour ma part tout prêt à l'admettre) je doute fortement que l'éthique qu'il nous faut doive être inconditionnée. Bref, la morale doit-elle se souiller à quelque impureté pour être utile à la vie? Et si oui, laquelle?

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Message par Bergame Sam 16 Jan 2016 - 14:00

Moi non plus, je ne comprends pas bien la question. Ou plutôt, si la question est celle d'une autonomie de la morale, il me semblait que tu y avais déjà répondu, Courtial, en disant que les faits, quand on parle de morale, il faut les écarter. Est-ce que la genèse de ce topic serait donc à trouver dans un questionnement sur la pertinence de cette idée ?
Parce que l'autonomie vis-à-vis des faits et l'autonomie vis-à-vis des idéologies, c'est pas la même chose... :)

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Message par kercoz Dim 17 Jan 2016 - 9:23

Je n' osais pas intervenir pour cette même incompréhension. S' il faut écarter les faits, pourquoi placer ce fil en rubrique "sociologie" ?
Pour le fait moral, tu disais un truc important: Il y a un "transfert". Je trouve celà important. S' il y a transfert ça indique 2 trucs:
- le résultat sur le comportement devrait ( doit) être invariant.
- Le processus antérieur est devenu périmé, obsolète,pas ou plus assez efficace.

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Message par Courtial Lun 18 Jan 2016 - 14:05

Bergame a écrit:Moi non plus, je ne comprends pas bien la question. Ou plutôt, si la question est celle d'une autonomie de la morale, il me semblait que tu y avais déjà répondu, Courtial, en disant que les faits, quand on parle de morale, il faut les écarter. Est-ce que la genèse de ce topic serait donc à trouver dans un questionnement sur la pertinence de cette idée ?
Parce que l'autonomie vis-à-vis des faits et l'autonomie vis-à-vis des idéologies, c'est pas la même chose...  :)

Je n'avais pas posé la question et je n'y ai pas répondu, j'ai indiqué une thèse, que je n'ai pas justifiée et qui ne fut pas discutée. S'il y a réponse, elle n'était pas voulue et en tous cas elle n'est pas validée. Ni par la raison ni par le dialogue,(1) qui sont probablement la même chose.

'Faire abstraction des faits ou de "l'idéologie" (au sens le plus large) n'est en effet pas la même chose. C'est plutôt le second cas qui m'intéresse. (Je l'ai mis en "sociologie" faute de mieux, ça m'a paru plus consistant que "psychologie" ou essai littéraire quoique l'on puisse voir aussi les choses par là).

Mais par exemple : la morale n'est-elle qu'un appendice de la religion ? Pas des faits, mais de la religion ? Pas de morale sans Dieu, pas de morale athée ?
Est-elle quelque chose d'indépendant de la politique ? Pas de tel ou tel fait historique ou politique, mais de la politique comme telle ?
Est-ce que cela peut être séparé de l'anthropologie ? (Mais celle-ci respose sur des faits, d'accord).
Ou, pour les philosophes : est-ce qu'elle dépend de la science, non pas au sens de la pratique scientifique (qui établit des faits), mais de la possession d'un savoir ? Est-ce qu'il faut savoir des choses, être intelligent, pour être moral ? (Par exemple, Kant dit que n'importe quel abruti doté de 8 ans d'âge mental comprend parfaitement la moralité, Platon nous explique que quand on aura fait 20 ans d'études, on pourra peut-être prétendre espérer une vue du Bien, sinon fermez votre gueule et obéissez sans comprendre - je caricature).
On peut naturellement prendre par l'autre bout (a contrario) : l'immoral, c'est qui au juste ? Un athée ? Un asocial, un mal intégré ? Un type sans conscience citoyenne et politique ? Un con ? Un ignorant ? Un monstre , une espèce d'animal, de bête féroce et agressive ?

(1) Dans le "dialogue" il y a bien le logos. Comme j'avais eu l'occasion de le rappeler dans un autre fil ancien, le "dia" ici ne veut pas dire deux (dya, en grec, avec un upsilon, prononcer "dua") mais qui a le sens d'un mouvement de traverser quelque chose. Dialoguer, c'est traverser le sujet de part en part. Partir d'un bout et travailler la question jusqu'à arriver à l'autre bout. Comme de juste, l'autre bout contredit souvent le point de départ, si bien qu'on ne s'étonne pas que nombre de dialogues de Platon soient aporétiques.


Dernière édition par Courtial le Mar 19 Jan 2016 - 14:03, édité 1 fois

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Message par baptiste Mar 19 Jan 2016 - 7:09

Courtial a écrit:
Mais par exemple : la morale n'est-elle qu'un appendice de la religion ? Pas des faits, mais de la religion ? Pas de morale sans Dieu, pas de morale athée ?
Est-elle quelque chose d'indépendant de la politique ? Pas de tel ou tel fait historique ou politique, mais de la politique comme telle ?
Est-ce que cela peut être séparé de l'anthropologie ? (Mais celle-ci respose sur des faits, d'accord).
 

« Si Dieu n’existait pas il faudrait l’inventer » disait Voltaire. La morale est-elle une œuvre collective ou un œuvre individuelle ? Peut-être les deux, pour accepter la morale d’une société il faut être attaché à elle, c’est ce que nous pouvons comprendre des événements récents. Question auxiliaire que l'on peut discuter ailleurs, dans quel but déchoir de la nationalité des gens qui ne s’y reconnaissent même pas ?

Pascal disait que" la vraie morale se moque de la morale". C'est-à-dire de la morale de la société d’appartenance ou le conformisme social, celle du sujet devenu irresponsable de ses actes qui rend compte d’après les déterminismes de son appartenance.

Nous jugeons en permanence, tout et tout le monde, pourquoi ? Pour se rassurer par rapport à nos propres choix…certainement, cela semble être la seule universalité de la question morale. Aujourd’hui, dans notre monde occidental, il n’existe quasiment plus aucun chemin qui ne nous épargne les voies de la responsabilité du choix…aujourd’hui plus de grandes philosophies spéculatives, de grandes religions impératives d'idéologies totalisantes, juste une tension de plus en plus violente entre des atomes incontrôlables. Plus guère d’effets immanents sociologiques non plus,  juste une liberté et une obligation individuelle, celle de décider par soi-même du bien et du mal, deux exigences normatives incontournables.

Pour Spinoza les bonnes actions sont celles qui, tout en faisant le bien de l'individu via ses appétits et ses émotions naturels, ne font pas de mal aux autres individus. Cette injonction est sans équivoque. Une action qui pourrait être personnellement bénéfique mais ferait du mal à autrui n'est pas bonne, parce que faire du mal à autrui nous hante toujours et fait parfois du mal à celui-là même qui a agi ainsi, proposition que le biologiste (neurologue) Damasio approuve, la confrontation avec la mort et avec la souffrance dérange l'état homéostatique du sujet. C’est cet état homéostatique, infini bariolage sous influence de la génétique, de l’épigénétique, du culturel et du social qui fait du sujet moral universel un leurre.

Qu’est-ce qui fait basculer le sujet? Simplement la distance à autrui, trop loin pour percevoir ses émotions…comme le dit autrement Jean-Marie. Mais aussi la distance parfois difficile à saisir entre le connu et le perçu. Je sais que je fais du mal mais je ne perçois pas le mal que je fais. Le pilote qui tue des milliers de personnes en larguant ses bombes de 5000 mètres n’a pas la même conscience de son acte et n’aura pas les mêmes traumatismes que le fantassin qui embroche un seul ennemi à la baïonnette.

L’imaginaire aussi est un outil redoutable dans les mains d'un idéologue, il permet de placer l’autre dans une position différente, dans une position ou il devient légitime de le désigner comme une menace potentielle et ainsi de nier son humanité: ennemi du peuple, ennemi de race, ennemi de classe tout a été bon pour déshumaniser l'autre et permettre au pire d'exister.

C’est pour toutes ces raisons que l’on peut être scientifique ou philosophe "renommé" ,plutôt que grand, et un parfait salaud tandis qu’un homme simple saura se comporter en homme juste en suivant le cours de ses émotions.

Quand à une réponse potentielle concernant le politique, je ne saurais faire bref.

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Message par Courtial Mar 19 Jan 2016 - 14:29

baptiste a écrit:C’est pour toutes ces raisons que l’on peut être scientifique ou philosophe "renommé" ,plutôt que grand, et un parfait salaud tandis qu’un homme simple saura se comporter en homme juste en suivant le cours de ses émotions.

Une conclusion qui décoiffe ! Les raisons, on les voit, la conclusion (et comment elle s'y rattache), c'est plus surprenant !
Je reviendrais éventuellement sur les raisons, mais pour la conclusion qu'on en tire, tu te rattaches volontairement à une morale du sentiment ? Il y a une émotion morale spécifique ? Comme chez Diderot, chez Rousseau ?

Il est à noter que Kant n'aime pas ça du tout mais qu'il est bien obligé de s'y rendre. La sentimentalité, qu'il fait sortir par la porte, se réinvite en passant par la fenêtre du "respect", qui est aussi a priori, pur que l'on voudra, mais qui est quand même un affect, que cela plaise ou non.

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Message par baptiste Jeu 21 Jan 2016 - 7:30

Courtial a écrit:
baptiste a écrit:C’est pour toutes ces raisons que l’on peut être scientifique ou philosophe "renommé" ,plutôt que grand, et un parfait salaud tandis qu’un homme simple saura se comporter en homme juste en suivant le cours de ses émotions.

Une conclusion qui décoiffe ! Les raisons, on les voit, la conclusion (et comment elle s'y rattache), c'est plus surprenant !
Je reviendrais éventuellement sur les raisons, mais pour la conclusion qu'on en tire, tu te rattaches volontairement à une morale du sentiment ? Il y a une émotion morale spécifique ? Comme chez Diderot, chez Rousseau ?

Il est à noter que Kant n'aime pas ça du tout mais qu'il est bien obligé de s'y rendre. La sentimentalité, qu'il fait sortir par la porte, se réinvite en passant par la fenêtre du "respect", qui est aussi a priori, pur que l'on voudra, mais qui est quand même un affect, que cela plaise ou non.


Je ne pense pas que cela aurait décoiffé Spinoza ou Pascal, au contraire. Tout le vivant, y compris le végétal, manifeste quelque chose comme le désir inconscient de rester en vie, de préserver l'équilibre du profil chimique du milieu interne. Cette manifestation préfigure ce que nous appelons les émotions. Eprouver une émotion ne signifie pas que l’on est conscient de cette émotion, ni conscient des sentiments qu’elle induit, c’est ce qui nous distingue du monde animal, même si chez les grands singes il a été mis en évidence qu’au-delà des émotions primaires comme la peur… il existait des émotions sociales complexes, l’humiliation, l’envie.

Une émotion est donc, face à un stimulus, une collection complète de réponses chimiques et neurales automatiques formant une structure distinctive. Un sentiment est la transcription de cette émotion sur le théâtre de l'esprit à l'aide d'un processus conduisant à la production d'images mentales. Pascal, Diderot, Rousseau parlaient de sentiments, je parle d’émotions. Même si la distinction nous semble difficile à faire, nous éprouvons une émotion de tristesse avant d'éprouver un sentiment de tristesse. Divers accidents cérébraux et protocoles expérimentaux ont permis de distinguer clairement entre les deux phénomènes.

C’est ce qui a ramené Damasio vers Spinoza « Chaque chose, selon sa puissance d'être, s'efforce de persévérer dans son être. » En termes modernes nous dirions que nous sommes programmés pour la survie et le bien être.
« L'esprit humain ne perçoit les corps extérieurs comme existant en acte que par les idées des affections de son propre corps. » Et ceci : « L'objet de notre esprit est le corps existant, et rien d'autre. » Pour Spinoza, le corps et l'esprit sont les attributs de la même substance, nous ne sommes pas loin des conceptions modernes de l’émotion.

Pascal, de son côté, dit la noire incertitude dans laquelle nous plonge la condition humaine et notre histoire qui, si elle avance, le fait tout de même souvent par son mauvais côté et non en se moulant dans le cours d’un processus finalisé où devraient prévaloir des solutions toutes faites au départ, d’un ordre préétabli, d’une raison a priori. Pascal aussi parle d’un univers inaccessible aux prétentions universalisantes de la raison abstraite.

« Quand la malignité a la raison de son côté, elle devient fière, et étale la raison en tout son lustre. Quand l’austérité ou le choix sévère n’a pas réussi au vrai bien, et qu’il faut revenir à suivre la nature, elle devient fière par le retour. »

Un raisonnement moral juste suppose donc l’existence d’un certain degré d’empathie dont nous pouvons faire preuve dans nos interactions sociales car l’empathie est le substrat sur lequel se développe la maturité émotionnelle. Ainsi, sont liées trois notions, empathie, maturité émotionnelle et conscience, qui déterminent notre capacité à raisonner en terme de bien et de mal. Nous ne sommes pas égaux face aux émotions et certains dépourvus d’empathie ne peuvent corriger les erreurs de la raison, je ne reviendrai pas sur les exemples déjà souvent cités. Les émotions sont tout aussi capables de suggérer le juste que la raison, mais tout aussi capable de nous induire en erreur car  la même émotion peut faire naître des sentiments contraires, cela explique que, en la matière, les pékins ne se trompent ni plus ni moins que les «penseurs».

La question éthique est une réflexion quand au rapport entre la vie et la morale, elle ne réside pas dans la création d’une uniformité de comportement mais dans un effort permanent pour réduire les écarts toujours prêts à se creuser entre les différentes morales.

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Message par hks Jeu 21 Jan 2016 - 11:38

bergame a écrit:il me semblait que tu y avais déjà répondu, Courtial, en disant que les faits, quand on parle de morale, il faut les écarter. Est-ce que la genèse de ce topic serait donc à trouver dans un questionnement sur la pertinence de cette idée ?

Ok
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Message par kercoz Jeu 21 Jan 2016 - 11:47

Celà, je ne le comprends ni l' admet. Comment parler de "morale" sans s' occuper des faits, des comportements ?
Ce serait une inversion de causalité que de s'intéresser au "ressenti" de la morale.

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Message par hks Jeu 21 Jan 2016 - 12:15

baptiste a écrit:Un raisonnement moral juste suppose donc l’existence d’un certain degré d’empathie dont nous pouvons faire preuve dans nos interactions sociales car l’empathie est le substrat sur lequel se développe la maturité émotionnelle. Ainsi, sont liées trois notions, empathie, maturité émotionnelle et conscience, qui déterminent notre capacité à raisonner en terme de bien et de mal. Nous ne sommes pas égaux face aux émotions et certains dépourvus d’empathie ne peuvent corriger les erreurs de la raison, je ne reviendrai pas sur les exemples déjà souvent cités.

En première instance, ce naturalisme me convient très bien.
......................

bon là dessus (pas obligatoire) on peut spéculer sur diverses métaphysiques...y compris le théisme de Kant.

kant a écrit:« le déisme croit en un Dieu, mais le théiste en un Dieu vivant »


kant a écrit:« Celui qui n’admet qu’une théologie transcendantale se nomme déiste, celui qui admet en outre une théologie naturelle se nomme théiste. Le premier admet qu’en tout cas nous pouvons connaître l’existence d’un être originaire par la simple raison, mais considère que le concept que nous en possédons est simplement transcendantal, c’est-à-dire qu’il s’agit du concept d’un être qui a toute réalité, mais dont on ne peut pas déterminer plus précisément cette réalité. Le second affirme que la raison est en mesure de déterminer avec plus de précision l’objet en suivant l’analogie avec la nature, à savoir comme un être qui contient en soi, à travers son entendement et sa volonté, le fondement originaire de toutes les autres choses. Celui-là se représente donc, sous le nom de Dieu, simplement une cause du monde (en laissant non décidée la question de savoir si c’est par la nécessité de sa nature ou par liberté qu’il en est la cause), celui-ci se représente ainsi un auteur du monde »CRPure.


kant a écrit:La téléologie morale, qui n'est pas moins solidement fondée que la téléologie physique et qui mérite bien plus la préférence, puisqu'elle s'appuie a priori sur des principes inséparables de notre raison, conduit à un concept déterminé de la cause suprême comme cause du monde d'après des lois morales, par conséquent au concept d'une cause qui satisfait notre but final moral; pour cela il ne faut rien moins que l'omniscience, la toute-puissance, l'omniprésence, etc... , en tant qu'attributs naturels, que l'on doit concevoir comme liés au but final moral, qui est infini, et comme étant adéquat à celui-ci, elle peut donc nous procurer toute seule le concept d'un auteur unique du monde, valable pour une théologie.

De cette manière une théologie conduit immédiatement à la religion, c'est-à-dire à la connaissance de nos devoirs comme des ordres divins, et cela parce que la connaissance de notre devoir, et du but final qui nous est imposé par la raison, a pu d'abord produire d'une manière déterminée le concept de Dieu (Critique de la faculté de juger, Section II, Dialectique, §91, p282).
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Message par Courtial Jeu 21 Jan 2016 - 12:22

baptiste a écrit:Je ne pense pas que cela aurait décoiffé Spinoza ou Pascal, au contraire. Tout le vivant, y compris le végétal, manifeste quelque chose comme le désir inconscient de rester en vie, de préserver l'équilibre du profil chimique du milieu interne. Cette manifestation préfigure ce que nous appelons les émotions. Eprouver une émotion ne signifie pas que l’on est conscient de cette émotion, ni conscient des sentiments qu’elle induit, c’est ce qui nous distingue du monde animal, même si chez les grands singes il a été mis en évidence qu’au-delà des émotions primaires comme la peur… il existait des émotions sociales complexes, l’humiliation, l’envie.

Une émotion est donc, face à un stimulus, une collection complète de réponses chimiques et neurales automatiques formant une structure distinctive. Un sentiment est la transcription de cette émotion sur le théâtre de l'esprit à l'aide d'un processus conduisant à la production d'images mentales. Pascal, Diderot, Rousseau parlaient de sentiments, je parle d’émotions. Même si la distinction nous semble difficile à faire, nous éprouvons une émotion de tristesse avant d'éprouver un sentiment de tristesse. Divers accidents cérébraux et protocoles expérimentaux ont permis de distinguer clairement entre les deux phénomènes.

J'ai du mal à trouver en tout ceci quelque chose que je puisse accorder tranquillement. Qu'il s'agisse de la vision générale ou des références philosophiques qui sont convoquées. je n'ai pas le loisir d'entrer dans le détail, je m'en tiens à une ou deux remarques :

1/ une utilisation assez leurrante de Spinoza, puisque partant d'une mention de son "parallélisme" (c'est-à-dire la correspondance, disons, entre les différentes dimensions de la Substance, ce qu'il appelle ses "attributs"), on en arrive à poser entre des modes une causalité transitive plan plan que Spinoza récuse explicitement : aucun corps n'est cause d'autre chose qu'un corps et aucune idée cause d'autre chose que d'une idée.
On aime ou on n'aime pas, mais c'est plutôt ça, Spinoza.
Il t'est loisible naturellement de présenter tes substances chimiques comme des causes, mais alors il faudra dire bonsoir! à Spinoza et aller chercher dans un bon vieux mécanisme cartésien. Ca serait plus conforme à ton genre de beauté, il me semble.

Il serait préférable de laisser ce pauvre Pascal hors du coup. C'est pas chou, c'est pas cool, ce que tu lui fais...

2/ d'un point de vue phénoménologique (donc radicalement différent du tien, le désaccord étant donc normal, cette fois), je ne peux pas admettre la dualité que tu introduis lorsque tu parles de "ce que nous appelons des émotions" et l'émotion elle-même, ceci parce que je ne les distingue en rien. Non pas que je refuse d'entendre que, dans une vision mécaniste, déterministe-causaliste, cartésienne, l'émotion n'est que ce qui résulte, dans l'âme, des mouvements du corps, mais la causalité - même admise sans tenir compte précisément des avertissements spinozistes ! - ne change rien au fait que l'émotion n'est rien d'autre qu'une conscience de l'émotion, que son caractère fondamental est précisément d'émouvoir, d'être sentie, éprouvée, vécue. Et ce que je vis quand je suis en colère, effrayé, c'est la colère ou la peur, pas l'adrénaline ou je ne sais quoi d'autre.
L'adrénaline et tout ça, c'est un objet (mais une émotion n'est pas un objet ou quelque chose qui appartienne à un objet comme objet), objet que je découvre dans un processus cognitif et que je produis dans certaines conditions et une certaine visée qui n'ont rien à voir avec l'émotion.


Dernière édition par Courtial le Jeu 21 Jan 2016 - 12:32, édité 2 fois

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Message par hks Jeu 21 Jan 2016 - 12:28

kercoz a écrit:Celà, je ne le comprends ni l' admet. Comment parler de "morale" sans s' occuper des faits, des comportements ?
Ce serait une inversion de causalité que de s'intéresser au "ressenti" de la morale.
si tu veux ...mais pourquoi parlant de causalité ne pas se pencher sur les effets ( le ressenti).
Parce que les causes, tu ne les recherches QUE si tu vois un effet. ce n'est pas que j' inverse la causalité mais que tu inverses comment on accède aux causes.

Cela dit ,effectivement, je mets la cause de l'effet dans l'effet.(ce n'est pas la seule cause). Pour moi pas de ressenti =pas de morale. C 'est la condition sine qua non.
Et des ressentis factuels (événement par événement...au coup par coup )- dépendants ( évidemment) d'une faculté de valoriser moralement.
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Message par hks Jeu 21 Jan 2016 - 13:21

courtial a écrit:L'adrénaline et tout ça, c'est un objet (mais une émotion n'est pas un objet ou quelque chose qui appartienne à un objet comme objet), objet que je découvre dans un processus cognitif et que je produis dans certaines conditions et une certaine visée qui n'ont rien à voir avec l'émotion.
en fait si je comprends bien, ton corps n' a rien à voir avec ton corps...lequel est un processus cognitif que tu produis.
Idéalisme assez éloigné de Spinoza ( évoqué ) lequel s' il a bien chambré sur la glande pinéale n'a pas été non plus très clair sur l'union de l'esprit et du corps.


courtial a écrit:aucun corps n'est cause d'autre chose qu'un corps et aucune idée cause d'autre chose que d'une idée.
ça évidemment, qu'un attribut soit cause d'un autre théoriquemnet cela  ne convient pas...  encore qu'on ait jamais réussi à élucider si pour Spinoza les attributs étaient des en soi ou des manières d' imaginer propre à l'esprit humain.


Que le corps et l'esprit soit ""en soi  distincts "ou unis ou les deux faces d'une même nature ? Et je connais  certains spinoziste (très instruit des questions) Chantal Jacquet par exemple pour y mettre quelque bémol.


aucun corps n'est cause d'autre chose qu'un corps et aucune idée cause d'autre chose que d'une idée
.et pourtant Spinoza dans le scolie qui développe cette idée pointe sur des exemples de processus physiologiques.
Sinon sur une influence causale verticale sur la pensée du moins sur l 'état d'une forte corrélation.
Puisque qu' on ne sait pas ce que peux le corps (du moins à l'époque de Spinoza  ignorait-on des choses que l'on connait maintenant ) Spinoza est très prudent sur la question.

Spinoza a écrit:Ce n'est pas tout ; je crois qu'il n'est personne qui n'ait éprouvé que l'âme n'est pas toujours également propre à penser à un même objet ; mais à mesure que le corps est mieux disposé à ce que l'image de telle ou telle chose soit excitée en lui, l'âme est plus propre à en faire l'objet de sa contemplation. On répondra sans doute qu'il est impossible de déduire des seules lois de la nature corporelle les causes des édifices, des peintures et de tous les ouvrages de l'art humain, et que le corps humain, s'il n'était déterminé et guidé par l'âme, serait incapable, par exemple, de construire un temple. Mais j'ai déjà montré que ceux qui parlent ainsi ne savent pas ce dont le corps est capable, ni ce qui peut se déduire de la seule considération de sa nature ; et l'expérience leur fait bien voir que beaucoup d'opérations s'accomplissent par les seules lois de la nature, qu'ils auraient jugées impossibles sans la direction de l'âme, comme les actions que font les somnambules en dormant et dont ils sont tout étonnés quand ils se réveillent.



Spinoza a écrit:Ainsi donc, l'expérience et la raison sont d'accord pour établir que les hommes ne se croient libres qu'à cause qu'ils ont conscience de leurs actions et ne l'ont pas des causes qui les déterminent, et que les décisions de l'âme ne sont rien autre chose que ses appétits, lesquels varient par suite des dispositions variables du corps.
partie 3 scolie de la prop 2

spinoza a écrit: Or, il résulte clairement de tous ces faits que la décision de l'âme et l'appétit ou détermination du corps sont choses naturellement simultanées, ou, pour mieux dire, sont une seule et même chose, que nous appelons décision quand nous la considérons sous le point de vue de la pensée et l'expliquons par cet attribut, et détermination quand nous la considérons sous le point de vue de l'étendue et l'expliquons par les lois du mouvement et du repos
partie 3 scolie de la prop 2


Dernière édition par hks le Jeu 21 Jan 2016 - 13:50, édité 1 fois
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Message par Courtial Jeu 21 Jan 2016 - 13:48

baptiste a écrit:Si Dieu n’existait pas il faudrait l’inventer » disait Voltaire. La morale est-elle une œuvre collective ou un œuvre individuelle ? Peut-être les deux, pour accepter la morale d’une société il faut être attaché à elle, c’est ce que nous pouvons comprendre des événements récents. Question auxiliaire que l'on peut discuter ailleurs, dans quel but déchoir de la nationalité des gens qui ne s’y reconnaissent même pas ?

La dernière question contient en soi sa propre réponse. Mais ce n'est peut-être pas le lieu d'en débattre, s'agissant de Voltaire, qui est un auteur raisonnable, qu'il ne me viendrait pas à l'idée de comparer avec Alfred Jarry. Je préfère le second, en particulier le Père Ubu (plus intéressant que Candide), mais je le préfère sur la scène, pas à l'Elysée.
Revenons donc à Voltaire, et je réponds aussi à hks en même temps.

Voltaire a deux motifs, il me semble, un secondaire et un important.
Le secondaire ne l'est peut-être pas en soi, mais paraît l'être pour Voltaire. Je dis ceci avec prudence (étant donné le profil de l'auteur, sur lequel je ne vais pas m'attarder). Bref, la phrase peut vouloir dire que notre intelligence a besoin d'un Dieu pour se figurer l'ordre et la rationalité (pour faire court) du monde. "Je ne conçois point cette horloge sans un horloger", c'est le "déisme" (1), dont parle hks.
Ceci est le volet métaphysique, disons et cela, Voltaire s'en fout un peu ou au moins il fait mine de s'en foutre un peu. Inventer un Dieu pour soulager nos problèmes à expliquer l'origine du monde, la nature profonde de l'Etre, etc. , ça peut paraître comme une "nécessité", mais peut-être pas si nécessaire que cela. En plus, cela semble conforter les curés et ce n'est pas le projet essentiel de Voltaire.

Le plus important, c'est la correspondance avec ce que dit Dostoïevski, si j'en crois Sartre (je dois avouer qu'à ma grande honte, je n'ai pas lu DostoÏevski) "si Dieu n'existe pas, tout est permis". Autrement dit, le vrai problème, c'est que sans la religion, on n'a plus de moralité.
S'il n'y a pas de Dieu, qui va faire règner l'Ordre moral ?
La société, l'Etat, le pouvoir ? Mais il y a des tas de sociétés, d'Etats, de pouvoirs, qui tantôt autorisent ceci, interdisent cela, ça change, les interdits d'hier sont les injonctions d'aujourd'hui, le pouvoir vise-t-il le Bien ou juste son propre maintien, etc ?
(Et quant aux substances chimiques et aux mouvements électriques intra-cervicaux chers aux déterministes mécanistes genre Baptiste, on n'est pas sûr du tout qu'ils m'indiquent clairement s'il est acceptable d'empoisonner ma grand mère pour hâter l'héritage de sa fortune, c'est encore plus hors-sol que "la morale kantienne").

Avec Dieu, on a un appui un peu plus puissant : c'est comme ça et pas autrement et c'est de cela qu'on a besoin, puisqu'il s'agit d'une obligation. (Et on ne peut pas m'obliger à avoir une hormone).
J'ai cité Diderot, je pensais aux Entretiens avec la Maréchale (qui sont à lire, comme tout Diderot(2).
Je rappelle l'anecdote : Diderot va visiter un Maréchal (Maréchal de Saxe, peut-être, je ne sais plus et j'ai la flemme de chercher), il n'est pas disponible mais sa charmante femme vient faire un bout de conversation avec Diderot (ou celui qu'il appelle "moi") pour le faire patienter.
C'est aussi qu'elle a sa petite question en tête. Elle est très dévote et demande à Môssieu le philosophe comment il fait, lui qui professe l'athéisme, pour être un garçon convenable sur le plan moral. Puisque si l'on est athée, qu'est-ce qu'on en a à braire de la morale ? Ce qui empêche de tuer, de violer, de mentir, c'est quoi, si Dieu n'existe pas ? La justice des hommes ? Mais on peut y échapper. Si personne ne sait jamais rien de vos forfaits, si vous avez un anneau de Gygès, qu'est-ce qui vous arrête et vous interdit d'être un gros salopard ?
"Moi" répond qu'il n'aime pas du tout les saloperies ni les salauds. Tuer, violer, ça lui répugne, il n'a pas envie, il ne kiffe pas. Et retranché derrière cette ligne (que j'appelle "morale du sentiment"), le philosophe passe à la contre-attaque de manière drolatique en confiant à la Maréchale que tous les Fidèles de sa paroisse savent qu'elle a une poitrine magnifique, dont il la félicite tout en s'interrogeant sur le fait qu'à l'Eglise, une telle vision ne prédispose pas plus (et même sans doute moins) à la piété en tant que contemplation de la Suprême Déité qu'à autre chose. En sorte que si Dieu est une puissance, le nibard en est une autre.



(1) La distinction indiquée par hks (citant Kant) entre "déisme" et "théisme" est sans doute très commode. Qu'elle arrange Kant, je peux le concevoir, mais elle ne correspond à aucun usage reçu à ma connaissance. Ca vaut peut-être chez lui, mais pas en général et, pour vous dire mon sentiment profond, je le trouve vaseux, sur cette affaire. Je suis de ceux qui soulignent ici les immenses mérites de cet auteur, je puis noter tranquillement qu'il y a des moments où il n'est pas en grande forme.
(2) à Neo : il y a une édition de toute sa correspondance (magnifique, lui, c'est un admirable) en 15 volumes, faite dans les années 50 par les Editions de Minuit. Je cherche depuis des années à réunir toute la collection, je n'y arrive pas. Tous les quatre-cinq ans, j'arrive à en dénicher un (et pas donné : 30 euros le volume déparaillé parmi 15, c'est très cher), mais il m'en manque encore 5, c'est mission impossible.


Dernière édition par Courtial le Jeu 21 Jan 2016 - 15:47, édité 1 fois

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Message par hks Jeu 21 Jan 2016 - 14:06

courtial a écrit:(je dois avouer qu'à ma grande honte, je n'ai pas lu DostoÏevski)
ce n'est pas honteux, c'est dommage.


courtial a écrit:"Moi" répond qu'il n'aime pas du tout les saloperies ni les salauds. Tuer, violer, ça lui répugne, il n'a pas envie, il ne kiffe pas.

Ça c' est le problème ... ce n'est pas la solution du problème.

Je n'aime pas Kant (exemple  fictionnel)
je peux ne pas en faire un problème.
Mais si j 'en fais un problème, il me faut une solution.
Pourquoi ?
et bien parce que je n'aime pas rester sur des questions.

c'est comme pour les avantages de la dame
Diderot n'a pas du aimer rester sur la question...il aurait bien préféré conclure.
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Message par Courtial Jeu 21 Jan 2016 - 14:25

baptiste a écrit:en fait si je comprends bien, ton corps n' a rien à voir avec ton corps...lequel est un processus cognitif que tu produis.
Idéalisme assez éloigné de Spinoza ( évoqué ) lequel s' il a bien chambré sur la glande pinéale n'a pas été non plus très clair sur l'union de l'esprit et du corps.

Mon corps a certainement un rapport avec mon corps, puisqu'ils sont la même chose.
En revanche, ce qui fait parler des substances chimiques qui t'obnubilent n'a rien à voir avec l'émotion, c'est plutôt cela que j'ai écrit.
Le rapport que tu instruis, et qui est un rapport de causalité transitive n'est pas une relation émotionnelle ou sentie, n'entretient aucun rapport avec l'émotion. C'est un rapport qui existe seulement dans une visée d'explication (pas sans présupposés : ce qui est cause est considéré comme expliquant les choses au point de les absorber complètement), explication totalement déliée de toute émotion.
Bien sûr, expliquer ou être ému sont la même chose, comme tout est pareil à tout puisque les substances chimiques sont des substances chimiques.
C'est simplement une manière de "comprendre" l'émotion en commençant par rayer l'émotion elle-même du tableau. Je veux dire, la question c'est : qu'est-ce que c'est qu'une émotion quand ce n'est pas une émotion ?
Quand elle n'est pas une émotion, quand elle n'émeut pas, quand elle n'existe pas, ce sont des hormones, de la dopamine. Mais il faut d'abord ne pas être ému, ou se dire (comme Neo, qui suspecte tout) que l'émotion n'est rien, qu'elle n'est pas ce qu'elle a l'air d'être, bref il faut évacuer le phénomène et s'intéresser à la théorie (passionnante, selon laquelle les diverses modifications de l'âme sont provoquées en elle par des mouvements du corps), et seulement à la théorie.
Théorie qui dirait que d'après Spinoza, l'âme n'est qu'une dépendance du corps. Quand on voit que ça ne fonctionne pas tout à fait comme cela, c'est la faute à Spinoza qui ne serait pas clair.

Mais quoi qu'il en soit, je n'ai toujours pas la réponse à ma question, savoir le lien qu'il y a entre ces considérations et la fondation d'une morale. Le lien entre les prémisses et la conclusion, comme je l'indiquais.
Et ma surprise de te voir conclure que, selon Spinoza tel que tu l'entends, il faudrait se laisser aller aux émotions pour découvrir la vraie source de la moralité. Je ne comprends toujours pas comment cela dérive des attendus (quoi que j'en pense considérés en eux-mêmes).
Mon désaccord et mon incompréhension ne sont pas moindres lorsque tu tires comme "conclusion" (c'est ceci que je conteste et à quoi tu ne réponds pas) qu'un théoricien (de la morale, par exemple) peut être un parfait salaud. Proposition que je tiens pour très certaine, mais ne semblant pas dériver des prémisses, et c'est cela que j'ai d'abord indiqué et à quoi tu ne réponds pas, préférant embrouiller avec Spinoza, qui n'a jamais rien dit de tel.
En ce qui concerne Spinoza, j'avais le sentiment que sa "morale" est assez intellectualiste et théoricienne, puisque la voie du salut moral consiste, si j'ai bien lu, dans la contemplation intellectuelle de Dieu. Pas vraiment le flux des émotions incontrôlées et la soumission aux diktats de l'imagination.
Je comprends bien que des commentateurs ne lisent l'Ethique que jusqu'au livre III, on est habitué à ce type de malversations intellectuelles et, en terme de paresse, je n'ai pas de leçon à donner. C'est un ouvrage difficile, je les comprends, je compâtis (j'ai sans doute une substance de la compassion dans ma tête qui s'active tout à coup).

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Message par kercoz Jeu 21 Jan 2016 - 15:03

Courtial a écrit: il y a une édition de toute sa correspondance (magnifique, lui, c'est un admirable) en 15 volumes, faite dans les années 50 par les Editions de Minuit. Je cherche depuis des années à réunir toute la collection, je n'y arrive pas. Tous les quatre-cinq ans, j'arrive à en dénicher un, mais il m'en manque encore 5, c'est mission impossible.

Le plus facile c'est maxichoice:
http://www.maxichoice.com/resultat.php

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Message par kercoz Jeu 21 Jan 2016 - 15:42

hks a écrit:
kercoz a écrit:Celà, je ne le comprends ni l' admet. Comment parler de "morale" sans s' occuper des faits, des comportements ?
Ce serait une inversion de causalité que de s'intéresser au "ressenti" de la morale.
si tu veux ...mais pourquoi parlant de causalité  ne pas se pencher sur les effets ( le ressenti).
 

Parce que l' important c'est le comportement. C'est lui qui peut garantir la continuité de l' espèce ou de la civilisation.
Parce que différents ressentis peuvent induire le même comportement ( qu'importe la mécanique si le résultat est efficace).
Tout comme les "cultures" ont évolué indépendamment, de façon itérative, les "morales" qui s' y attachent ont aussi évolué de façon distincte.
L' intérèt serait de rechercher le ppdc de ces morales, leurs invariances, .......mais en partant de son propre ressenti , on est mal barré!

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Message par Courtial Jeu 21 Jan 2016 - 15:45

hks a écrit:Ça c' est le problème ... ce n'est pas la solution du problème.

Je n'aime pas Kant (exemple  fictionnel)
je peux ne pas en faire un problème.
Mais si j 'en fais un problème, il me faut une solution.
Pourquoi ?
et bien parce que je n'aime pas rester sur des questions.

Moi, je trouve ça très bien, les problèmes. Et quand on a intelligemment posé un problème, on a déjà fait un travail philosophique intéressant. Faut pas être abusif, faut pas demander la solution.
S'il te faut des solutions, va voir l'assistance sociale, le psy, l'économiste (selon la nature de ta question et le genre de "solution" que tu attends).

La question de l'amour est importante, mais traitée moins légèrement, s'il te plaît, c'est un sujet sérieux. C'est pas "j'aime pas Kant", "j'aime pas les questions", etc. Ca existe et je peux dire la même chose, je n'aime ni Kant ni les questions,  mais ce n'est pas suffisant.

Bergame a lancé un défi, dans l'autre fil, je crois : on parle toujours du Bien, mais on ne le définit pas. Il se garde bien lui-même de tenter une définition et d'ailleurs ça ne l'intéresse pas de le savoir, c'était purement éristique et polémique. Mais ce dont il use comme d'une matière de provocation (assuré que personne ne pourra définir le Bien comme personne ne peut définir l'être, le rien, le mouvement, "moi", la vérité, la quantité,  etc. ) uniquement pour interdire le débat, on peut aussi le reprendre.
Le Bien, nous dit Aristote, c'est ce qui est l'objet du désir, ce vers quoi l'on tend (le mal ayant les attributs contraires : ce qui est à fuir, non recherché). C'est donc essentiellement lié avec l'amour et inséparable de lui.
Disant cela, je n'apporte certainement pas une "solution" mais une foule de problèmes terribles : il est bien parce que je l'aime ou l'inverse ? Bien pour moi bien pour l'autre ? Clarté de l'amour en tant que tel ? Et cent autres choses qui font qu'on ne va pas seulement vers les substances chimiques. Bref tout ce qui fait qu'on peut avoir envie de faire de la philosophie et ne pas se contenter de dire que vous êtes heureux parce que votre taux de dopamine est excellent, ravi dans vos envies parce que TF1 existe, etc.

Lorsque Diderot aborde la moralité par la question de l'amour, il n'est donc nullement hors sujet. Il est juste moins corseté que Kant et il prend les choses en plein milieu (comme dirait Deleuze), là où ça fâche. C'est un brillant, il va très vite, il est Français. Il pose la question : "qu'est-ce que vous aimez au juste" ? direct. Il pointe l'élément essentiel, le véritable intérêt (1)

Voltaire, c'est autre chose : lui, ce qui l'intéresse, c'est que la morale permet de faire taire les pauvres, qui l'emmerdent. Dieu, c'est une connerie, mais il serait très dommageable que ces pouilleux s'en rendent compte, ça pourrait les conduire à venir râler. Il y a donc d'un côté des types comme lui, qui détestent Dieu, et de l'autre côté des pauvres manants qui doivent l'aimer, si bien qu'ils obéissent et qu'ils ne leur vient pas à l'idée de s'interroger sur son fric.
Ce qui intéresse Voltaire dans la "valeur morale" de la religion, c'est de disposer les pauvres à la soumission, à la résignation. Il n'y a aucun autre argument sérieux. Il y a certainement une idée du Bien, mais le Bien signifie ici l'acceptation de la domination (définition qui plaira peut-être plus à Bergame, nous verrons s'il souhaite se prononcer là-dessus un peu autrement).

Je sauve juste Voltaire parce que, comme tous ces penseurs des Lumières, il est influencé par Spinoza, donc pas foncièrement mauvais par nature (2). Or il peut y avoir quelque chose de semblable dans la pensée de Spinoza. Il ne "croyait" pas en Dieu au sens où on l'entend généralement. Mais il assistait parfois au culte religieux (protestant) en compagnie de ses logeurs. Il trouvait très bien que, au moins pour le peuple, on donne des bons conseils sur l'amour en particulier (qui est, pour Spinoza, l'essentiel de la religion : l'amour, pas la contemplation). Il conseillait même aux gens d'aller au Temple, parce qu'on y enseigne l'amour de Dieu et l'amour de l'autre. On y enseigne malheureusement des conneries absolues, comme la peur de l'enfer et toutes ces pensées molles, distrayantes, leurrantes, mais qui, malheureusement encore, "fonctionnent". Mais Spinoza considérait que c'était mieux que rien et plutôt positif, pour rester dans la mesure de ce qu'on peut faire .



(1) Ceux qui disent que la pensée de Kant est une pensée du désintérêt ou du désintéressement prouvent seulement par là qu'ils n'ont pas lu Kant. J'ai entendu des collègues dire ça, je l'ai lu dans des manuels et des bouquins jusqu'à plus soif, mais c'est faux. Dans sa philosophie  c'est le goût, le sentiment esthétique, qui est "désintéressé". Il a probablement tort, mais cela ne porte que sur l'appréciation esthétique, son idée de "désintéressement". En dehors de cela, nous sommes parfaitement et hautement intéressés, en particulier par les éléments moraux, qui sont les plus "intéressants". Ils relèvent de ce qui constitue le plus haut intérêt pour l'homme, au contraire. Toutes ces déclarations ne font qu'établir qu'on n'a rien compris  à la pensée de Kant.

(2) Pour être tout à fait rigoureux : il y a des spinozistes mauvais moralement, en revanche je n'ai jamais rencontré un adversaire haineux de Spinoza qui ne soit pas en même temps mauvais par nature. Ce n'est pas un principe, c'est un constat empirique. Tous les anti-spinozistes que j'ai connu, que j'ai pu croiser étaient des sales types sur le plan personnel. En pratique, je me suis appuyé sur ce détecteur pratiquement infaillible.

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Message par Courtial Jeu 21 Jan 2016 - 18:11

kercoz a écrit:Celà, je ne le comprends ni l' admet. Comment parler de "morale" sans s' occuper des faits, des comportements ?
Ce serait une inversion de causalité que de s'intéresser au "ressenti" de la morale.

Je précise qu'il y a une chose contre laquelle je ne peux rien : l'autisme. Même les psychiâtres ne peuvent pas y faire grand chose et quand ils sont un peu honnêtes, ils doivent reconnaître leur échec pour comprendre les causes (et par là aussi les remèdes) à cette maladie.
A ma place, j'essaye de faire de la philosophie, j'essaye de tâter un peu de sciences humaines, mais je ne peux rien contre l'autisme.
Rien.

Pour ce qui est des faits, je ne veux pas aller contre. On retient seulement ceux qui nous conviennent et on occulte les autres. Ca peut donc être un "fait" que Bernadette Soubirous a vu la Vierge, et un nombre incroyable de gens y croient dur comme fer et j'avoue que je n'ai rien à y opposer.

Pour "le comportement", il n'est pas aussi irréductible que tu le veux. Ses titres sont à examiner davantage, je crois.
Lorenz ou d'autres ont dit qu'il y a des "comportements", il faut juste les croire sans déduction (au sens kantien : quels sont vos titres ? Papiers, SVP ?) parce qu'ils l'ont dit, et en se réclamant de la science ? Ca suffit ? Non, je réclame des papiers un peu plus circonstanciés.
Ca vient d'où, cette idée de "comportement" ? Elle ne doit pas être si évidente, car on pourrait supposer que si c'était le cas, des esprits éveillés et intelligents s'en seraient rendu compte bien avant. Pourquoi faut-il attendre les travaux de Lorenz (et une foule d'autres) pour que, tout à coup, ça devienne un concept, une idée ?
Miracle de la science ? Qui ne mérite pas d'être interrogé, parce que c'est de Dogme ?

En l'espèce, je vois bien comment parler du "comportement" - et surtout qu'il vise à évacuer, à annuller la morale. Mais je ne vois toujours pas le fondement de la morale et encore moins ceux du "comportement".

Je ne crois pas que "le comportement" émane de la science toute pure, désintéressée et qu'il soit, en conséquence, une évidence à poser autoritairement, comme tu le fais, mais je ne me crois pas obligé pour ma part à céder à ce genre d'autorité. Je me permets même d'en faire la critique, figure-toi , sans doute animé par l'anti-science et le délire de la "transcendance".
Et je crois même que la Science toute pure et désintéressée (qui fait du "comportement" une vérité incontestable) n'est pas aussi innocente et auto-fondée que tu ne dis. Qu'elle n'est pas moins hors-sol que d'autres formations culturelles.

Si on veut maintenant déduire (dans le sens que j'indique, kantien : quels sont vos titres?) le comportement, que trouve-t-on ? Un certain nombre de choses qui ne permettent pas de se cacher derrière l'autorité de La Science, à mon avis. Je ne vais qu'en indiquer une (qui ne fache pas trop, le genre pas nazi) : il se trouve que la société a changé, depuis les temps immémoriaux où les singes et les oiseaux régnaient sur le monde. "La Science" l'ignore, mais c'est effectif. Mais on peut observer que depuis le 18ème siècle (pour mettre une date même très vague), la société se massifie. Se "massifier" a le sens que les conduites, les comportements humains, correspondent de plus en plus à des manières de faire et de vivre standardisés.
On s'en est rendu compte et on a tenté de l'expliquer. Par exemple, un marxiste t'expliquera que si tous les bourgeois se "comportent" à peu près de la même manière, c'est en vertu de leur classe sociale Que ce soit vrai ou pas ne nous intéresse pas ici, mais il y a bien l'idée que la société moderne impose de plus en plus des manières d'être identiques, constat partagé autant par Marx que par Tocqueville et qui tu voudras qui vivait au 19ème siècle, c'était évident. On peut être un artiste rêvant à la gloire, un soldat, un politique, une mondaine, il y a des "comportements" qui font que vous appartenez à quelque chose. Je te fais grâce de l'exposé sur Proust (sur les aristos, les homos, les Juifs, etc;) qui décrit merveilleusement tout cela, parce que le mieux, ce n'est pas de parler, mais de lire Proust. On peut dire de très bonnes choses sur lui, mais la vraie délectation, c'est de le lire, tout simplement.
Bref, qu'il y ait des gens qui se "comportent" est une vérité évidente, je le crois, mais il n'y a pas besoin de "l'instinct", "la compulsion agressive", "la rigidité" et un jargon terroriste scientiste pour l'établir. Rousseau était parfaitement à même de le voir dans ses fréquentations salonnardes de Madame de ceci ou de cela, il voyait bien comment les gens se conformaient à leur statut social et n'avaient d'identité, de réalité humaine que pour autant qu'ils se conformassent à ces "comportements", et ceci sans prétention autoritaire, juste en regardant de manière un peu lucide.

C'est ce genre de choses qui rend pensable ce que tu appelles "comportement" comme si c'était une Vérité tombée du Ciel de la Science tout à coup, parce qu'on aurait regardé des oiseaux, cette blague.

Pour donner une référence plus précise, on peut lire, malgré toutes les préventions (encore celles d'être pro-nazie par exemple) Hannah Arendt, par exemple. Elle dit que le "comportement" est arrivé avec l'apparition d'une société de masse, c'est-à-dire une société où les manières d'être sont de plus en plus communes, stéréotypée, universelles (Mais c'est dans Tocqueville, c'est dans Marx, c'est dans Nietzsche)
Elle dit que ceci est en parfaite contradiction avec ce qu'elle appelle l'action , toujours irréductiblement personnelle (non pas en ce qu'elle n'implique pas les autres, personnel n'est pas "autiste"). Les gens font tous la même chose parce qu'il n'y a pas le choix, et du coup cela devient du "comportement".

Sur cette base, on peut comprendre pourquoi il y a des "sciences humaines". Il y a des sciences humaines parce que tout le monde se comporte en gros de la même manière, compte tenu de la situation où il est placé. D'où le développement de ces sciences à la fin du dix-neuvième siècle, ainsi que les moyens par lesquels elles établissent leur réalité. Par exemple la statistique (les sondages, les enquêtes, etc.) qui dégagent la manière de faire générale, la plus commune. Ce qui s'écarte de ce "comportement" normal pouvant être traité par ailleurs comme des marges, étude de l'anomie, etc. Mais l'instrument statistique comme tel enregistre le fait que tout le monde "se comporte" en gros de la même façon.
Et nous sommes envahis d'enquête, de sondages, de pourcentage, pour juger du "comportement" : de l'électeur, du client, du téléspectateur, de la ménagère de moins de 50 ans, etc : tout cela, ce sont des gens qui "se comportent". Est-ce que j'agis en achetant des pâtes Barilla ou en prenant un abonnement internet ? Non, je me "comporte".

Une fois que j'ai posé cela, je peux venir à l'idée que Lorenz ou un autre disent que les oiseaux "se comportent" de telle ou telle manière, mais j'ai tendance à croire (et nous différons en ceci) que les éléments que j'indique expliquent plus Lorenz que Lorenz ne m'explique, au moins explique ce que j'ai mentionné.

Naturellement, s'il existe une médecine pure, totalement désintéressée, propre, intouchable, éthérée, pas nazie, toute blanche, désolidarisée, et qui ne s'applique pas à elle-même sa propre logique comportementaliste (ce que j'appelle le dogme, l'autoritarisme) qui, elle, n'est pas un comportement, mais seulement la vérité devant quoi il faut se coucher, c'est une autre affaire, mais nous n'en discuterons pas ensemble.


Dernière édition par Courtial le Ven 22 Jan 2016 - 12:16, édité 3 fois

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Message par kercoz Jeu 21 Jan 2016 - 18:40

Courtial a écrit: il se trouve que la société a changé, depuis les temps immémoriaux où les singes et les oiseaux régnaient sur le monde. "La Science" l'ignore, mais c'est effectif. Mais on peut observer que depuis le 18ème siècle (pour mettre une date même très vague), la société se massifie. Se "massifier" a le sens que les conduites, les comportements humains, correspondent de plus en plus à des manières de faire et de vivre standardisés.

Le strabisme n' exclue pas l' autisme.
Le 18e c'est avant hier, et la "massification" ne débute sa phase terminale que depuis les années 60.....même si la dynamique centralisante peut se dater du néolithique. Y'a un type pas mal sur ces infos , au college de France en tant que prof. invité. "Hublin " je crois.
Les comportements nouveaux, sont en fait tres récents. Le fait d'appartenir au système ne permet pas de juger des dégats éventuels engendrés et de la réalité/nécessité d' une rigidité comportementale. Le reste peut être tres bien du délire littéraire, pour moi une uchronie contemporaine. Un délirium sur l'esthétique des couleurs d' un furoncle du vivant...

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Message par Courtial Jeu 21 Jan 2016 - 18:46

Les goûts eux-mêmes résultent-ils de la rigidité comportementale ?
C'est vrai que j'aime bien les délires littéraires. Au moins se donnent-ils pour ce qu'ils sont.
Les délires scientifiques pas scientifiques, j'aime moins.

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Message par Bergame Jeu 21 Jan 2016 - 18:47

Bison futé et l'autonomie 4017359721
Que de provocations ! Apparemment, il faut que je réponde.
Mais c'est que je n'ai pas trop d'idées sur ce sujet, ami Courtial. Bon, je vais donc commencer par la périphérie, histoire de dire au moins quelque chose, pour faire plaisir...  Bison futé et l'autonomie 3438808084

D'abord, aparté :
S'il y a réponse, elle n'était pas voulue et en tous cas elle n'est pas validée. Ni par la raison ni par le dialogue,(1) qui sont probablement la même chose.
[...]
(1) Dans le "dialogue" il y a bien le logos. Comme j'avais eu l'occasion de le rappeler dans un autre fil ancien, le "dia" ici ne veut pas dire deux (dya, en grec, avec un upsilon, prononcer "dua") mais qui a le sens d'un mouvement de traverser quelque chose. Dialoguer, c'est traverser le sujet de part en part. Partir d'un bout et travailler la question jusqu'à arriver à l'autre bout. Comme de juste, l'autre bout contredit souvent le point de départ, si bien qu'on ne s'étonne pas que nombre de dialogues de Platon soient aporétiques.
Je ne suis pas trop d'accord (pardon de verser déjà dans la polémique et l'éristique !) Lorsque nous discutions de ce point, je te signalais déjà qu'à mon sens, tu négliges un 3e sens possible : Une diagonale, certes traverse un polygone d'angle en angle, mais le divise aussi en deux parties. Le dialogue, c'est peut-être aussi quelque chose qui circule entre deux entités -sans pour autant, d'ailleurs, qu'elles s'accordent harmonieusement au final comme pourrait le suggérer le "dya". En fait, je crois qu'il faut partir du principe que le Vrai existe, en soi, pour croire que le dialogue consiste à traverser un sujet "de part en part", pour croire qu'il peut arriver "à l'autre bout". Ce qui est, certes, le présupposé rationaliste, et sans doute l'un des présupposés de Platon. Mais faut-il attribuer la paternité du concept de "dialogue" à Platon ? Il me semble qu'on peut parfaitement dialoguer sans parvenir à un terme, à un Vrai, qui pourrait nous mettre d'accord. Nous en sommes, me semble-t-il, pour le meilleur et pour le pire, une bonne illustration. Mais que ce n'est pas grave, parce que ce qu'il y a d'important, dans le dialogue, ce n'est pas tellement le "résultat", c'est le dialogue lui-même. C'est l'échange.

Ensuite, je dois dire que je ne vois pas trop le problème que tu soulèves, moi. Il me semble évident que la morale est un domaine autonome. Lorsque nous jugeons de la moralité d'un comportement, d'une action, etc. nous ne faisons pas référence à autre chose qu'à la morale. Ensuite, les explications peuvent être diverses, mais juger et expliquer, ce sont deux choses bien différentes. Donc pourquoi jugeons-nous que X est immoral alors que nous ne serons peut-être pas d'accord avec autrui sur ce point ; ou mieux, d'où vient ce "sens moral" (endocrino, autre chose), pourquoi ressentons-nous que quelque chose est moral ou pas ; nous pouvons en avoir diverses explications. Mais ce ne sont que des tentatives d'explication à un fait, le fait moral -comme il me semblait que tu l'avais bien nommé.

Maintenant, là où il y a risque d'ambiguïté, à mon sens, c'est : Une fois posé le constat de ce fait moral, et constaté, en particulier, que tout un chacun juge moralement et qu'il ne peut pas ne pas juger, en induire fallacieusement une morale universelle. Que -pour dire les choses prosaïquement- notre cerveau semble fait pour juger, c'est une chose ; qu'on en conclut que le jugement moral de tous les hommes est, ou -pire encore- devrait être, similaire, voila un saut de pensée (très dommageable, qui plus est). Pour dire les choses en termes kantiens -du moins, je le crois- c'est confondre la forme et le contenu.

Enfin, tu m'interpelles sur la définition du Bien. Bon, tu n'es pas complètement honnête, puisque tu as certainement lu que j'ai distingué :
- Le Bien
- Le bien pour autrui
- Le bien pour cet autrui-ci dans cette situation-là.
Il me semblait simplement faire preuve d'analyse, mais je sais que tu me titilles, d'accord.
Bon, mais si tu me posais simplement la question, je te dirais que je ne sais pas, en effet, comment on peut définir le Bien en soi. Cela étant dit, tu auras remarqué que je ne m'engage pas sur ces terrains-là, moi -ca m'est d'ailleurs suffisamment reproché ! En revanche, il me semble possible de définir le bien pour autrui, et en particulier le bien pour cet autrui-ci dans cette situation-là. C'est même assez simple : Il suffit de lui demander !
-ou, pour faire le lien avec un autre sujet, croiser des données personnelles qu'il aura bien voulu nous confier, mais c'est une autre histoire...

Et quant à Voltaire, tu sais bien que je ne peux pas l'encadrer, ami. Il me semblait que nous avions au moins cela en commun.

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