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Husserl, La Crise des Sciences Européennes

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Husserl, La Crise des Sciences Européennes Empty Husserl, La Crise des Sciences Européennes

Message par Bergame Sam 6 Oct 2007 - 9:52

Olaf, Philautarchie


Husserl, La Krisis


Le corpus de la Krisis (1935-1936) est un vaste ensemble de textes. Dans cet ensemble, Husserl, déjà très malade, entend explorer une crise palpable à la veille de la Seconde Guerre Mondiale. L'Europe est en crise, pire, la vie est en crise. Pour explorer cette crise, Husserl entreprend une histoire de la philosophie.


I- La crise des sciences comme expression de la crise radicale de la vie dans l'humanité européenne

« Le positivisme décapite, pour ainsi dire, la philosophie ». C'est par cette sentence que s'ouvre la Krisis. Nous sommes vers 1936, les sciences positives ont pris une place croissante dans le domaine du savoir, dans la vie. Et pourtant, elles n'ont pas accompli ce qu'elles promettaient. Car finalement, l'homme reste seul, seul face à ses questions d'ordre métaphysique (telle la question de la mort). Les sciences positives prennent l'homme comme un étant psycho-physique... Mais elles oublient que l'homme n'est pas qu'un vivant, l'homme existe.

Mais si les sciences positives ont pris une telle place, c'est peut-être face aux divergences, aux conflits profonds qui ont remué la philosophie jusque là. De science des sciences, la philosophie est devenue un domaine réservé à une élite éprise de problèmes insolubles. Selon Husserl, il manque ainsi un fondement profond, un lieu où les philosophes puissent se rejoindre pour converser (au lieu de lutter)... Un lieu qui puisse constituer le fondement des sciences de la nature. Ce lieu, c'est la philosophie de l'ego cogito, la phénoménologie. Car la nature, et les sciences de la nature, ne sont que pour un sujet percevant.

Il est ainsi temps que l'homme reprenne contact avec les véritables énigmes du monde. Husserl entreprend alors une histoire du savoir, de la philosophie, des sciences...


II- Élucidation de l'origine de l'opposition moderne entre l'objectivisme physiciste et le subjectivisme transcendantal

Euclide, déjà, pensait un monde mathématique idéal, une organisation finie d'idées appareillées entre elles. Mais Euclide faisait de cet ensemble un ensemble clos. L'ensemble idéal des mathématiques est fini, fermé sur lui-même. C'est presque un monde d'Idées platoniciennes, mais séparé du monde.

C'est avec Galilée que survient la "mathématisation de la nature" (bien que Galilée doive beaucoup à ses prédécesseurs). Selon l'expression de Husserl, Galilée, homme qu'il estime pourtant fortement, a revêtu le monde d'un manteau d'idées. La géométrie, les idéalités mathématiques, sont littéralement incarnées dans la nature. Le monde, les corps et leurs mouvements, sont des idéalités. Et pourtant, lorsque je rencontre, est-ce que je rencontre un corps pur ? Un corps mû par une activité physique pure ? Non, je rencontre d'abord un corps, dans une situation environnemental donné. La pomme que je rencontre est d'abord dans un panier, sur la table, près de la fenêtre... Je rencontre cette pomme ou cet homme en chair et en os. Bref, nous sommes ici très près des analyses de Être et Temps de Heidegger (1927) concernant l'idéalité mathématique comme une dérivation idéale d'un sol originaire qui se donne en chair et en os.

Finalement, Galilée écrase la vie sous le poids de l'Idée. Le monde ambiant n'est alors qu'une contingence de l'armature idéale, d'une géométrie pure. Selon les mots de Husserl, Galilée est un génie dé-couvrant et re-couvrant.

Et pourtant, l'idéation n'est qu'une méthode. Le fond géométrique n'est ni la fin ni l'origine du mouvement. Car le scientifique qui débusque une loi, une régulation des faits empiriques, ne fait que rencontrer en chair et en os le monde, le monde de la vie (Lebenswelt). Le savant infère dans le monde de la vie et lui substitue un monde des idées, de symboles mathématiques. Le savant oublie l'origine charnelle des formes idéales.

Cet oubli du sujet connaissant et du vivant concrêt va finalement amorcer la grande coupure qu'effectuera Descartes entre le corps et l'esprit. L'ordre rationnel du monde, c'est l'ordre mécaniste et psycho-physique. Cette exigence de rationalité se retrouvera même chez Spinoza ! Pour Husserl, la structure même de L'Éthique en une démonstration géométrique consiste à montrer que même l'Être est rationnel. Hume et Berkeley seront d'ailleurs de violents contre-coups, qui tenteront de ruiner toute édification d'un monde en soi, toute idéalisation du monde...

Ce re-couvrement du monde de la vie par une nature mathématique va peu à peu opposer l'objectivisme scientifique et le subjectivisme transcendantal. Si Husserl retient un véritable tournant Cartésien, tant il juge effroyable de profondeur les premières Méditations Métaphysiques, il considère également un véritable tournant Kantien. Mais si Kant franchit le pas du transcendantal en tentant d'objectiver le moi-même, la profondeur du sujet connaissant et ses structures, il n'ose considérer ce siège de l'ego cogito comme le fondement absolu de toute science, comme le siège de la Mathesis Universalis qu'essayait d'instaurer Leibniz.

On le sait, Husserl tente de faire sauter la distinction entre une intériorité et une extériorité. Si l'on médite sérieusement la découverte de l'ego cogito et de l'intentionnalité, rien ne résiste à la sphère égologique. Je suis une monade, ce monde est mon monde, et c'est donc dans l'ego que résiste le fondement absolu de toute objectivité scientifique. Quel est alors mon monde ? Comment le se donne-t-il à moi ? C'est ce vers quoi se tourne la dernière partie de la Krisis.


III- Clarification du problème transcendantal.
La fonction qui, dans ce contexte, revient à la psychologie


Finalement, Kant oublie que nous sommes ici et . Il oublie la concrétude originaire qui permet l'objectivation. Il oublie que ses conceptions se fondent sur une précompréhension du monde. L'objet psychophysique s'offre d'abord dans le voir, dans le toucher, dans l'ouïr... Il se donne à la chair.

Mais mon champ de perception, organisé autour de ma chair (comme point zéro) rencontre d'autres chairs. Ma chair est alors destinée à être visible par d'autres, je m'offre aussi au regard de l'autre. Le monde de la vie est organisé comme un "vivre ensemble". Nous saisisons intuitivement ce monde-pour-nous-tous. Le monde est pré-donné, il est là, d'avance. Et c'est le grand problème des sciences modernes, ce monde pré-donné n'est finalement plus pour-tous. Il n'est plus cette unité phénoménologique foncière. Le monde est fragmenté, découpé en de petits morceaux donnés aux diverses disciplines qui vont les faire enfler... Le sol pré-donné tend ainsi à être oublié.

La science est une prestation humaine, une construction d'hommes qui se trouvent par avance dans le monde, dans un rapport naturel et de précompréhension de celui-ci. Certes, le savant vient mettre à jour une idéalité, mais...

    Mais cette idéalité, comme toute idéalité, n'empêche en rien que ce sont là des formations humaines rattachés par essence à des actualités et des potentialités humaines, qui donc appartiennent à cette unité concrète du monde de la vie, dont la concrétion par conséquent dépasse largement celle des "choses".
    Husserl, La Crise des Sciences Européennes, p.148

Le monde de la vie, c'est le monde spatio-temporel des choses, le monde qui précède et permet le scientifique. La science n'y est qu'un Habitus, une formation régulière sédimentée qui devient une "évidence". Mais dans ce monde de la vie, le cordonnier vaut bien le savant.

La science est abstraction, abstraction qu'Husserl considère avec beaucoup de respect, mais qui ne doit pas oublier son sol originaire. La progression des sciences positives va conduire le dualisme âme/corps vers une espèce de renouveau spinoziste avec un parrallélisme de l'âme sur le corps. Car dans l'histoire des sciences, l'âme devient l'équivalent interne des sciences externes. Certaines s'essayent même à une physique sociale. Considérer l'âme comme une res extensa ne fait qu'accroître la scission entre l'homme et le monde psycho-physique.

Car l'homme est d'abord une incarnation. Comme dira Merleau-Ponty, je suis mon corps. J'agis avec mon corps, je sens les choses avec lui. Une psychologie "pure" est alors impossible (ou alors il s'agit de phénoménologie), car la psychologie trouve précisément son domaine d'application dans la sphère du mondain, au sein des autres sciences positives. La psychologie vient étudier un domaine de l'incarnation de l'homme au sein du monde, au sein des autres, avec ses habitus. L'homme est une poussée qui se corporéise.

Krisis s'achêve ainsi par cette délimitation : la première évidence, c'est celle du Monde de la Vie (le Lebenswelt). La première science, c'est la phénoménologie, science de l'ego cogito en tant que foyer constitutif du monde. Les autres sciences sont des idéations, des constructions idéales à partir du monde de la vie, et ne doivent pas s'en départir.


*


Krisis est la dernière oeuvre de Husserl, c'est un peu son testament. On sent que souvent, Husserl essaye de suivre Heidegger sur son terrain. Quant aux analyses du Lebenswelt, elles seront une source de choix pour Merleau-Ponty.

Ce texte reste dense, bien qu'il reprend beaucoup de conceptions Husserliennes au sein d'une histoire de la philosophie.


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